Par Marc Elvinger
Nouvelle loi relative à la coopération au développement; augmentation constante du budget de la coopération; un rapport plus compréhensif sur la politique de coopération de l'année 1995; audit de Lux-Development; débat d'orientation sur la politique de coopération programmé par la Chambre des Députés pour la Rentrée: autant d'indices qui signalent que quelque dix ans après la mise en place des premiers instruments de la coopération luxembourgeoise, celle-ci marque, actuellement, une nouvelle étape animée par une ambition renouvelée.
S'agissant de la nouvelle loi relative à la coopération au développement, nous avons déjà signalé ici qu'il s'agissait plutôt d'une oeuvre de coordination et de consolidation que d'un texte réellement innovateur. Il reste que sa mise au point aura été l'occasion d'une réflexion - à laquelle les ONG ont été amplement associées - sur les mécanismes existants et d'un affinement de ceux-ci. Ce texte constitue par ailleurs une marque de confiance de la part du gouvernement aux ONG à la fois par l'augmentation des taux de cofinancement qu'il prévoit en leur faveur et par l'instauration de la déduc-tibilité fiscale directe des dons qu'elles recueillent. Enfin - temps (du moins formellement) fort en démocratie parlementaire - l'examen et le vote de la loi ont donné lieu, outre à des travaux en commission, à un débat en séance publique à la Chambre des Députés.
S'agissant, précisément, de ce débat, on ne sait pas trop s'il faut s'en réjouir ou s'en attrister. Il aura en tout cas confirmé que nos parlementaires sont très perméables aux "thèmes" du moment: celui de la "Hilfe zur Selbsthilfe", qui avait dominé les débats il y a d'ici dix ans, rangeant entretemps par trop parmi les évidences pour pouvoir encore servir de trame à une intervention à la tribune, ce sont le rôle prééminent de la femme dans le développement, la nécessité de la promotion de la société civile et de la démocratie, ainsi que la préservation de l'environnement qui, désormais, ont jalonné pour ainsi dire toutes les interventions. On aurait bien évidemment mauvaise grâce de s'en plaindre alors que ces thèmes figurent également parmi les nôtres, mais on n'échappe pas, parfois, à l'impression qu'il s'agit au moins autant d'ingrédients obligés de discours à leur tour obligés que d'éléments intégrés à une réflexion cohérente.
Force est surtout de constater que les éléments explicatifs du sous-développement que nos députés affectionnent le plus restent ceux qui dérangent le moins chez nous.
Fait tristement significatif, les concepts de "termes inégaux de l'échange", "dégradation des termes de l'échange", "stabilisation des cours des produits de base", "nouvel ordre économique mondial", ont - libéralisme triomphant oblige - désormais disparu jusque de la réthorique. A l'exception de l'orateur du parti vert, aucun député n'a vu dans l'injustice de l'ordre économique dominant une cause significative de la pauvreté dans les pays du Sud. On ne s'étonnera dès lors pas de ce que, aux yeux de la plupart des parlementaires, l'aide au développement apparaÓt moins comme un instrument au service du rétablissement d'un déséquilibre et de la réparation d'une injustice que comme l'accomplissement d'un devoir moral que le riche a vis-à-vis du pauvre: "Ech géing den Här Kollwelter opgraifen, de seet, et as vläicht eng moralesch Verflichtung. Ech geng dât Wuert "vläicht" ewechloossen. Et ass eng moralesch Verflichtung an eng grouss fir eis, besonnesch als Leit aus engem ganz räiche Land, dass mir en Deel ofgin" (Mme. Lentz-Cornette). Or, même si la charité constitue une vertu remarquable, elle n'est, à elle seule, guère de nature à remédier à des situations d'injustice dont celui qui fait l'aumône - fût- elle substantielle - s'avère être bénéficiaire.
Les regrets qui précèdent ne doivent pas pour autant occulter le consensus qui existe entre tous les partis politiques luxembourgeois pour un ac-croissement soutenu du budget de la coopération et pour que soit atteint, en l'an 2000, l'objectif dit des 0,7%. Quand on voit que dans les pays alentours les budgets de l'aide au développement stagnent, voire régressent, on mesure la portée d'un tel consensus. Et celui-ci est d'autant plus remarquable que, sauf imprévu majeur dont, après tant d'engagements fermement pris, nos responsables politiques auraient quelques difficultés à s'expliquer, la référence à l'objectif des 0,7% ne semble plus, actuellement, ressortir du mythe mais devrait effectivement être atteint au tournant du siècle.
Cet accroissement du budget de la coopération - de 800 millions en 1990, il sera passé à 1,6 milliards en 1994 et à 2 milliards en 1995, pour dépasser les 4 milliards en l'an 2000 - ne saurait être envisagé sous un angle purement quantitatif. Les députés ne s'y sont pas trompés en relevant pour ainsi dire à l'unisson qu'il n'y a rien de commun entre la gestion d'un budget d'un milliard et celle d'un budget de 4 milliards. Ainsi a-t-on même entendu des propositions tendant à élever l'ac-tuel secrétariat d'Etat à la Coopération - et avec lui son titulaire - au rang d'un Ministère à part entière. A l'évidence un joli encouragement par Monsieur Wolfahrt!
