Par Joseph Serin, Comité d'expansion de l'Avezron
La rénovation du milieu rural implique une volonté d'entreprendre
Il est courant de dire que nous vivons un epèriode de profonde mutation.
Quelle incidence aura-t-elle sur les milieux ruraux
Quels seront les acteurs de la nouvelle évolution du milieu rural qui se profile?Un système à la fois générateur de cassures et porteur de germes pour le milieu rural
Le système dominant basé sur l'industrie et le commerce a entraîné une concentration de la population et des emplois dans les villes, dans de grandes entreprises et dans de grandes institutions. Il a construit sa croissance sur la fabrication de productions de masse (agricoles et industrielles) réalisées dans le cadre de quelques grandes filières tirées par une poignée de grandes entreprises.
Ce système poursuit sa course avec l'aide de groupes médiatiques et financiers espérant trouver son plein épanouissement au niveau mondial.
Il provoque de multiples cassures dans la société des hommes et dans les territoires mais, en même temps, il porte en germe des évolutions auxquelles il convient de prêter attention.
Alors que le développement industriel s'est traduit par une forte concentration des investissements et des emplois, on admet qu'à l'avenir ce sont les compétences individuelles qui caractériseront le développement attendu du tertiaire.
Ainsi, autant le chômage a été en croissance rapide dans l'univers répétitif de l'industrie, autant on estime que les nouveaux gisements d'emplois sont à explorer dans de multiples services qui s'adressent aux personnes et aux entreprises et dans des activités nouvelles liées aux technologies de l'information.
De même, les consommateurs européens semblent de plus en plus réceptifs à des produits qui s'identifient à un terroir ou qui témoignent de la qualité.
D'une façon générale, la demande augmente en matière de produits de qualité, de services de proximité, de prestations personnalisées.
Tout se passe comme si, libéré des tâches agraires par la mécanisation de l'agriculture, libéré des tâches répétitives de l'industrie et des services et inquiet devant la mondialisation de l'économie, l'homme redécouvrait l'homme et le territoire.
N'est-on pas en train de constater que le système actuel dominé par une organisation mécaniste induisant spécia-lisation, concentration et mimétisme a atteint ses limites ?
Ne devons-nous pas prendre conscience qu'il y a nécessité à gérer des systèmes complexes, que les nouvelles technologies de l'information peuvent autant favoriser la concentration que la liaison entre des unités disséminées et qu'il est urgent que nos vieilles civilisations redécouvrent l'innovation afin de lutter contre la tentation du repli sur soi ?
Le milieu rural doit retrouver l'envie d'entreprendre
Hier réservoir de main-d'oeuvre, aujourd'hui considéré comme réservoir de paysages, de loisirs et de traditions, l'espace rural n'en finit pas d'être soumis à la pression de la ville.
Ses collectivités de faible taille et sans moyens financiers se sentent totalement dépendantes des subventions extérieures. Par ailleurs, on constate aussi que des collectivités s'orga-nisent autour de Projets de territoire et développent des stratégies de mobilisation de leurs ressources propres.
Bien que des agriculteurs établissent leurs schémas d'exploi-tation en cherchant avant tout à optimiser les aides de la PAC, d'autres recherchent de la valeur ajoutée et d'autres encore réfléchissent à des systèmes durables.
Les artisans constituent une troisième catégorie d'acteurs importants en milieu rural. Ils apportent des services de proximité et créent de l'emploi. Ils démontrent que des métiers alliant savoir-faire et marché constituent toujours une voie à explorer.
Le constat général, somme toute, est que l'esprit d'entreprise s'est étiolé en milieu rural et qu'il y a carence de porteurs de projets.
Pourtant le monde rural ne manque pas d'atouts.
- Une part significative de la population active est entrepreneur.
Agriculteurs, artisans, commerçants, professions libérales, chefs d'entreprises constituent ce vivier. Bien que leur vitalité s'étiole et que les jeunes continuent à rechercher majori-tairement un emploi salarié et urbain, il n'y a pas de doute qu'il subsiste des " pieds de cuve " d'entrepreneurs.
