Alain Hajjaj, ancien chef de projet à La Verrière, est chargé des affaires sociales à Trappes (78)
Trente années passées dans les banlieues lui permettent d'en connaître l'évolution, de dresser un constat objectif de la situation actuelle et de proposer quelques pistes de travail.
Dans les banlieues :
- La concentration des populations difficiles continue de s'accélérer. Chaque année, des dizaines de familles qui ont un travail, des revenus partent. Les jeunes retraités repartent vers leurs lieux d'origine, souvent en province.
- La précarité du quotidien due au chômage, à l'augmentation du nombre des divorces, des ruptures familiales, s'installe.
- La crise de la citoyenneté : trouver des habitants acteurs, porteurs d'objectifs de transformation devient bien difficile. Leur première préoccupation va bien sûr à assurer le quotidien.
- Des pans entiers de la représentation de l'Etat soit disparaissent, soit ne rendent plus le service de qualité auquel ces populations ont droit. Les fonctionnaires sont confrontés à des difficultés permanentes. Certains sont fragilisés, d'autres partent.
- L'économie souterraine, pas toujours conforme aux lois républicaines, se développe. Dans deux, trois ans, l'argent qu'elle produit sera la première source de ´ richesse ª avant les prestations sociales et le travail.
- Le sentiment d'assignation à résidence domine. Dans les années 60, 70, elles étaient un lieu transitoire d'habitat. On y restait 5, 10 ans, le temps d'asseoir une situation sociale pour partir vers d'autres lieux. Il y avait le choix. Aujourd'hui ce n'est pas le cas. Dans ces conditions, comment demander aux gens de se sentir citoyens ?
Or, dès 1973, certaines résidences n'ayant que 5 ou 10 ans, on parlait déjà de réhabilitation des banlieues. Malgré tous ces dispositifs, malgré l'énergie dépensée, les résultats se font attendre. Certes, on peut se demander ce que seraient devenues les banlieues sans tous ces dispositifs. Mais comment se contenter de cette remarque ?
Aujourd'hui, les interventions sont toutes concentrées sur le traitement de l'urgence. C'est bien le problème. S'il y a quelques années, les acteurs sociaux travaillaient sur la prévention des impayés des loyers, aujourd'hui leur travail est uniquement concentré sur la gestion des expulsions locatives.
Les réhabilitations des cités, la construction d'équipements qui ont consommé beaucoup d'argent public vont maintenant s'achever. Or les immeubles ont été construits pour une durée de vie de 30, 40 ans. Commence donc à se poser la question du devenir de ces banlieues ! Doivent-elles redevenir un lieu d'habitat transitoire ou doivent-elles se transformer en villes ? Il faudrait plutôt se demander : " A quoi pourraient servir les banlieues ? "
Le défi qui nous est posé, c'est de ralentir la dérive des quartiers et de faire en sorte que la présence de l'Etat reste forte afin que il y ait encore la possibilité d'agir. On peut inscrire ce défi dans un rapport au milieu rural :
- L'exode des retraités continue. Or, tout départ est une source de dysfonctionnement dans les cités. Il serait intéressant de faire persister des passerelles entre cette population qui avait quelques racines dans les banlieues et ceux qui restent.
- Le rapport au milieu rural reste très présent. 80 % des habitants des banlieues sont issus des milieux ruraux que ce soit la population franco-française ou celle liée à l'immigration qui vient exclusivement des milieux ruraux du Maroc, du Mali, du Sénégal ou d'ailleurs.
Il y a des files d'attente pour disposer d'un des 300 jardins ouvriers de Trappes. Des associations d'africains travaillent avec des villages du Mali pour les aider à se développer et essayer de faire en sorte que la population puisse faire le choix de rester au pays.
Il convient de poursuivre la réflexion sur le moyen d'organiser des collaborations en s'appuyant sur cet attachement au milieu rural.
- Enfin, le manque de référence au territoire est problématique dans les quartiers. Quand il s'organise, c'est sur des images négatives, sur des rapports de violence. Or, un projet de développement local, de dévelop-pement urbain se construit sur un sentiment d'identité.
Le monde rural a beaucoup à apporter aux urbains sur l'attachement au territoire, sur sa défense, la mobilisation des énergies et des potentiels pour le développement, et sur les solidarités intercommunales. Beaucoup de petits pays de France ont trouvé, en s'unissant, le moyen de dépasser un certain nombre de problèmes et créer des équipements, accueillir des entreprises...
La solidarité intercommunale, à l'image de certaines campagnes françaises, doit devenir un objectif prioritaire dans les villes et les banlieues pour que la solidarité joue plus efficacement. Tant que nous resterons sur des phénomènes de concentration non partagées, dans certaines villes, dans certains quartiers, nous aurons du mal à retrouver des formes d'équilibre, à la fois pour les populations et pour ceux qui y travaillent.
Il est indispensable de dépasser la gestion de l'urgence pour aborder le traitement de fond des problèmes des banlieues. La collaboration avec des ruraux est certainement un moyen d'y parvenir.
Pour plus d'informations, contacter: Sol et Civilisation
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Horizon Local 1997
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