Partie I/ Aides publiques et coopération avec le secteur agricole
Partie II/ Les partenariats avec les organisations paysannes africaines
Partie III/ Modalités de mise en oeuvre de l'APD au secteur agricole
Partie I/ Aides publiques et coopération agricole
- Sens et contresens de l'Aide Publique (APD)
- Les priorités du développement du secteur agricole et celles de l'APD à ce secteur
- Une coopération à concevoir avec les acteurs africains du secteur agricole
- Et la coopération décentralisée ?
1. SENS ET CONTRESENS DE L'AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT
- Il s'agit d’examiner les fondements de l’APD par rapports aux grands courants de l’économie du développement. Au-delà des discours officiels des différentes agences d’aide, l’analyse doit permettre de mettre à plat les référentiels qui guident l’action (régulation marchande, rôle de l’Etat, lutte contre la pauvreté ou contre les inégalités) : quelles visions véhiculent les agents d'aide sur l'économie d'un pays, sur sa vie institutionnelle et politique ?
1.1. L'APD, modalité de transfert de ressources et de savoirs, mais dans quels buts ?
Exemple :
"La planète terre est devenue tellement petite qu'on ne peut pas souhaiter aujourd'hui à un pays d'être enfermé sur lui-même. J'aurais souhaité même qu'on supprime toutes les frontières : celles de la science, de l'expérience, de la coopération entre les hommes. Et à ce niveau, nous avons plus à gagner ensemble que quiconque parce que nous ne bénéficions pas de l'appui logistique, de toutes les infrastructures des centres de recherche dans le monde, nous n'avons ni les moyens, ni les compétences. A ce niveau, nous pensons qu'il y a plus intérêt à intégrer notre développement dans le cadre général du développement du monde. Et un régime qui ne ferait pas cela va à son échec". (Cadre malien, IRAM, p. 218)
* L'aide dans un système libéral où tout circule ... équivaut à un transfert de ressources. Ce transfert a un objectif essentiel, celui de réduire les coûts dus à la limitation de la circulation des hommes. Si on laissait les hommes circuler à travers le monde, il n'y aurait pas besoin d'aide, ils iraient là où ils estiment devoir vivre. L'aide a pour objectif de les aider à rester dans leur région d’origine, c’est le prix que doivent payer les pays riches en compensation de l’entorse à la liberté de mouvement des personnes qu’exigerait un système authentiquement libéral. La finalité de l’aide est en quelque sorte le contrôle du peuplement de la planète. Si on regarde l'aide sous cet angle, on doit bien observer ses effets sur les différentes formes de mobilité au sein des régions en voie de peuplement.Un effet négatif de l'aide parfois, est d'accroître l'immobilité sociale et géographique, par exemple on maintient des paysannats, là où il n'y a pas de possibilité pour un paysan de progresser, on équipe des villages qui sont destinés à être marginalisés. On ne voit pas par contre que dans la région des Grands Lacs, il était nécessaire que les populations puissent s'épandre hors des territoires exigus du Rwanda et du Burundi, et rien n’a été fait pendant trente ans dans cette zone dans ce sens. (Consultant, F.)
* Il est essentiel de prendre à contre-pied la tendance " privée pure " : c’est-à-dire une libéralisation pour certains et une assistance sociale organisée pour d’autres, qu’on appelle " lutte contre la pauvreté ". Or, la pauvreté n'est pas à part : elle est une conséquence en partie du système d’ensemble et donc aussi de la libéralisation. Il faudra donc veiller à ce qu’il n’y ait pas d’économique proprement dit et combattre pour que les critères sociaux ne soient pas mis à part mais soient intégrés dans les choix socio-économiques. Il faut, d’une certaine façon, investir l’économique. Ceci implique qu’il faut résister à la pression internationale, avoir une autre politique que celle véhiculée partout et l’affirmer sinon l’argent de l’aide s’en ira seulement vers l’assistance. A ce moment-là, ce sera le champ libre aux délocalisations continuelles entre les pays et les régions. Il faut réinvestir sur une économie durable et une économie durable comprend la dimension sociale. Que nos positions soient claires. S’il y a un programme dit de développement rural, qu’il comprenne à la fois la politique économique et la politique sociale. Cela entraîne des modifications pour le système d’aide. Arrêter de dire : " Aider les pauvres ", ne pas développer d’appareils d’aide humanitaire, mais aider à la construction économique à partir de la base et, en même temps, aller vers un état démocratique. (Adm., F.)
1.2. L'APD, abusivement placée au centre du dispositif de développement
* Les objectifs de l’aide occupent le centre et même parfois la totalité de l’espace du développement. Les priorités et les stratégies sont définies de l’extérieur. Le débat porte trop sur le développement avec une intervention exagérée des bailleurs et pas assez sur les modalités d’aide en laissant l’initiative aux institutions bénéficiaires. (Consultant, F.)
** "Pendant nos débats, nous parlons de plus en plus, à la Banque, d'une approche différente. Une approche qui n'est pas imposée par nous à nos clients, mais élaborée par eux, avec notre aide. Une approche qui, par-delà les projets, nous amène à réfléchir avec beaucoup plus de rigueur à ce qui fait que le développement, au sens le plus large du terme, peut être durable". (James D. Wolfensohn, 1998, p.13)
"Nous-mêmes nous n'avons pas une bonne compréhension, une bonne maîtrise et une bonne gestion de l'aide. Ce qui fait que, quand on nous amène des fonds, quel que soit le volume, on prend et après on se retrouve dans les difficultés". (Cadre nigérien, IRAM, p. 244)
"Je considère la coopération comme un jeu de cartes. Si vous jouez bien, vous gagnez. Si vous jouez mal, on vous gagne. C'est clair et net, je ne vois pas ça autrement, c'est comme ça. Et nous avons toujours mal joué et nous continuons à mal jouer parce que l'aide, en tant que telle, c'est une fin en soi. Souvent, c'est une conjoncture difficile, dès qu'on a de l'argent, on prend, parce qu'on a des difficultés pressantes et on ne pense pas à demain, et, effectivement après, on a des difficultés". (Cadre nigérien, IRAM, p. 252)
1.3. Limites habituelles des analyses sur l'APD
- Des analyses souvent pertinentes sont portées sur l’aide. Elles sont principalement le fait de personnes impliquées dans le système d’aide, souvent en position d’intermédiaires (consultants, bureaux d’études, ONG, ...). Les acteurs impliqués dans le système d’aide, au Nord comme au Sud, ont tendance à analyser les faiblesses de l’aide en mettant en avant ses rigidités mais questionnent en général peu les priorités, le contenu et les cibles de l’aide. Ils préconisent des aménagements dans la mise en oeuvre de l’aide (formes et modalités de son intervention) sans aborder de front ses finalités, ses stratégies et ses priorités.