Mais cet encouragement n'est pas sans prix. Car il appartiendra à l'actuel Secrétaire d'Etat de savoir justifier du bon usage qu'il fera des montants désormais considérables confiés à sa gestion. L'édition 1995 du rapport annuel sur la coopération luxembourgeoise témoigne - fût-ce timidement - de la conscience que les responsables ont de cet état des choses. Il n'y a pas que les photos - d'une utilité limitée alors qu'elles ne comportement pas la moindre légende - et une mise en page qui se veut plus engageante; il y a aussi un effort renouvelé d'exposer au moins sommairement les objectifs de la politique que l'on entend mettre en oeuvre et de faire un bilan de l'année écoulée, y compris en fournissant un bout de réponse à certaines critiques qui sont en l'air.
C'est également dans ce contexte que l'on doit replacer la décision du gouvernement de commissionner un audit sur le fonctionnement de Lux-Development.
Faisant suite, sans doute, à la fois aux critiques de défaut de transparence itérativement formulées à l'endroit de Lux-Development et à certaines inquiétudes existant au sein même du ministère, le résultat de cet audit devrait - selon les déclarations du Secrétaire d'Etat - être rendu public. Pour l'instant, le rapport annuel 1995 sur la coopération luxembourgeoise nous apprend seulement que les auditeurs auraient "certifié à Lux- Development une saine gestion comptable et financière" tout en formulant "certaines recommandations pour améliorer la méthode de travail, notamment en ce qui concerne les relations entre Lux-Development et le Ministère". Avec cela, bien évidemment, on reste, en l'état actuel, sur sa faim pour ce qui est de l'évaluation du volet substantiel des projets mis en oeuvre par Lux-Development. Affaire à suivre, en conséquence...
Quoi qu'il en soit, du côté-même de Lux-Development, on perÁoit actuellement non seulement une grande disposition à répondre à des demandes d'information, mais un véritable besoin de communiquer. L'ASTM en a fait l'expérience par le biais de deux rencontres avec les responsables de Lux-Development, la première dans les locaux de celle-ci, la deuxième au CITIM. C'est avec un grand retard que nous publions, dans la présente édition, des éléments du premier de ces entretiens.
Il ne saurait, cependant, être sérieusement soutenu que les renseignements contenus dans le rapport 1995 sur la coopération, même combinés avec ceux contenus dans le rapport annuel de Lux-Development, fourniraient une véritable grille d'analyse de la coopération luxembourgeoise. D'un côté, ces documents font état de ce que sont, prétendument, les objectifs de la coopération luxembourgeoise: développement social et sanitaire; création d'emplois au niveau des petites entreprises, renforcement de la société civile et de la démocratie, promotion des femmes, protection de l'environnement. De l'autre côté, ces documents font une présentation succincte des divers projets financés. Ils ne renseignent pas, par contre, les critères de sélection des projets retenus, et il est pour le moins difficile de se faire une idée quant à l'adéquation de ceux-ci par rapport à la réalisation des objec-tifs proclamés et surtout quant aux mécanismes tendant à assurer au mieux cette adéquation, tant au niveau du choix des projets (étude prospective d'impact) que de celui de leur mise en oeuvre. A vrai dire, il faut admettre que tandis que la coopération bilatérale luxembourgeoise affiche des objectifs dont l'orientation peut sans doute être largement partagée par les ONG, elle ne s'est par contre pas encore dotée de critères et de processus de sélection qui permettraient de s'assurer que ces objectifs seront réalisés au mieux par le biais des projets retenus. Quand on sait l'énergie investie par une association comme l'ASTM dans l'élaboration d'une "critérologie" des projets pour l'application d'un budget annuel de quelques 20 millions de francs seulement, on mesure toute la portée de la lacune.
Plus généralement, ainsi que le relève Christian Jutz dans une analyse qui nous semble poser les bonnes questions - celles que les responsables gouvernementaux devraient à leur tour se poser pour ensuite s'efforcer à y répondre - "Projektfindung, Durchführung und (Zwischen-)evaluierung (der luxemburgischen Entwicklungszusammenarbeit) bleiben im Dunkeln ... Eine Frage bleibt: An welcher Stelle werden die Projekte im Verlauf eines Entscheidungsprozesses ausgewählt, und nach welchen Kriterien. Alle bunten Bilder in den Lux-Development Jahresberichten sagen nichts darüber, wie es überhaupt zu den Projekten kommt. Daran ändert auch der neue Projekt - Zyklus nichts, der lediglich die Zuständigkeiten zwischen MAE und Lux-Development formalisiert". L'analyse citée a été faite avant la parution du rapport 1995 sur la coopération luxembourgeoise mais celui-ci ne fournit pas, à cet égard, d'informations complémentaires satisfaisantes.
