Le théâtre au service de l'éducation au développement
"Quitter les ténèbres" du mal-développement

Par Sophie Le Rue

"Nous sommes tous économiquement analphabètes" répète à qui veut l'entendre le fils prodige africain, nourri aux dogmes occidentaux, et rentré depuis peu au village natal avec ses diplômes en poche (Maîtrise de "cosmopolitique" de la Sorbonne et Licence de gestion des déchets nucléaires de l'université d''Ottawa). Perturbé par ce qu'il a appris ("dé-formé"?), à l'étranger, sur les tares qui affectent son propre continent, il se retrouve désemparé face aux maux de ses semblables.

Son père vient d'être "licencié sans droits", sa soeur hospitalisée souffre du manque de médicaments, son autre soeur doit quitter l'école car les frais de scolarité sont trop élevés, et malgré les trésors d'ingéniosité déployés par la mère, les bouches à nourrir ne manquent pas, tandis que le prix du riz, lui, ne cesse d'augmenter.

Incapable de subvenir aux besoins des siens, c'est contre la tradition familiale et au grand désespoir de la mère, que le père se voit contraint de chasser les enfants de la maison. Il est tout aussi incapable d'accueillir son propre frère, arrivé de la campagne pour trouver du travail en ville, ruiné par des années de sécheresse.

Cette décomposition du tissu familial entraîne inexorablement une dégradation du tissu social et une augmentation de la criminalité.

Face au mal-développement de l'Afrique, la solution-miracle arrive, apportée par le représentant de la "Banque Sésame" (toute ressemblance avec des institutions existantes n'est absolument pas fortuite…). Celui-ci, bedonnant et triomphant avec son énorme cigare en bouche et sa mallette de dollars à la main, paraît absolument certain de l'efficacité de son remède : le programme d'ajustement structurel va soulager ce pays africain de ses plaies.

En échange des dollars de la Banque Sésame, il va falloir néanmoins que le Chef d'Etat accepte certaines réformes macro-économiques et que la population consente à certains sacrifices supplémentaires…

De la mise en scène à l'interaction

Tel est le scénario de "Sortir des ténèbres", pièce de théâtre présentée par la troupe BAMTAARE du Sénégal, lors d'une tournée européenne de deux mois qui a débuté fin septembre au Luxembourg et qui mènera les acteurs jusqu'à Marseille et Amsterdam, en passant par Liège, Bruxelles et Namur.

Mais que pense le public du scénario ? Lui paraît-il crédible ? Se propose-t-il de modifier la mise en scène pour rendre l'attitude du représentant de la Banque Sésame ou celle du chef de l'Etat plus crédible ? La troupe est tout à fait disposée à écouter les suggestions émises par les spectateurs. Et, sur le champ, la scène se rejoue sous vos yeux en intégrant les variantes proposées.

Car ce que propose la troupe BAMTAARE n'est pas du théâtre au sens classique du terme, mais du théâtre-action ou théâtre-forum. Il s'agit, par le biais d'une performance dramatique, de provoquer la sensibilité du public, de faire réfléchir celui-ci et de susciter le débat sur tel ou tel thème.

Les habitants de la région de Kaolack, au centre du Sénégal, dont est originaire la troupe BAMTAARE, sont désormais familiers de ces performances dramatiques. La troupe, émanant de l'Association pour la Promotion de la Femme Sénégalaise (APROFES) , se produit régulièrement dans les lieux où l'association est implantée, soit une soixantaine de villages et une quarantaine de centres d'animation urbains.

En mettant en scène leurs problèmes familiers (conflits locaux, SIDA, violences faites aux femmes), la troupe BAMTAARE propose aux protagonistes de faire part de leurs analyses et de suggérer leurs propres solutions. Les spectateurs sont invités à rejouer eux-mêmes les scènes et deviennent ainsi acteurs à part entière. Les problèmes évoqués donnent lieu à un débat public. Cette véritable "catharsis", ou "purgation des passions" par l'effet dramatique, facilite la prise de conscience et le sens des responsabilités et stimule l'engagement personnel et collectif.

Champ d'application à l'éducation au développement

Instrument d'éducation au développement au Sud, le théâtre-action peut-il aussi servir les objectifs de l'éducation au développement au Nord ?

Adoptant le principe selon lequel "l'éducation au développement doit partir du quotidien des gens et de leurs propres intérêts", les ONG engagées dans des actions d'éducation ont reconnu dans le théâtre-action un potentiel de mobilisation à exploiter.

Les éducateurs ont apprécié les qualités pédagogiques de la pièce présentée par la troupe BAMTAARE et sa capacité à relier la vie quotidienne aux grands mécanismes du système macro-économique, ainsi que la force mobilisatrice de l'émotion transmise par la mise en scène. Ils ont reconnu dans le théâtre-action un moyen de renforcer la société civile, en permettant au spectateur de devenir acteur dans des situations quotidiennes.

Ils ont cependant pris conscience du danger de créer des stéréotypes simplificateurs, et de l'importance à accorder, au-delà de l'émotion suscitée, à la phase d'analyse de la situation en proposant au public sensibilisé une action efficace.

Ainsi, les éducateurs ont-ils entrevu dans le théâtre-action la possibilité de sensibiliser et de mobiliser les enfants des écoles, mais aussi le grand public, autour des fondements et des thèmes majeurs de la coopération au développement.

Afin que chacun puisse "quitter les ténèbres" de la méconnaissance des problèmes liés au développement et sortir de "l'analphabétisme culturel".

Pour tout renseignement complémentaire concernant la troupe BAMTAARE, merci de contacter :

L'Association pour la femme sénégalaise - APROFES

B.P. 12 - Kaolack - Sénégal

Tél. +221 41 44 11 / Fax +221 41 31 95 / E-mail: aprofes@metissacana.com

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Horizon Local 1997
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