Les analyses sur l’aide achoppent aussi souvent sur des problèmes réellement identifiés et ressentis mais qui restent posés trop globalement. Il convient de " descendre " un peu et d’adopter un cadrage géographique adéquat (pays, voire petite région) pour redonner au débat sur l’aide une consistance et mettre réellement en évidence l’importance du jeu des acteurs dans l’efficacité de l’aide. L’exemple a été donné pour un pays, le Burkina Faso. Qui, dans ce pays, maîtrise réellement les données chiffrées des aides qui arrivent à destination du secteur agricole ? Qui est réellement associé aux discussions sur l’allocation de ces aides ? La plupart des acteurs concernés (les responsables paysans, les ONG) négocient en général à la marge du système, alors que les principaux choix ont déjà été faits sans aucune intermédiation.
1.4. Certains responsables du Sud ont conscience de la nécessité de la fin de l'Aide
- Les entretiens conduits au Sahel auprès de responsables paysans et de cadres d’ONG montrent qu’ils sont plus conscients que les intermédiaires de la fin inéluctable de l’aide. Cela les amène à réfléchir sur les stratégies de mobilisation de ressources financières diversifiées :
"Nous avons toujours dit qu'il fallait lutter contre la mentalité d'assisté. Pour nous, l'aide est une nécessité mais durant un temps bien déterminé. Si on utilise cette aide dans un sens bien défini, que nous la gérons bien, que nous l'utilisons bien aussi, je crois qu'à un certain moment nous pourrons nous passer de l'aide". (Malick Sow, P, FAPAL, Sénégal)
"Le papa, chez nous, peut s'occuper de son fils jusqu'à un certain âge, mais si le fils ne se grouille pas, il l'abandonne ! Je compare ceux qui appuient financièrement l'Afrique à ce père : ils ont beaucoup donné, mais il n'y a pas eu de grands changements, surtout dans le cas du Tchad. Je trouve que les conséquences de l'ajustement ne sont parfois pas très intéressantes, mais cela doit permettre aux gens de se ressaisir et de modifier leurs comportements. Si nos dirigeants continuent d'utiliser l'aide comme l'argent de leur poche, on finira par ne plus être aidés. Cela aussi bien au niveau national qu'au niveau des groupements". (Aminé Miantoloum, ASSAILD, Tchad)
"L'aide a sensiblement baissé et toutes les structures paysannes qui ont été créées pendant les années 77 à 85 en sont conscientes. Elles ont pu suivre cette baisse de l'aide et éprouver des difficultés pour trouver des financements. C'est pourquoi elles pensent à développer des activités de crédit et d'épargne pour suppléer à la diminution de l'aide. Les associations qui mènent actuellement des activités et reçoivent des financements extérieurs sont en nombre très limité. Comme l'aide ne vient plus, on voit naître aujourd'hui des groupements d'intérêt économique (GIE) de femmes. Elles cherchent la possibilité de contracter un crédit pour mener une activité qu'elles jugent rentable; alors elles mettent ensemble des moyens propres personnels qu'elles gèrent de manière collective et se redistribuent entre elles pour financer des activités lucratives". (El Hadj Ndong, APCO, Sénégal)
1.5. Questions sur le sens de l’APD aujourd’hui
- Dans un contexte où le discours libéral domine, le sens de l'APD reste flou. Quelle est la légitimité de l'APD et quelles doivent être ses priorités ? Certains estiment que l'APD est en contradiction avec les principes généraux du libéralisme alors que d'autres pensent qu'elle peut trouver sa légitimité dans le renforcement des capacités nécessaires à l'émergence de véritables stratégies de développement portées par les pays du Sud.
- Comment déterminer, afficher, mettre en oeuvre une réduction à long terme de l'aide ?
- Le terme d'éthique a été évoqué : comment dissocier les valeurs fondamentales sur lesquelles chacun peut se retrouver (équité par exemple) du débat sur les stratégies de développement ?
- Quelle justification à l’APD ? Quels objectifs ? Quelles priorités ?
- Quelle devrait être l’évolution de l’APD ?
- Quels sont les facteurs actuels qui influent sur l’APD et sur l’importance des financements ?
1.6. Questions spécifiques concernant la coopération française
** "Si l'aide publique française au développement devait être aussi radicalement réorientée vers des objectifs économiques, à l'exclusion d'autres actions, cela doit être dit.
Car il n'est pas certain que la meilleure façon d'aider les pays africains à décoller et à produire des richesses qui leur permettront de faire face à la croissance démographique et de réduire la pauvreté consiste à aider pour exporter. La dévaluation du franc CFA et la fin prochaine du système de protections non réciproques de Lomé ont polarisé l'attention sur l'avenir des exportations africaines. Mais n'est-il pas temps de s'interroger sur un autre aspect des économies de ce continent : dans quelle mesure sont-elles capables de satisfaire les besoins quotidiens de leurs populations et en particulier ceux des ruraux et de ceux qui vivent dans les bidonvilles ? Peut-être faut-il aider les entreprises modernes à exporter, mais n'est-il pas plus important et plus judicieux de chercher à dynamiser l'économie populaire afin qu'elle produise plus et mieux ? N'y a-t-il rien à faire pour faire face à la croissance urbaine, former les hommes, assurer un minimum de protection médicale, mieux gérer la chose publique au niveau national et au niveau local, renforcer la citoyenneté ? Lorsqu'il aura été répondu à ces questions, on pourra parler d'une nouvelle politique africaine de la France. A moins que la nouveauté consiste précisément en la dissolution de l'aide au développement dans des relations internationales classiques, c'est-à-dire destinées d'abord et essentiellement à renforcer les influences politiques, à conforter les positions commerciales et à accroître le rayonnement culturel de notre pays". (Jean Némo, Michel Levallois, La lettre de la Cade, n° 23, 1998)
* La "sécurité alimentaire" mondiale est une doctrine véhiculée par l’OMC et qui tue les agricultures des pays les moins productifs, car sous ce concept se cache le commerce mondial des excédents des pays du Nord. Le concept de souveraineté alimentaire nationale est à l’opposé de cela, puisqu’il défend l’idée que chaque nation et chaque région doit pouvoir décider de son alimentation comme elle l’entend. Un exemple : les japonais sont autonomes en riz depuis très longtemps mais maintenant, avec la libéralisation et de l’alignement sur les prix les plus bas du marché mondial, les paysans des montagnes japonaises n’arrivent plus à vendre et quittent leurs terres. Un des moyens d’éviter ce type de relations est de refuser de participer à des relations d’aide bilatérale et de travailler toujours au niveau de l’internationale paysanne, car les solutions, comme les enjeux aujourd’hui, ne sont plus nationales. Les mêmes politiques ont les mêmes effets partout dans le monde. (Synd., F.)