Autre domaine dans lequel les critères de sélection restent pour le moins difficiles à déchiffrer: celui des pays cibles. Et n'en déplaise aux responsables gouvernementaux, c'est le défaut de transparence en la matière qui, à tort ou à raison, leur vaut la suspicion que le choix du Vietnam, par exemple, a été sinon dicté, du moins fortement influencé par des considérations de commerce extérieur. Ainsi que le relève Fränz Jacobs dans son commentaire du rapport 1995 sur la coopération au développement, les critères de sélection des pays cibles devraient être débattus et la liste des pays retenus révisée. Dans la mesure ou les taux de cofinancement dont les ONG sont susceptibles de bénéficier sont entre autres fonction de la mise en oeuvre d'un projet dans un pays cible, il serait d'ailleurs normal que les ONG soient également associées, à un niveau ou un autre, au processus de détermination de ces pays.
Par ailleurs, certaines contradictions au niveau des principes mêmes de la coopération luxembourgeoise appellent à être clarifiées: ainsi peut-on (re)lire dans le rapport 1995 que le Luxembourg ne pratiquerait pas le système de l'aide liée et qu'il n'y aurait pas comme dans pratiquement tous les autres pays donateurs une règle relative au "retour" (rapport p. 10). Le même rapport révèle pourtant que parmi les instru- ments novateurs de la politique luxembourgeoise de coopération figure le mécanisme prévoyant "la mise à disposition de fonds de la coopération luxembourgeoise qui servent à financer des importations de produits luxembourgeois avec comme contrepartie l'engagement mauricien, respectivement namibien, d'investir à hauteur du même montant dans le secteur social".
Difficile, à l'évidence, d'imaginer une aide plus liée que celle-là. D'une manière plus générale, l'affirmation de l'absence de liaison de l'aide luxembourgeoise mérite- rait d'être soumise à un examen plus poussé. L'analyse faite par Christian Jutz semble révéler que, dans le domaine de la coopération bilatérale, le taux de retour de l'aide luxembourgeoise au profit d'entreprises luxembourgeoises n'est pas du tout négligeable. Et nos entretiens avec Lux-Development donnent à leur tour à penser qu'il y a à tout le moins un préjugé globalement très favorable vis-à-vis des entreprises luxembourgeoises. Implicitement, le rapport 1995 semble confirmer nos conjectures en la matière, puisqu'il y est affirmé que "le retour n'est nullement condamnable à condition que les projets ne soient pas exclusivement retenus dans cette optique". La question n'est d'ailleurs pas tant de savoir si le "retour" est condamnable ou non. Tandis, en effet, qu'il ne l'est pas dans l'abstrait, il affecte, dans la pratique, pour ainsi dire inévitablement l'utilité des projets en biaisant à la fois leur choix et leur mise en oeuvre. Aussi est-il primordial qu'en la matière la transparence la plus totale soit assurée.
Dans le même ordre d'idées, le gouvernement aura, dans le cadre du mandat qu'il donne à Lux-Development pour le mise en oeuvre des projets de coopération bilatérale, à prendre parti sur la question de savoir si, en vue d'optimiser les effets, y compris indirects, de développement des projets appuyés, il ne convient pas, précisément, de privilégier, dans toute la mesure du possible, l'approvisionnement local de préférence à l'approvisionnement à l'étranger. Nos entretiens avec Lux-Development montrent que tel n'est pas actuellement le cas, le projet étant envisagé comme un objet refermé sur lui- même dont il convient d'assurer la mise en oeuvre la plus efficace sans prétendre lui faire produire, sur l'économie environnante, des effets indirects qui n'en constituent pas la finalité-même.
Il résulte de ce qui précède qu'il est essentiel pour l'avenir de la coopération luxembourgeoise que l'élan et l'ambition dont elle est actuellement animée soient mis à profit pour franchir également un pas qualitatif, notamment par une réflexion approfondie sur les critères de sélection des projets à financer et sur les mécanismes de choix et d'évaluation susceptibles d'assurer la concordance entre les objectifs affichés de cette coopération et l'impact effectif des projets appuyés.
Sans doute le débat d'orientation sur la coopération au développement qui se préparera à partir de la rentrée parlementaire par des travaux en commission pourra-t-il servir d'incitatif supplémentaire à cette réflexion à laquelle, cependant, les ONG devraient à leur tour veiller à être associées.
L'année à venir ne devrait donc pas être moins déterminante pour l'avenir de la coopération luxembourgeoise que l'a été la précédente.
Pour plus d'information, contacter : Action Solidarité Tiers Monde
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Horizon Local 1997
http://www.globenet.org/horizon_local/
http://www.macbroker.com/:cserve/langevin/horizon.htm