Par Didier Christin, ingénieur agronome et auditeur patrimonial
Didier Christin a réalisé une étude pour Sol et Civilisation. Il a rencontré 30 personnes qui en France et en Belgique ont commandé des audits patrimoniaux. Trois exemples illustrent la diversité des cas.
Permettre aux acteurs locaux de retrouver leur légitimité, autour de leur bien commun.
C'est le cas de l'association locale de la Sèvre Nantaise et de ses affluents, qui agit au sud de Nantes sur un grand bassin versant. Elle a été créée en 1977 sous l'impulsion des élus. Elle regroupe l'Etat, les élus, les pécheurs, les différentes associations, sur un territoire qui couvre 100 communes, 4 départements et 2 régions. C'est dire toute l'étendue du problème : comment gérer l'eau de façon globale.
Au bout de quelques années, cette association très active, se posait la question de savoir comment responsabiliser plus largement les gens. Un audit a permis de comprendre quel est le lien que les habitants entretenaient avec l'eau pour déboucher sur des comportements responsables et de prise en charge de la qualité de l'eau.
Concrètement beaucoup se sont investi dans l'entretien des berges, puis une nouvelle organisation a été mise en place. L'association est un lieu de rencontres, de proposi-tions. Une instance de décision a été créée pour gérer en commun les financements provenant des différents départements. Des syndicats mixtes ont vu le jour au niveau des bassins versants pour répondre au besoin de structures de proximité. Ils disposent de techniciens leur permettant d'agir dans le cadre d'une Charte. Une maison de l'eau est désormais ouverte à tous.
Ce type d'audits consiste à faire émerger la notion de bien commun. Ils sont commandés par des associations locales, des associations de pays comme l'association Ségala Limargue, le comité intervalléen du Haut-Béarn. Elles sont confrontées au problème de l'avenir de leur territoire. Elles subissent des mesures qui leur sont imposées, qu'elles considèrent comme nuisibles pour leur territoire, sur lesquelles elles n'ont pas prise. A ce stade, les acteurs locaux n'ont plus d'influence sur ce qui se joue sur leur territoire...
Leur objectif est alors de comprendre ce qui se joue et l'origine des conflits dans le but de redevenir acteur sur le territoire. Or l'audit patrimonial met à jour la nature du bien commun des acteurs en présence. Il permet de redonner une légitimité d'action à l'acteur local. En accord avec ses partenaires départementaux, régionaux, nationaux, il retrouve sa marge de manoeuvre dans un système au sein duquel il pensait ne plus en avoir.
Mobiliser les acteurs locaux autour d'un bien commun
Exemple : l'audit réalisé pour la DIREN de Languedoc Roussillon. Dans cette région, l'eau est omniprésente : mer, lagunes, étangs, rivières. La DIREN se pose la question de la gestion durable de ces ressources. Dans le cas de l'étang du Canet, des conflits d'utilisation se sont déclarés entre élus, pécheurs et sylviculteurs, cristallisés autour de varia-tions de 30 cm du niveau d'eau.
La DIREN voulait comprendre la nature des liens des différents acteurs en présence avec l'eau. Elle ne se sentait ni la responsabilité, ni la légitimité d'agir à leur place et voulait donc faire en sorte que les gens localement prennent en main la gestion de l'eau.
Aujourd'hui l'audit a apporté un éclairage à la DIREN. Les élus locaux ont créé un syndicat mixte pour gérer ce problème et espèrent, par ailleurs, mettre en place un conseil réunissant les différents acteurs en tant que force de proposition. Le syndicat mixte sera lui, l'organe de décision.
Ce type d'audits vise la compréhension de la situation d'action mais aussi à redonner les moyens aux acteurs locaux d'assumer leurs responsabilités. Les comman-ditaires sont plutôt des acteurs au niveau institutionnel, départemental et régional. En effet, ces administrations doivent appliquer des mesures réglementaires, des incitations financières. Elles se rendent compte que ce type d'interventions est peu efficace en matière de gestion du vivant : quand s'achève l'incitation, les acteurs qui en ont bénéficié ne sont pas beaucoup plus motivés qu'auparavant. Elles souhaitent donc que leur action passe davantage par la mobilisation des acteurs.
En ce qui concerne la compréhension de la situation d'action les commanditaires sont assez satisfaits. L'analyse fine des motivations des gens qu'elles soient identitaires, historiques, culturelles, économiques, etc, leur convient. Le passage à la gestion en bien commun est plus difficile.
Eclairer et évaluer de façon globale un problème de gestion du vivant
Illustration : l'audit réalisé pour l'association forêt cellulose (AFOCEL). Cette association natio-nale, financée par les producteurs de pâte à papier, mène des études pour le compte des sylviculteurs et des industriels.
L'AFOCEL a techniquement réussi à améliorer les plans d'eucalyptus pour qu'ils soient cultivés en France, qu'ils puissent apporter un revenu au sylviculteur et être utilisés dans l'industrie de la pâte à papier. Mais ces plans étaient utilisés en deçà de ses espérances.
Pour connaître la nature des blocages, elle a demandé un audit patrimonial ; patrimonial parce que cette association s'est rendu compte que quand il s'agit du vivant, de la forêt en l'occurrence, des rapports autres que la rentabilité, que la faisabilité technique entrent en jeu. Il y a aussi des rapports identitaires, culturels, historiques. Si on n'analyse pas le problème dans cette globalité, aucune solution pertinente ne pourra être mise en place .
L'AFOCEL était satisfaite du rapport d'audit. Les blocages sont identifiés et ont été intégrés à la stratégie d'action de l'association.
Pour ce type de commanditaires, il s'agit d'évaluer de façon globale un problème de gestion du vivant. Ce sont en général des acteurs de niveau national. Il ne s'agit pas de mobiliser les acteurs locaux. Ces démarches s'arrêtent après l'audit.
Les commanditaires en sont satisfaits. Comprenant mieux, de façon transversale, la réalité du problème, ils peuvent améliorer et affiner leur stratégie d'action.
Comme l'a rappelé Dominique Olivier, administrateur de l'association de pays du Ségala Limargue dans le Lot, membre d'un groupe de travail de Sol et Civilisation : " L'audit patrimonial est maintenant sorti de sa phase expérimentale. Un certain nombre de résultats tangibles sont observables. Le rapport de l'étude réalisée par Didier Christin en fait état. Mais l'audit n'est pas une fin en soit pour des acteurs locaux de développement confrontés à un problème complexe, de gestion du vivant, de gestion de leur territoire". D'expérience, les membres de ce groupe ont constaté que la phase la plus délicate est celle du passage de l'audit à la mise en œuvre de la gestion en bien commun d'un territoire. Ce passage dépend en particulier de la clarté du contrat passé avec l'auditeur et de l'implication du commanditaire qui est nécessairement plus importante que dans le cas d'un audit classique.
"L'audit patrimonial est un outil sous-tendu par une idée politique subversive". Le fonctionnement démocratique du territoire est remis à plat. Si on ne prépare pas bien l'action dès le début de l'audit, si la commande n'est pas claire, le commanditaire va au devant de graves problèmes d'incompréhension par exemple avec les élus. Le type d'organisation mise en place à Oloron, l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB) est fondamental pour que chaque acteur du développement du territoire et en particulier, l'élu retrouve sa vraie place, sa place noble.
Sol & Civilisation - La lettre, numéro 3, Août 1997
Pour plus d'informations, contacter: Sol et Civilisation
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Horizon Local 1997
http://www.globenet.org/horizon-local/