- Comment éviter que l’unification budgétaire ne se traduise dans les faits par des ingérences politiques accrues et une perte d’autonomie relative de la coopération par rapport aux choix politiques et économiques de la France?
- Dans quelle mesure la réforme en cours de la Coopération française s’opère-t-elle en communication étroite avec des réformes similaires d’autres coopérations (ex. Allemagne, Canada...) pour qu’en fin de compte la cohérence existe davantage entre pays et que l’on procède à une réforme profonde non seulement du discours mais des pratiques et procédures des aides ?
- Quels garde-fous faut-il mettre en place pour que le processus de concertation entre acteurs institutionnels privés et publics ne se traduise pas par une uniformisation des interventions ?
2. LES PRIORITES DU DEVELOPPEMENT DU SECTEUR AGRICOLE ET CELLES DE L'APDA CE SECTEUR ?
- On observe une tendance à confondre l'analyse et les prévisions des politiques publiques des pays du Sud et celle de l'aide proprement dite. Cette tendance entraîne parfois des recommandations pour l'aide qui concernent en fait les politiques publiques des pays. Cela brouille le débat. Il convient de distinguer une stratégie d'aide d'une stratégie de développement.
2.1. Quel champ couvre le "secteur agricole" ?
* On ne peut pas se réduire au secteur agricole parce que la plupart des villageois que je connais exercent de multiples activités. Ce qu’ils ont en commun, c’est d’avoir tous un lien avec la terre. Dans la tête des ruraux africains eux-mêmes, je ne suis par sûr qu'il existe un "secteur rural". Très souvent il y a une sorte de continuum entre le village et la ville ; certains ruraux passent la moitié de leur temps en ville : ils sont très nombreux à le faire, du fait de la longue saison sèche qui encourage à migrer. Je vois plutôt les villages comme la base de communautés, dont une partie des membres vit en ville, voire à l’étranger, une partie au village. (Consultant, I.)
* C’est une notion géographique : une zone rurale est définie par opposition aux zones urbaines. C’est aussi une notion sociale ; il s’agit d’une population rurale qu’on considère à la fois comme habitants, comme groupes sociaux et groupes ethniques, comme supportant divers métiers et comme modes de vie. Les activités propres au milieu rural sont aussi à prendre en considération, tant l’artisanat que la culture, le commerce, les griots, etc. Le secteur rural c’est ce tout-là. (Adm., F.)
* Il faut distinguer entre les deux concepts, secteur agricole et développement rural. En effet, bien des acteurs du progrès du secteur agricole sont en ville, non seulement parce que c'est la ville qui crée le marché, mais parce que c'est là que les agriculteurs vont trouver les services en amont et en aval, et, s'ils le peuvent, investir. Si l'aide au secteur agricole vise la transformation de l'agriculture, il est nécessaire de considérer les fonctions remplies par certaines villes. (Consultant, F.)
* Les villes aujourd'hui sont à la remorque, elles ne se sont pas encore intéressées à l'activité économique de leur hinterland. Elles restent le plus souvent issues d'une conception "administrative". Les villes ont aussi été freinées par l'importance donnée pendant 25 ans aux sociétés de développement, commandées par les capitales. Les "structures de projet" n'avaient rien à voir avec les villes proches de leurs zones d'action. Il faut pour qu'il y ait une croissance des économies rurales, une sorte de reconquête du rôle économique des villes en amont et en aval de l'agriculture. (Consultant, I.)
* L’articulation entre le milieu rural et les villes, en particulier les villes moyennes, va devenir importante. Le milieu rural va être moins précis dans ses frontières. On a déjà vu cela avec les opérations d’épargne-crédit. Le flux d’épargne passe en fait du village vers les centres urbains. Il y aura donc une moins claire distinction entre rural et urbain. Et peut-être l’apparition de concepts de centres urbains moteurs permettant un certain aménagement du territoire rural ou régional. (Ch. prog., F.)