Il existe des ressources spécifiques.
Au-delà des ressources bien identifiées (qualité des paysages et du patrimoine, existence d'espace et de matières premières, etc), le milieu rural est potentiellement riche de la qualité des ressources humaines, de son identité et de l'existence de liaisons entre les hommes plus faciles qu'ailleurs.
Autant d'éléments qui seront déterminants à l'avenir s'ils sont mis en dynamique.
Le milieu rural est donc à même de capter certaines évolutions de la société.
On constate une demande croissante de population urbaine de réaliser, à travers une création d'entreprise en milieu rural, un véritable projet de vie.
De nouveaux habitants s'installent en milieu rural. Ces couples qui continuent à travailler en ville, ces retraités, ces résidents secondaires disposent souvent de revenus supé-rieurs à la moyenne des ruraux. Ils expriment des besoins en matière de services, d'activités culturelles qui peuvent générer de nouveaux services et de nouvelles activités.
La demande croissante de l'emploi féminin, le vieillis-sement de la population, la pluri-activité dans les ménages d'agriculteurs, sont autant d'éléments qui caractérisent des évolutions sociales profondes du milieu rural.
Des voies à explorer et à expérimenter
Il convient tout d'abord de rappeler deux postulats de base empruntés à Michel Godet :
C'est l'entrepreneur qui crée l'activité et c'est l'activité qui crée l'emploi.
Ce sont les hommes et leurs organisations qui feront la différence entre les territoires.
Ces deux postulats établissent de fait une relation étroite entre l'entrepreneur et son territoire.
En l'absence d'un mouvement naturel d'émergence d'entre-preneurs, l'acte d'entreprendre n'est plus seulement un fait individuel. Il peut être la résultante d'une forte volonté et d'une bonne organisation locales.
Dans cette période, loin d'être close, de mutation, de restruc-turation et d'incertitude, le développement local n'est plus vécu, comme dans les années 70, comme une relation affective à un terroir. Il exige aujourd'hui, parce qu'il y a urgence, un profond renouvellement des orientations et des priorités dans l'action locale. Cela concerne l'ensemble des acteurs : les collectivités, les entreprises et les associations et c'est leur responsabilité.
L'organisation des territoires ruraux comprenant une masse critique de population et d'activités, mis en dynamique grâce à l'élaboration d'un projet de territoire est l'élément de base de toute action de développement local.
Quatre voies sont esquissées pour recréer la volonté d'entreprendre :
Stimuler l'esprit entreprenarial,
Organiser l'accueil des créateurs,
Apporter de nouvelles réponses aux nouvelles attentes des entreprises,
Expérimenter de nouvelles formes de travail.
Stimuler l'esprit entreprenarial
Les territoires ruraux doivent développer une stratégie offensive de créations de nouvelles activités et de nouvelles entreprises.
En affirmant cet objectif, Sol et Civilisation est conscient de s'inscrire à contre-courant de l'opinion dominante française qui est enclin à imaginer plutôt des solutions de redistribution que des solutions de création d'activités et donc de création de nouveaux emplois.
Sol et Civilisation est convaincu que l'avenir des zones rurales, compte tenu de la prédominance de petites entreprises, passe davantage par la croissance du travail indépendant que par le développement du travail salarié normé.
Nous vivons en effet une nouvelle révolution industrielle qui va générer une autre organisation du travail reposant sur de petites unités reliées en réseau. A l'image de l'agriculture, qui a fait la démonstration dans un passé récent qu'un secteur économique reposant sur de petites unités de production disséminées, a été à même de créer des outils de formation, de crédit, de mutualisation, de valorisation, les milieux ruraux peuvent aujourd'hui être un laboratoire pour la société française de création d'activités nouvelles et de nouvelles formes de travail.
