Par Henry Ollagnon - Professeur associé à l'INA-PG
La gestion de la qualité du milieu rural n'est-elle pas aujourd'hui à redécouvrir ? L'eau d'une nappe phréatique, par exemple, est-elle aussi simple à appréhender et à prendre en charge qu'il y parait ?
S'agissant de la même nappe phréatique, une première constatation assez curieuse...
Pour certains, les économistes , une goutte d'eau est une ressource économique. Leur langage n'est qu'économique.
Pour d'autres, les écologistes, c'est un milieu de vie. Ils proposent un discours écologique.
Pour d'autres encore, les technico-administratifs , c'est à la fois une ressource économique et un milieu de vie, mais en tout cas, c'est toujours un objet de gestion publique. Il faut donc lui appliquer des règles publiques dans le cadre d'une approche administrative.
Pourtant, c'est la même goutte d'eau ! L'eau pose un problème tout simple : elle a une multitude de dimensions. Une multitude de personnes sont en relation avec elle. Mais leurs différents regards sur l'eau ne se rencontrent pas, ne s'enrichissent nulle part et, pire, ils se désorganisent les uns les autres.
Un de nos gros problèmes aujourd'hui, c'est d'admettre que le mot eau a un contenu sémantique très divers selon les acteurs, mais que c'est de la même eau dont il s'agit.Deuxième fait assez bizarre. Certains me disent : vous perdez votre temps à vous préoccuper de l'eau. La société humaine a toujours trouvé les réponses aux problèmes qui lui ont été posés. Si on dégrade l'eau libre et naturelle, on construira un cycle de l'eau artificiel. De toutes fa çons, dans trois générations, on quittera la biosphère ! . Ce propos n'est pas anecdotique. Beaucoup d'opérateurs, con-frontés à la complexité, la dénient par des rêves aussi discutables que celui-là !
D'autres disent : L'homme est la seule espèce qui dérange la nature. Maintenir la nature impose de réduire les libertés de l'homme. J'ai retrouvé ce propos ailleurs. Ceux-là veulent troquer la qualité de la nature contre la liberté de l'homme. Cette dégradation rampante de la liberté de l'homme est un vrai risque pour l'humanité à long terme. Aujourd'hui, après avoir nié les réalités écologiques, l'homme peut facilement mutiler sa propre liberté.
De la même manière que l'eau souterraine se dégrade en Alsace, oû nous l'avons étudiée, dans le monde rural et dans l'entreprise, nous consommons du potentiel de nature pour notre liberté. Si on ne reconstitue pas ce potentiel, nos enfants n'auront pas de liberté : s'il n'y a pas la possibilité de br ûler du potentiel, s'il n'y a pas de l'eau pure à dégrader, si on ne peut pas tuer des ours, si on ne peut pas faire un certain nombre de bêtises, il n'y a pas de liberté !
Une question se pose aujourd'hui : l'homme peut-il redonner des potentialités à la qualité de la nature, à la qualité du vivant, à la qualité de nos organisations sociales ?
Je suis parti de l'intime conviction que l'homme pouvait le faire, en laissant la nature se reconstituer, mais aussi en injectant toute son intelligence, toute sa capacité à aimer pour la reconstituer. J'ai cherché à quelles conditions, dans quelle posture des hommes pouvaient avoir envie d'injecter ensemble de la patri-monialité . La patrimonialité, c'est l'ensemble des moyens matériels et immatériels sur lesquels s'appuie chacun pour construire son identité et son autonomie par adaptation dans le temps et dans l'espace.
Ce qui caractérise l'eau, comme l'ours des Pyrénées1, c'est qu'ils passent au travers des propriétés publiques et privées... Le vivant interagit et nos modèles théoriques, par construction, nient cette interaction. Une fois que l'on a admis que l'eau circule à travers les boîtes publiques et privées, on a déjà résolu 90% du problème : on est dans une posture intérieure qui refuse toute démarche de pensée et d'action niant le mouvement et l'interaction.
J'ai donc recherché des méthodes permettant de susciter le changement de comportement d'un ensemble d'acteurs.
Il est nécessaire d'écouter toutes les personnes concernées, de leur demander leur avis sur la fa çon d'opérer ce changement et de leur restituer leur propre analyse de la situation et de ses solutions. Il s'est avéré que les Alsaciens se sont retrouvés autour d'un consensus non dit sur la situation de l'eau : ils considéraient comme allant de soi qu'il fallait maintenir un état de nature tel qu'ils l'avaient re çu eux-mêmes. Ce consensus est extrêmement fort !Seulement, nous avions mis une énergie phénoménale à les écouter, en leur demandant leur expertise sur une situation qui les intéressait. Or, cette démarche d'écoute active n'existait pas dans notre société qui a privilégié des modèles qui, plutôt que d'activer l'écoute, proposent ce qu'est la vérité.
J'ai essayé de trouver une boîte à outils qui permette de respecter toutes les formes d'intelligence dans l'action pour faire en sorte que ces multiples acteurs se rencontrent, se mettent en posture de résoudre ces problèmes complexes. Et ce, en recherchant des jeux à somme positive, des accords que tout le monde a envie de prendre en charge.
Notre société a construit la bombe atomique. Notre société de puissance peut entraîner aussi bien, très rapidement la mort de l'humanité que son bonheur à long terme. Surgit avec la bombe atomique, la question de la responsabilité humaine. Nous n'avions réfléchi ni au niveau de la biosphère, ni au niveau local, à la construction de cette responsabilité. Pourtant, nous sommes tous, qu'on le veuille ou non, des micro-macro acteurs .
Gérer la biosphère, gérer des ours, gérer une nappe phréatique, gérer le milieu rural, c'est complètement neuf. Et toutes les démarches que j'ai essayé de développer permettent à chacun d'être mieux micro-macro acteur .
Le vivant nous amène à nous décontaminer de certaines mises en boîtes dans lesquelles nous nous sommes enferrés. Si la qualité de l'eau est signe de contrainte, elle est perdue, parce que nous avons d'immenses capacités de nuisance. Par contre, il y aura de l'eau de qualité si nombre d'acteurs de différents niveaux ont envie de se rencontrer, de discuter, de prendre en charge quelque chose qui sera positivement leur patrimoine commun.Sur une table : une orange et un couteau. Autour de la table : Sophie et Marie. Comment partager l'orange pour obtenir un jeu à somme positive ?
- Couper l'orange en deux et en donner une moitié à Sophie et l'autre moitié à Marie. C'est un jeu à
- somme nulle.
- Il vaut mieux retirer le couteau pour ne pas qu'elles se disputent. Ce serait un jeu à somme négative.
- Les écouter attentivement et de manière confidentielle : Sophie veut le zeste pour faire un g,teau et Marie veut la pulpe pour boire un jus.
C'est l'explicitation d'un jeu à somme positive.
Cf Fisher et Uri : Comment réussir une négociation ? - Seuil
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Horizon Local 1997
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