2.2. Priorités du développement du secteur agricole selon des acteurs du Sud
"Dans les contraintes d'ajustement aujourd'hui, le souci majeur des Etats c'est l'équilibre des recettes. Or, pour pouvoir équilibrer les recettes il faut jouer sur les filières que l'on peut contrôler. C'est uniquement les filières d'exportation que l'on peut contrôler pour dire aux bailleurs, voilà ce que je peux apporter comme recette, pour contre balancer les recettes d'ajustement. Par contre, sur les cultures vivrières qui sécurisent la population en termes d'aliment, l'Etat ne peut rien dire là-dessus. Du coup, la politique que l'Etat initie n'est pas forcément la politique d'un développement agricole qui puisse nourrir convenablement les populations urbaines". (Cadre béninois, IRAM, p. 188-189)
"On parle beaucoup de l'autosuffisance alimentaire, le grand discours de ces derniers temps, c'est le couplage des cultures vivrières avec la culture cotonnière. Les paysans n'ont pas attendu le ministre du développement rural pour faire le couplage. Le vrai problème et ils le disent depuis des années, c'est les débouchés pour leurs produits vivriers. Et là aussi c'est un faux débat, disons plutôt : l'organisation du marché vivrier. Parce que les vivriers se vendent bien, mais, ni au profit des producteurs, ni au profit des consommateurs, le marché des produits vivriers est bien contrôlé, quadrillé par les spéculateurs". (Cadre béninois, IRAM, p. 39-40)
"Ca laisse face à face des acteurs qui ne sont pas d'égales forces, et comme c'est ouvert au plan international, ça laisse la place à des acteurs étrangers qui sont beaucoup plus solides que les acteurs maliens. Ils parlent toujours d'être performants. Mais dans une économie, tout le monde ne peut pas être performant. Si on regarde ceux qui sont capables de faire l'intensification, ceux qui sont capables de le faire avec la désertification, on se rend compte aussi qu'il y en a d'autres qui ne peuvent faire ni l'une, ni l'autre et ce nombre est en train de croître malheureusement". (Cadre malien, IRAM, p. 192)
"C'est risqué de fonder les espoirs du pays sur l'économie du coton, car on ne peut pas prévoir l'évolution du marché international dans cinq, six ou sept ans. Par contre, avec le Nigeria, quelle que soit la situation du Nigeria, on pourra toujours développer un commerce qui fasse au minimum vivre le Bénin". (Cadre béninois, IRAM, p. 197-198)
** Réfléchissant sur les voies de construction de l’avenir, des responsables paysans d'Afrique de l'Ouest soulignent ceci :
- la prise en compte de l’exploitation familiale est incontournable pour le développement d’une agriculture durable
- le développement de systèmes financiers décentralisés et autogérés est une condition de transformation des systèmes de production
- des moyens d’action doivent être développés pour faire reconnaître les intérêts des ruraux et concrétiser leurs solidarités aux échelles nationale et régionale.
Et parmi les enjeux actuels, ils donnent la priorité à ces trois-ci :
- la question de la sécurité alimentaire
- la gestion des ressources naturelles et la prévention/gestion des conflits liés à l’utilisation de ces ressources
- et, pour les organisations paysannes, le déplacement des lieux de décision du niveau local et zonal vers les niveaux régionaux, nationaux et internationaux (Mbour)
2.3. Priorités du développement du secteur agricole selon des acteurs du Nord
** Diverses approches d’intervention dans le monde rural sont privilégiées actuellement par les bailleurs:
- Les appuis aux filières de production pour améliorer leur compétitivité.
- La professionnalisation de l’agriculture qui vise à l’établissement de rapports contractuels durables entre partenaires.
- La promotion de systèmes décentralisés de crédit rural.
- La relance de systèmes de vulgarisation dans un cadre administratif.
- Les programmes nationaux environnementaux (BIRD)
- La promotion du développement local sous différentes formes (gestion des terroirs, développement territorial, appui à la décentralisation etc.)
- Les infrastructures locales (d’après Devèze, 1996)
* Choisir une politique des prix qui ait une certaine stabilité de façon que la famille paysanne puisse estimer combien elle doit produire pour la vente. Actuellement, on vend juste ce qu'il faut pour trouver l'argent ; on vend donc beaucoup quand le prix est faible, on vend moins quand le prix des céréales est meilleur. Et ceci comporte des risques pour la sécurité de l'alimentation familiale. Il faut discuter de cela avec les mouvements paysans et négocier - par des politiques de prix et des instruments de crédit local - une sorte de stabilisation des marchés. (Consultant, I.)
* En Afrique de l'Ouest, on constate l’accentuation de la différenciation sociale en milieu rural et cette précarité existe dans deux types de situation : une différenciation croissante entre zones géographiques : des zones bien servies sur le plan climatique qui, dans de nombreux pays, sont aussi plus proches des infrastructures et des grands marchés entrent progressivement dans l’économie de marché tandis que certaines zones, moins bien desservies, reste dans une logique de survie plutôt que d’accumulation. Il y a aussi une différenciation, qui a toujours été forte mais qui me semble augmenter, ou peut-être prendre de nouvelles formes, entre paysans de chacune de ces deux types de zones. (Consultant, I.)
* Laisser les gens essayer et créer et ne pas commencer par mettre de l'ordre. D'où l'importance des politiques indirectes, c'est-à-dire des politiques d'aménagement du territoire. (Consultant, I.)
* L’un des facteurs clefs de l’intensification nécessaire de la production agricole est la mobilisation des ressources en eau, à peine entamée. Il est faux de dire que les pays de savane sont des pays qui manquent d'eau, il n'y a aucune comparaison à faire avec des pays du pourtour méditerranéen qui eux effectivement manquent d'eau, par contre dans des pays qui disposent de 400 à 800 mm d'eau par an, les ressources sont importantes, il faut absolument exploiter ces ressources, principalement par pompage, là où c’est géologiquement possible, et non comme aujourd’hui dans des grands systèmes gravitaires, excessivement rigides. Les nappes souterraines ne jouent leur rôle de régulation des ressources en eau que dans la mesure où elles sont exploitées [...]. (Consultant, I.)
** "La petite exploitation familiale est la plupart du temps la solution la plus appropriée : elle permet une plus grande adaptation aux particularités de l'écosystème, une meilleure utilisation de la force de travail, une incitation forte à la qualité du travail. Le problème devient plus complexe quand il faut associer exploitation familiale et organisations collectives sur les aménagements hydro-agricoles mais, là encore, les exemples historiques montrent que la transformation des paysans en quasi salariés n'est pas très efficace". (Equipe IRAM, p. 22-23)
** "Les problèmes de l'agriculture, et du rural au sens large, ne peuvent trouver une solution isolée. Il faut au contraire rechercher les meilleures articulations possibles avec les autres secteurs, artisanat, industries, emplois urbains ..." (Equipe IRAM, p. 22-23)