Organiser l'accueil des créateurs
La création d'activités nouvelles en milieu rural constitue un enjeu majeur qui contribuera à renouveler le tissu économique et social et à redynamiser son économie.
Cela concerne l'évolution des secteurs traditionnels (diversifi-cation agricole, modernisation des activités commerciales, adaptation de l'artisanat). Cela vise aussi à favoriser l'éclosion ou le développement d'activités nouvelles liées à l'utilisation des technologies de la communication ou au développement des services aux particuliers et aux entreprises. Ces activités seront le fait d'entrepreneurs issus du pays ou de la ville, issus du monde salarial ou du chômage, voire du RMI.
Face à ce défi, le milieu rural est encore mal armé. Culturel-lement, il n'est pas préparé à "l'accueil " de nouvelles activités et de nouvelles populations. Et ce comportement a été accentué par plus d'un siècle d'exode rural. En terme de logistique, tout est à créer.
Mais déjà, ici ou là, des groupes de détection et de parrainage se créent et se forment pour accompagner les créateurs, des plates-formes d'initiatives permettant d'apporter des fonds propres se mettent en place. On réfléchit aussi à de nouveaux concepts de pépinière d'entreprises ou de centre de ressources partagées. Des dispositifs d'accueil de créateurs, de formation, de recherche d'information, de mise en commun de moyens sont expérimen-tés. Il conviendra aussi d'apporter des réponses aux publics des créateurs qui n'ont pas ou peu de moyens financiers, à la relative frilosité des banques lorsqu'il y a prise de risque, aux financements de projets " atypiques ".
Au niveau local, se profile ainsi la nécessité de disposer d'une organisation ayant des compétences affirmées pour accompagner ces créateurs et notamment ceux qui créent leur propre emploi, ceux qui ne sont pas issus du rural, ceux qui ont besoin de soutien individualisé.
Apporter de nouvelles réponses aux nouvelles attentes des entreprises
Les entreprises, et plus particulièrement les entreprises dissémi-nées en milieu rural, expriment de nouveaux besoins :
Elles ont des besoins en travail beaucoup plus faibles en volume mais plus intenses en compétences, et pas nécessaire-ment à temps plein.
Elles sont en recherche d'informations sur l'évolution des marchés et des technologies, sur les nouvelles formes de commerce.
Elles tendent à se recentrer sur leur métier de base et se tournent vers l'extérieur pour faire effectuer d'autres tâches.
Elles éprouvent le besoin de définir des stratégies à moyen terme à partir de leur position actuelle.
Des agriculteurs découvrent les pratiques courantes d'entrepri-ses lorsqu'ils réfléchissent à l'organisation du travail, lorsqu'ils recherchent de la valeur ajoutée ou lorsqu'ils se diversifient. Or il convient de noter que peu d'aides à l'immatériel leur sont consenties.
La nécessité d'apporter des réponses interpelle les collectivités locales qui prennent conscience que les offres traditionnelles de bâtiments ou de terrains sont insuffisantes et qu'il convient plutôt de travailler sur l'environnement des entreprises.
Cela interpelle aussi les financeurs publics (Région, Etat) qui mettent en oeuvre des procédures d'aides financières automa-tiques et égalitaires sur tout le territoire alors que les entreprises demandent de plus en plus une réponse ajustée en fonction de leurs particularités et du contexte dans lequel elles évoluent.
Cette approche spécifique devrait constituer le coeur des stratégies de l'action économique des collectivités territoriales.
Il convient enfin d'être attentif à l'accès au financement des créateurs de micro-entreprises. Des initiatives nationales permettent de répondre à des créateurs de leur propre emploi en intervenant à la fois sur le crédit et les fonds propres.
Amplifier ces initiatives est une mesure indispensable.
Mais la notion de financement repose sur celle de risque. Si les banquiers se montrent frileux pour soutenir la création de micro entreprises en milieu rural, c'est parce que le risque encouru leur paraît supérieur à celui qu'ils accepteraient d'une entreprise plus importante, mais implantée sur un marché de proximité plus large.
