Par Julien Coléou, Professeur émérite , Institut National Agronomique Paris - Grignon
Nous ne pouvons pas rester indifférents à la manière dont évolue dans le monde le système animal. Dans l'écosystème terrestre, il constitue le maillon terminal de la chaîne trophique qui va des organismes producteurs de biomasse que sont les végétaux, à celui des consommateurs, que sont les animaux.
Selon les types d'animaux, la biomasse primaire qu'ils exigent pour se nourrir varie dans sa nature. Un herbivore adulte, qu'il soit ou non ruminant, pourrait se contenter d'une ration de fourrages. C'est seulement quand les performances zootech-niques qui lui sont demandées s'élèvent qu'il devient nécessaire de lui fournir, en plus, des aliments concentrés : grains, racines, matières riches en protéines (soja...), etc. Un granivore ne peut pratiquement consommer que de tels aliments concentrés.
Les herbivores peuvent, en outre, jouer un rôle direct très important dans la gestion, l'entretien et l'aménagement de l'espace rural. Par exemple, le cheval contribue à lutter contre la friche en pénétrant facilement dans un espace, même arboré. Il permet aux ruminants, grands ou petits, de le suivre et de pâturer, harmonieusement et en complémentarité, les espaces toujours en herbe.
L'évolution relative intervenue, au cours de ce dernier quart de siècle, dans le système animal mondial (figure 1), doit nous faire réfléchir. En effet, entre 1971 et 1994, les productions de viandes de granivores et autres monogastriques (volailles, porcs...) ont augmenté de 120%, celle des oeufs de 80%. Par contre, les productions d'herbivores (lait et viandes) n'ont progressé, dans le même temps, que de 30 et 20% respectivement, et semblent, depuis quelques années, se stabiliser voire régresser.
Beaucoup de pays ont encore des déficits en aliments éner-gétiques qui vont s'aggraver avec la croissance démographique du XXIème siècle. Surtout risquent de manquer les M.R.P., ou matières premières riches en protéines. La ressource mondiale est inférieure à 30 Kg de M.R.P. par habitant et ne devrait pas dépasser ce chiffre en 2010. Or le modèle d'alimentation européen comme le modèle américain fait actuellement appel à 125 kg de M.R.P. par habitant et par an. Il est en voie d'être copié à travers le monde : Taiwan en consomme déjà plus 150 kg. La Chine n'est qu'à 15 kg, le Bangladesh à 1,5 kg.
Cette évolution n'induit aucun risque direct pour l'alimentation de l'homme. Mais, le fait qu'elle est enregistrée dans les pays en développement, comme dans les pays développés, nous incite à nous interroger sur la capacité de la planète à assurer assez d'aliments pour animaux (maïs, soja...) permettant la réalisation des productions animales correspondantes.
L'évolution observée a un autre impact négatif sur l'envi-ronnement. Les systèmes à base de monogastriques (porcs...) peuvent, en effet, se développer sans relation directe avec le sol, producteur de biomasse. Avec la mise en place de systèmes hors sol, il n'y a plus d'éléments régulateurs et l'on assiste à une densification des productions animales dans certaines régions du monde.
L'ambition néerlandaise, depuis longtemps une réalité et non un projet, était de devenir le plus gros exportateur mondial de produits animaux dans différentes disciplines alors qu'ils ne possèdent que :
- 13 ares par habitant de surface agricole utilisable, contre 40 en moyenne dans l'Union Européenne, plus de 160 aux USA, près de 500 en Nouvelle Zélande ou en Argentine,
- 80 kg de céréales produites par an et par habitant, ce qui est à peu près la quantité consommée directement par l'homme,
- pas de matières riches en protéines d'origine nationale.
Ce choix a déjà induit des dégâts notoires sur l'environnement car il a fallu, pour réaliser cet objectif, importer des quantités crois-santes d'aliments concentrés, dont le volume a atteint l'équivalent de 85 quintaux par hectare de SAU. C'est comme si, au dessus de chaque hectare néerlandais, déjà très intensifié, on avait placé un hectare venu d'ailleurs et jusqu'à 3 ou 4 ha dans le sud est du pays.
Résolument nous devons réfléchir à cette évolution et ne pas laisser reculer ces merveilleuses machines animales que sont les différentes espèces de ruminants, capables d'entretenir l'espace en portant, sur quatre pattes, un biofermenteur extraordinaire : le rumen. Pas plus que la plus noble conquête de l'homme, le cheval et ses modestes satellites, l'âne, le mulet, le chameau... qui lui ont tant donné sur les chemins et les champs du monde et qu'il est en train de répudier ou d'oublier dans sa superbe ingratitude.
Sol & Civilisation - La lettre, numéro 5
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Horizon Local 1997
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