2.4. Quelles priorités pour l'APD au secteur agricole ?
"Si j'étais bailleur de fonds, toute aide je la donnerais uniquement aux femmes. Si la femme veut, elle n'a qu'à en faire profiter son mari (rires), si elle ne veut pas, le bien-être de la femme et des enfants au moins va être assuré. Ce que je vois là c'est valable en milieu rural et en milieu urbain. Même en milieu rural c'est la même chose. La femme a son champ de mil, elle a son champ de voandzou (légumineuse), elle a son champ d'arachide. Quand l'homme fait ses récoltes, tout de suite il va prendre une seconde femme. Il va, il fait ses jeux de hasard". (Cadre nigérienne, IRAM, p. 69)
"Les femmes ont toujours contribué aux différentes activités communautaires sans qu'on prenne jamais en compte leurs problèmes spécifiques, leurs problèmes de mères. [...] En général, elles ont un pouvoir d'achat très bas et tout ce qu'elles font est ainsi limité. [...] Il existe une grande injustice, aussi bien dans l'appui que dans l'acquisition des biens matériels, agricoles, etc. On sent que la femme, étant donné qu'elle dépend d'un mari, ne peut pas avoir tout ce qu'elle veut. Généralement, elle fait son petit commerce mais ce n'est pas suffisant; le mari peut rarement financer les 30.000 CFA (300 FF) qu'il faudrait au début. [...] S'il y avait des fonds pour les aider, ce serait bien; ce qui ne veut pas dire qu'il faut arrêter d'aider les hommes ! Mais il y a quand même un rattrapage à faire pour les femmes. Aussi, je souhaite une espèce de quota". (Aminé Miantoloum, ASSAILD, Tchad)
"Au Sénégal, les femmes sont plus motivées que les hommes (10.000 fois plus). Elles sont travailleuses. Il est préférable de travailler avec un grand nombre de femmes qu'avec un grand nombre de jeunes ou d'hommes. Pour travailler avec les femmes, c'est facile; il suffit de les former. Les sensibiliser et les orienter". (Mamadou Diallo, P, UCT, Sénégal)
* Si un diagnostic clair des enjeux du développement est un point de départ impératif, dans un second temps il importe de délimiter les possibilités réelles d’apporter un "plus" des aides, en appui et non en remplacement des efforts nationaux. Jamais l’information disponible n’a permis de voir aussi clairement les atouts et les faiblesses des modes d’intervention de l’aide extérieure. Ne pourrait-on utiliser plus efficacement cette information, et parvenir à un réel compromis entre priorités du développement et avantage comparatif des actions d’aide extérieure? (Adm., F.)
* Une première piste est de travailler là où on a de l’expérience et là où on a déjà une histoire avec les interlocuteurs locaux, de façon à nouer des dialogues plus utiles et à supporter des enchaînements d’interventions. On peut prendre, dans ce domaine, le cas du Mali sud. On y a commencé par une action sur la monoculture du coton, puis ensuite cela s’est ouvert à d’autres spéculations. Et puis, petit à petit, on a travaillé avec des associations paysannes, on a fait des appuis à travers le crédit de la BNCA, et puis l’épargne-crédit par les caisses populations Kafo Jigignew. On a agi aussi sur la gestion de terroirs, sur le développement local et, maintenant, on en est à une phase où on renforce la capacité des associations de producteurs par des centres de gestion, par exemple à Koutiala. Il y a là une chaîne d’interventions cohérentes entre elles et il ne faut pas lâcher cela. (Ch. prog., F.)
* La coopération a peu de savoir-faire pour faciliter la multi-activité rurale. Il s’agit d’activités fragmentaires qui dégagent chacune très peu de revenus, il n'est pas rentable d'y affecter des coopérants coûteux. Or l'argent de l'aide s'en va de préférence là où on peut mettre des coopérants. Nous sommes dans un cercle vicieux et une grande partie de l'aide au milieu rural ne s'applique pas là où il faudrait. (Consultant, I.)
2.5. Propositions de questions à débattre
- Comment articuler les approches filières (un produit) et les approches territoriales (des hommes sur un territoire) ? Comment penser les interfaces Développement économique et Développement local-territorial ?
- Dans une perspective de durabilité économique, sociale et politique, en tenant compte de la dynamique sociale et culturelle, en particulier de la polyvalence et du rôle des exploitations familiales exerçant une pluriactivité dans le rural et l'urbain, convient-il de : privilégier la professionnalisation des paysans pour la reconnaissance de leur métier (mode d'organisation et logique d'entreprise agricole, structuration autour d'un produit, reconnaissance d'un métier) et/ou la défense d'un mode de vie (logique d'exploitation familiale, défense des intérêts d'une catégorie sociale) ?
UNE COOPERATION A CONCEVOIR AVEC LES ACTEURS AFRICAINS DU SECTEUR AGRICOLE ?
- Comment associer les acteurs de la société civile non seulement ceux du nord mais aussi ceux des pays africains, à la définition des politiques et au choix des pratiques en matière de partenariat ?