Prenons l'exemple d'un supermarché implanté dans un centre urbain. Il est évident qu'il est bien placé pour attirer la clientèle issue des communes rurales environnantes ; l'inverse ne se produira évidemment pas. C'est là que l'on peut mesurer la réalité et l'intensité d'un risque et non à la taille de l'entreprise.
L'agriculteur ne livre pas seulement sa production, mais entretient aussi un paysage déterminé, celui du pays où il exerce son activité. Le commerçant local ne distribue pas seulement des produits mais assure par sa présence une convivialité villageoise. Or, le consommateur ne considère que la valeur produit livré par la distribution, indépendam-ment de l'entretien d'un paysage que chacun cependant apprécie. De même, le rural est tenté par les prix apparemment plus faibles du supermarché sans percevoir qu'il contribue ainsi à condamner à terme le pays auquel il est attaché.
S'il apparaît difficile, mais pas impossible, l'imagination aidant, d'espérer la compréhension de banquiers soumis eux-mêmes à la rude loi d'une concurrence élargie, il est raisonnable d'espérer que l'Etat, gardien de l'équilibre de son territoire, puisse repenser la fiscalité de ces micro entreprises rurales de façon à tenir compte du risque qu'elles encourent, à un petit niveau certes, mais c'est celui de leur survie.
Après tout, l'ancien régime nous a laissé une multitude de Villefranche et de Villeneuve, libérée du poids fiscal dans le souci de créer un réseau urbain. La République, après le grand exode rural qu'elle a connu, devrait prendre une initiative de cette nature pour les milieux ruraux menacés dans leur existence.
Expérimenter de nouvelles formes de travail
Il convient d'être attentif au foisonnement de la vie associative dans le domaine de la culture, des loisirs, de l'aide aux populations défavorisées, de l'offre de services de proximité, de l'environnement.
Générateur de lien social, le milieu associatif peut aussi s'avérer initiateur de nouveaux services.
De nombreuses petites entreprises en milieu rural prennent conscience qu'elles pourraient "partager" des compétences, des pointes de travail, des services spécialisés. Il y a là un champ d'investigation trop peu exploré à ce jour et des solutions, autres que les seuls groupements d'employeurs, pourraient être expérimentées.
Certains pays européens tels que l'Irlande, le Royaume-Uni ont choisi de privilégier l'auto-emploi comme réponse au double défi de la création d'emploi par des chômeurs et de la satisfaction de nouveaux besoins.
En milieu rural, l'auto-emploi est largement associé aux notions de polyvalence, de pluri-activité. Pour que cette perspective se développe, il importe que ces micro-entreprises soient bien insérées dans leur environnement afin de réduire les risques de précarité.
Dans d'autres pays européens tels que la Suède et l'Italie, on constate le développement de nouvelles formes de coopératives (les coopératives sociales en Italie, coopératives de femmes en Suède). Plus petites que les coopératives et les mutuelles du début du siècle, centrées sur la vie locale, soucieuses de rentabilité économique, elles constituent des références pour l'économie sociale.
Au cours de la dernière décennie, les milieux ruraux se sont embellis, ils affirment une nouvelle identité, ils affichent parfois des réussites économiques, ils foisonnent d'initiatives sociales. L'agriculture n'y occupant plus un rôle dominant, les différents acteurs s'y sentent plus partenaires. Ce sont sur ces bases rénovées que les milieux ruraux ont l'ambition d'offrir aux urbains un ensemble de produits de services, de paysages, de traditions qui sont indispensables à l'équilibre de notre société.
Ils réussiront ce défi si l'envie d'innover et d'entreprendre l'emporte sur la culture du handicap.
Ainsi, les milieux ruraux peuvent devenir des laboratoires à même de régénérer la démocratie locale et de dynamiser l'économie rurale.
Sol & Civilisation - La lettre, numéro 8, mars 1998
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