Un acteur mondial exprime cela comme dans un rêve : "Et si les gouvernements pouvaient ouvrir un dialogue avec la société civile, avec le secteur privé, pour décider des priorités nationales à long terme ? Et si les bailleurs de fonds pouvaient alors se présenter et coordonner leur action, en laissant aux pays la direction des opérations, avec l'adhésion et la participation de la population ? Et si ces stratégies pouvaient avoir un horizon à cinq, dix ou vingt ans, pour que le développement puisse réellement prendre racine et étendre ses ramifications, et pour qu'on puisse suivre son évolution au jour le jour ?" (James D. Wolfensohn, 1998, p.13)
3.1. Points de vue d'acteurs du Sud sur la coopération en pratique
"Le programme d'ajustement arrache aux principaux décideurs de la nation, la décision. Ils sont devenus de simples exécutants face aux bailleurs de fonds". (Cadre béninois, IRAM, p. 187)
"La coopération est nécessaire, mais une coopération qui doit aussi chercher, pas une coopération qui a trouvé; parce qu'on est convaincu maintenant que personne n'a la solution". (Cadre béninois, IRAM, p. 216)
"La coopération internationale doit être fondée sur trois choses. D'abord une meilleure connaissance des hommes entre eux, parce que sans cela, il n'y aura jamais la paix. Les différents conflits qui ont eu lieu, dans le temps, sont fondés sur des préjugés, donc la coopération de ce point de vue doit nécessairement oeuvrer à diminuer les préjugés, pour que les hommes se comprennent à travers leurs vraies valeurs. Et que l'on dise que chaque peuple, quel que soit ce qu'il est, a quelque chose à apporter dans l'évolution de l'humanité. Et c'est la coopération qui garantit cela, parce que sinon comment est-ce que vous voulez que mes parents sachent qu'il y a des gens qui vivent au-delà du village, s'il n'y a pas de coopération ? Le deuxième point, c'est au niveau de la rotation des moyens de développement. La coopération permet la rotation sur deux points, sur le point financier et sur le point technologique. Et sans cette rotation, le monde n'évoluera pas honnêtement ! Donc, la coopération est utile. Les relations que j'ai ici avec mes amis et vous-mêmes m'ont été extrêmement bénéfiques aujourd'hui. Ce que je gagne là-dedans, ce n'est pas la sécurité matérielle, c'est l'apprentissage que la coopération reste extrêmement utile, c'est que cela permet à tout le monde de se donner une certaine exigence. Car, troisième chose, la coopération est une exigence dans la manière de gérer les ressources du monde et de gérer les hommes. Devant le grand choc que les gens ont eu à travers la coopération aujourd'hui, il y a de très grandes idées qui ont émergé, comme la modestie dans la gestion des ressources planétaires". (Cadre béninois, IRAM, p. 216-217)
"Le problème se pose en termes de gestion, en termes d'efficacité dans la gestion, dans l'utilisation, dans l'orientation, dans la fixation des priorités. Mais ça, c'est à nous de le faire. Ce n'est pas la peine de faire un discours pour dire aux autres : "aidez-nous de façon à ne plus nous aider à terme". Non, c'est à toi de savoir jusqu'à quand tu veux être aidé. Si tu veux aider l'agriculture, il faut faire ton programme de développement rural, tu mets tes priorités, tu fais ton programme, tes perspectives, tu fixes tes enveloppes, c'est très clair. Quelqu'un veut intervenir dans l'agriculture, les créneaux sont tracés. Là vous négociez et vous allez au concret. Mais on ne le fait pas". (Cadre nigérien, IRAM, p. 245)
"Il faut espérer qu'il y ait un âge adulte de la coopération, une capacité de dialoguer et que tout le monde creuse, réfléchisse. C'est quand même des relations de famille, voulues ou non voulues quelque part, mais de construction d'une famille qui se fait, avec ses conflits dont on ne peut pas faire l'économie, mais qui peuvent être riches si on se parle, si on est capable de comprendre ce qui ne se dit pas. Ce n'est pas parce que l'on se parle que tout va marcher, mais on doit comprendre ce qui ne se dit pas dans les relations d'hommes, dans les relations d'organisations, de pays. Ca ne va pas sans conflit. Les conflits sont toujours très riches". (Cadre malien, IRAM, p. 254)
3.2. Points de vue d'acteurs du Nord pour l'amélioration de la coopération
- Certains pensent qu'il y a un relatif consensus sur la vision que l'on a du monde rural à moyen terme (10 à 15 ans). Ce consensus reposerait sur 3 éléments globaux : un Etat recentré sur des fonctions stratégiques d'orientation, une société civile forte et capable de faire entendre les intérêts des différents groupes de population, un tissu de prestataires de services de qualité. En revanche, il ne semble pas y avoir de vision commune sur la manière concrète d'arriver à cet "idéal". Il serait intéressant de confronter cette vision aux analyses de type prospective qui permettent de définir plusieurs scénarios d'avenir et non un seul.
D'autres pensent qu'il y a beaucoup de non-dit dans les stratégies des agences d'aide et que des référentiels différents existent, impliquant donc des visions différentes à moyen terme (sur le rôle de chaque acteur, sur les modes de régulation à privilégier, ...) et limitant la possibilité de coordonner les interventions d'aide.
* Un constat positif, à mon sens, sur ce qui s’est passé ces dernières années est que la culture financière, apportée par la micro-finance, commence à imprégner à la fois les acteurs de l’aide mais aussi les bénéficiaires. Avant, nous étions des " pourvoyeurs d’aide aux pauvres " avec l’idée que ces pauvres étaient solidaires entre eux, que le milieu était récepteur, qu’il était homogène ; on ne voyait pas les projets personnels d’enrichissement, la compétition entre ceux qui avaient et ceux qui avaient moins. Donc, beaucoup de discours étaient ambigus ; par exemple les paysans nous réclamaient des taux d’intérêts des crédits plus bas alors qu’ils connaissaient très bien les taux très élevés de l’usure ; quant à nous, on voyait bien, quand ils réclamaient la rémunération de leur épargne, qu’ils avaient l’intention d’obtenir des taux d’intérêts élevés ! Mais aussi une certaine habitude de l’aide s’était implantée. C’est cela que la micro-finance contribue à changer. (Ch. prog., F.)
* La spécificité de l'approche française consiste en ses méthodes de diagnostic, qui permettent d'identifier les groupes socio-économiques sur lesquels ont agit pour infléchir une dynamique des systèmes agraires favorable au plus grand nombre, avec des filets de sécurité pour les plus économiquement marginalisés. (Adm. F.)
* Le financement décentralisé est une chance pour les nouveaux acteurs mais est aussi une menace sur le processus de construction des institutions locales. (Consultant, F.)
3.3. Concevoir avec les acteurs, n'est-ce qu'un rêve ?
- Il convient de travailler sur les obstacles et les atouts actuels pour atteindre les objectifs d'une vision du développement propre aux partenaires de l'aide et l'édification d'une capacité autonome d'orientation.
"Que l'apport, l'appui de l'étranger soit vraiment pour finaliser, pour faire vraiment ce dont on a besoin, ce qu'on a demandé, ce qu'on ne peut pas faire et qu'on demande. Vraiment, c'est ça. Mais que la coopération ne tente pas de définir même les problèmes. Ce qui se passait avant c'était un peu ça. Parce que les problèmes mêmes étaient faux. On est capable de définir nos problèmes, de réfléchir sur les solutions, maintenant ce qu'on ne peut pas apporter pour ces solutions, c'est à ce niveau qu'on peut supporter. Parce que si un problème c'est mal défini, on ne pourra jamais trouver des solutions". (Cadre malienne, IRAM, p. 259)
3.4. Propositions de questions à débattre
- Aujourd'hui, on recherche une association plus étroite des acteurs de la société civile à la définition des orientations de la coopération et à sa mise en oeuvre. Cette orientation comporte le risque de perte d’indépendance de certains acteurs de la société civile par " nécessité d’assurer le gagne-pain " et de maintenir la structure à tout prix? N’y a-t-il pas risque pour les institutions de la société civile de devoir passer par les " fourches caudines " de pratiques officialisées en terme de coopération, pour recevoir une part de la manne budgétaire au risque d’y laisser, sinon leur âme, au moins leur spécificité ? (Consultant, I.)
- La contradiction entre la soi-disant recherche d’un partenariat " idéal " et la multiplication continue des conditionnalités (asymétrie des relations) rejoint d'autres contradictions comme :
l'Opposition entre Démarche d'écoute/Programmation rigide
l'exigence de planifier l'aide/et de coordonner son apport avec ceux des autres acteurs, etc.
4. ET LA COOPERATION DECENTRALISEE ?
- Au sein d'un dispositif déjà complexe, face à des Etats encore peu efficaces arrive désormais un ensemble d'acteurs du Nord : les collectivités tant urbaines que rurales, tant locales que régionales. Quel effet cette arrivée aura-t-elle sur le développement rural ?
Pour cerner cette question, ce paragraphe 4 utilise des extraits de documents préparatoires des Rencontres Nationales de la Coopération Décentralisée (16 et 17 avril 1999).
4.1. Coopération décentralisée : vers la définition d'un objet
** Si la coopération décentralisée figure dans les textes officiels, ni son contenu, ni sa finalité ne sont définis. Seuls ses acteurs sont désignés à savoir les collectivités territoriales françaises ou un de leurs groupements dans leur relation avec d'autres collectivités territoriales ou un de leur groupement. Elles peuvent faire appel au concours d'autres acteurs (associations de solidarité internationale mais aussi d'éducation populaire, organismes d'insertion, entreprises, universités, ...) mais la pleine responsabilité des choix et méthodes d'actions appartient aux collectivités concernées.
Cependant, à travers les prises de positions dans des enceintes non officielles, des articles, des enquêtes, des débats, il est toutefois possible de définir la coopération décentralisée au regard de la décentralisation engagée dans les pays du Sud et les PECO. L'incapacité des Etats centraux à instaurer des espaces de responsabilité et d'initiative a brouillé les approches de développement. La décentralisation vise à créer ces espaces et à réintroduire l'action publique dans le développement à partir des problèmes concrets que les sociétés ont à résoudre.
Cette lecture de la décentralisation dessine un objet à la coopération décentralisée, celui d'accompagner la transformation de l'organisation administrative et politique des pays dans un sens de plus grande transparence. En cela, la coopération décentralisée :
- se veut un appui pour favoriser l'exercice, par les sociétés, de leurs droits et particulièrement de leur droit à la responsabilité. Elle est un facteur de réduction du fossé existant entre le "sommet" institutionnel (capital, pouvoir, connaissance) et la "base";
- opte pour soutenir un développement économique et social durable dans les régions où elle se manifeste. Elle ambitionne d'apporter un soutien à la mise en place et au renforcement de services collectifs et de dispositifs pérennes plus que de financer des projets et des programmes de développement ponctuels.
La coopération décentralisée ouvre un nouvel espace de coopération entre la coopération interétatique, gérée par les administrations centrales, et la coopération non-gouvernementale. Son originalité est de reposer à la fois sur une assise institutionnelle et de bénéficier d'un ancrage local, qui mobilise au-delà du cercle restreint des techniciens et militants du développement et des entreprises qui voient dans la coopération un marché. Ce double caractère lui permet d'agir dans la pérennité nécessaire à toute action de coopération et de la conforter par des relations humaines sans lesquelles elle n'existe pas.
4.2. Divers risques de la coopération décentralisée pour les pays en développement
Le premier de ces risques est d'instaurer une compétition entre collectivités, tant au Sud que dans les PECO, pour trouver des partenaires en France. Les collectivités des pays du Sud et des PECO ne peuvent réaliser les investissements qui relèvent de leur compétence, les ressources dont elles disposent étant déjà insuffisantes pour financer leurs charges de fonctionnement. Les organismes non gouvernementaux de coopération du Nord favorisent plus ou moins consciemment cette compétition, contraire au statut même de collectivité publique. L'effet est de marginaliser les collectivités du Sud ou des PECO qui ne disposent pas de possibilités d'entrer en relation avec des collectivités françaises.
Un deuxième risque est de confondre développement local et développement communal. La conjonction de l'intérêt porté au développement local et la mise en place de la décentralisation dans de nombreux pays laissent entendre que ces deux processus sont très proches, voire identiques. Or, il s'agit de processus distincts; les approches de développement local incitent à privilégier les acteurs plus que les infrastructures, les réseaux plus que les institutions établies. L'absence de prise en compte de la différence de nature entre développement local et décentralisation risque de marginaliser des programmes intéressants, portés par des organismes et des personnes privées pour un soutien centré sur les collectivités territoriales naissantes. Une même confusion est souvent observée entre décentralisation et démocratie locale. La décentralisation ne signifie pas le retrait des élites qui détenaient ou détiennent le pouvoir d'Etat. Le pouvoir local peut être confisqué par de petits groupes de personnes, comme l'était le pouvoir central, confortés par les appuis extérieurs qu'ils ont négociés. Les collectivités locales ne sont pas à l'abri d'un contrôle par les oligarchies locales, écrans entre les aspirations des citoyens et les opérateurs du Nord.
Un troisième risque est celui de la fragmentation des actions. Les actions conduites dans le cadre de la coopération décentralisée sont conduites dans le cadre de partenariats particuliers. Elles s'inscrivent exceptionnellement en articulation avec d'autres actions menées dans le même contexte, plus rarement encore dans le cadre de programmes régionaux et nationaux décidés par les pays concernés. Cette fragmentation et cette atomisation entrent en conflit avec les politiques de distribution des équipements sur le territoire national arrêté par les Etats, souvent en fonction du volume de population, et conduit à des demandes d'affectation de personnels que les Etats ne peuvent satisfaire. La réduction de ce risque passe par l'animation d'espaces de concertation.
Enfin, les acteurs de la coopération décentralisée risquent de négliger la prise en compte des politiques des Etats du Sud et PECO (et du contexte international). La recomposition des Etats a pour objet de leur redonner toute leur légitimité comme lieu d'élaboration des règles de la vie commune, comme garants de la cohésion sociale. Dans le domaine économique, sa fonction reste déterminante dans des domaines essentiels qui influent fortement sur les actions au niveau local : contrôle des importations, valeur de la monnaie, politique d'ouverture aux investissements étrangers, fiscalité, soutien aux circuits de commercialisation des produits agricoles, aménagement d'infrastructures primaires ... Les actions soutenues par les collectivités territoriales du Nord peuvent dans ce contexte contribuer à fragiliser les Etats.
En conclusion, la coopération décentralisée devra prendre en compte deux références fortes :
- Les collectivités locales qui se créent ou se renforcent ne sont pas des projets - mais des institutions pérennes - ni des porteurs de projets pour lesquels elles rechercheraient, investissement après investissement, des financements comme n'importe quel autre acteur de développement. Elles ont des équipements à réaliser et des services publics à faire fonctionner dont la durée de vie n'est pas limitée dans le temps.
- Le développement local repose sur la mise en place de mécanismes permettant le maintien de la dynamique plus que sur des projets de développement : appui à la mise en place de mutuelles de santé plus que la rénovation d'un hôpital rural, mise en place de circuits de commercialisation plus qu'une aide à la microproduction, soutien à la restauration des sols plus qu'un appui aux cultures maraîchères, système d'information sur les prix, systèmes financiers locaux, gestion de ressources naturelles, plans locaux de développement ... plus qu'un envoi de livres, de médicaments ...
4.3. La place des migrants dans la coopération décentralisée
L'avenir de la coopération décentralisée sera d'autant mieux assuré qu'elle impliquera les plus larges fractions de la société française. Il ne s'agit donc pas d'y associer les seuls acteurs "habituels" de coopération mais bien de prendre en compte les actions et méthodes d'opérateurs peu ou pas reconnus jusqu'à présent. Parmi ces acteurs, qui ont déjà leur propre expérience, on peut noter tout particulièrement les migrants [...]
Les appuis des migrants au développement de leur région d'origine, qu'ils soient installés depuis longtemps en France ou plus récemment, ne s'inscrivent plus dans la perspective d'un retour. Après s'être mobilisés pendant longtemps comme substituts aux carences des pouvoirs publics, ils agissent de plus en plus fréquemment par des programmes engageant le long terme. Les transferts qu'ils opèrent ont un poids d'autant plus important qu'ils sont souvent originaires de régions économiquement anémiées, en périphérie de régions qui connaissent une dynamique économique.
En terme de coopération pour le développement, la relation entre les associations de migrants et les collectivités territoriales (françaises) entre dans le cadre commun de la coopération décentralisée. Les collectivités territoriales ne sont pas les bailleurs de fonds des associations, les associations ne sont pas les exécutants de la politique des collectivités territoriales. Il n'en reste pas moins que la présence d'importantes communautés immigrées dans une collectivité territoriale est à prendre en compte. Leur participation à la coopération décentralisée est un moyen de leur insertion en France en leur offrant de construire une double fidélité, à leur collectivité d'accueil, à leur région d'origine.
Il est cependant important de souligner ici que les migrants, pas plus que les autres acteurs de coopération, n'ont à être les décideurs des actions qu'ils soutiennent. L'avenir de leur région d'origine appartient à leurs habitants sur place et aux responsables qu'ils se sont choisis. Il convient de ne pas contribuer à faire des associations de migrants des structures de décision parallèles aux structures issues des populations ou mises en place dans le cadre de la décentralisation.
Voies de coopération
Parmi les voies d'implication des associations d'immigrés dans la coopération décentralisée, trois sont à débattre avec elles et les acteurs locaux de leur pays d'origine :
Mise en place de fonds de développement migration-coopération
Les transferts financiers des migrants en direction de leur zone d'origine sont des transferts de fonds privés. Les collectivités françaises quant à elles, sont en relation avec des collectivités publiques. Leurs interlocuteurs sont les représentants institutionnels des populations ou à travers elles, un large éventail d'associations. Pour lever la difficulté de rapprocher les fonds privés et fonds publics, une hypothèse de travail est la mise en place de fonds de développement locaux alimentés par des cotisations de migrants, des ressources apportées par la coopération décentralisée (éventuellement par d'autres bailleurs de fonds) et les collectivités des régions d'émigration.
Formation conjointe d'agents de développement local en France et sur place
Le co-développement est fondé sur un échange permanent et organisé entre région de départ et région d'arrivée de migration. Ces échanges seront d'autant plus féconds que des personnes formées au développement local, aptes à se saisir des deux cultures, celle du pays d'origine et celle du pays d'accueil pourront les animer.
La formation d'agents d'animation du co-développement, dans un système unifié ouvert à part égale à des ressortissants de la région d'émigration et à des migrants ayant quitté leur terroir d'origine, est une voie à construire à laquelle les collectivités françaises pourraient apporter leur appui.
Renforcement des compétences des associations de migrants
Les champs d'actions que les organisations de migrants investissent sont de plus en plus complexes et nécessitent des compétences techniques nouvelles. Il convient que ces organisations acquièrent les moyens de leur action et puissent disposer de formation et de ressources appropriées pour les remplir.
Pour construire ces voies de coopération, il est fréquemment suggéré que les collectivités territoriales qui connaissent une forte proposition de populations immigrées nouent des relations avec des collectivités de leur pays d'origine. Pour mettre cette proposition en pratique, les collectivités ont plusieurs contraintes à gérer :
- les populations migrantes qui sont installées sur leur territoire sont originaires de pays divers et des relations continues ne peuvent être nouées avec tous;
- faut-il privilégier des relations de coopération décentralisée avec une (ou des) zone(s) dont les ressortissants sont organisés ou au contraire faut-il inciter les groupes inorganisés à se doter d'instances représentatives à l'occasion de l'engagement d'un partenariat avec leur région d'origine ?
- même issus d'une région unique, les immigrés installés dans une collectivité territoriale française ne sont pas tous originaires de la même ville, du même bourg ou de la même commune. Comment gérer la dynamique de coopération et comment construire le partenariat : avec une commune particulière, avec un regroupement de communes, avec le niveau régional ... ?
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