Le Prof. Guy Bajoit enseigne e.a. à l'Institut du Développement de Louvain, un institut de recherche réputé qui donne une formation de 3e cycle sur le développement et par lequel passent bon nombre de gens qui vont travailler après dans les ONG belges.
Une de ses spécialités est l'analyse et la présentation des modèles de développement, et c'est justement ces modèles qu'il venait nous présenter à notre séminaire. Bajoit voit, du point de vue du sociologue, quatre modèles du développement que l'on pourrait presque qualifier de classique, auxquels s'ajoute depuis quelques années un cinquième modèle qui à beaucoup d'égards s'oppose à tous les quatre. Il a présenté les quatre classique dans une étude intitulée "Introduction à la critique de la sociologie du développement" publiée en 1990 par ITECO (le texte intégral est disponible à l'ASTM), il prépare une présentation du cinquième modèle pour publication dans un des prochains numéros de la revue "Antipodes" d'ITECO (revue très intéressante que l'on peut également consulter au CITIM).
En ce qui concerne les quatre premiers modèles, Bajoit écrit dans son étude de 1990 que "les théories du changement social dont disposent les sociologues correspondent aux idéologies de l'industrialisation et nous présentent du développement des sociétés une vision normative, linéaire et ethnocentriste." Et il poursuit: "Qu'il s'agisse d'expliquer comment les sociétés aujourd'hui industrialisées se sont développées, pourquoi certaines d'entre elles sont en crise et en sortent difficilement, pourquoi d'autres ne se sont industrialisées que plus tard et si lentement, ou pourquoi d'autres encore n'y parviennent pas du tout, les sociologues ont recours à des théories du changement social, qui découlent des quatre grands paradigmes de la sociologie.
Chaque théorie nous dit quel est le sens (orientation et signification) du changement social, quels sont les obstacles qui peuvent ralentir ou bloquer le processus, quel est le principe moteur qui entraîne la société dans le sens défini, et qui en sont les acteurs."
Insistons bien sur le fait que les modèles présentés par Guy Bajoit représentent le point de vue des sociologues (dans un sens très larges, car les tenants de certaines théories étaient plutôt des économistes ou des politologues) sur le développement, du moins en ce qui concerne les quatre classiques, le cinquième reprenant et systématisant plutôt des idées venant d'autres horizons, par exemple de l'ethnologie ou des termes comme "ethno-desarollo" étaient déjà utilisés et la question du rapport de la culture au développement posée longtemps avant que les milieux tiersmondistes les découvraient. Rappelons aussi que la présentation structurée de ces modèles (de nouveau peut-être à l'exception du cinquième) ne constitue en fait pas une chose nouvelle, que les grandes lignes en sont plus ou moins connues pour celles/ceux qui auraient déjà eu la curiosité de se pencher sur les fondements théoriques de leur travail dans les ONG, mais que Guy Bajoit a le mérite de les décrire d'une façon des plus compréhensibles (et qu'il est passionnant à écouter dans son exposé oral!).
Bajoit part de quelques questions: quelles sont les causes du sous- développement? quelle définition donner du développement? quelle politique de développement mener? quels en seraient les acteurs? quelle forme prendra dès lors la coopération? Les théories qu'il analyse selon cette grille sont celle de la modernisation, celle de la révolution, celle de la compétition, celle du conflit, et celle de l'identité.
Toutes ces théories sont apparues après la 2e Guerre Mondiale (le lien idéologique avec la division du monde en deux blocs et la lutte des deux blocs pour l'hégémonie étant évidents) - auparavant, jusque dans les années 30, le mot "développement" n'était jamais utilisé pour parler de sociétés. Les deux premières théories étaient dominantes des années 50 jusque vers les années 1978 ~ 1985, elles sont centrées sur l'idée que l'Etat a un rôle central à jouer. Les deux suivantes sont apparues à la fin des années 70, elles misent sur la société civile comme moteur du développement et peuvent être comprises comme une réaction aux deux premières. La théorie de l'identité enfin fait son apparition dans les années 80 (mais, rappelons-le, parce que Guy Bajoit ne l'a pas mentionné, des éléments importants en apparaissent dans des écrits ethnologiques resp. anthropologiques dès le début des années 70!), et d'une certaine façon, elle s'oppose à toutes les autres.
Modèle de la modernité
Pour les tenants de ce modèle (dont, comme pour tous les autres, il existe nombre de variantes), le développement est une question de culture, il s'agit du passage de la culture traditionnel à la culture moderne. Le sous-développement est censé être causé par la résistance (attitude active) et l'inadaptation (frein passif) des systèmes de valeur traditionnels au progrès sous tous ses aspects. Il est évident que ce modèle a ses racines dans la philosophie des lumières et dans la sociologie qui s'en est dégagée!
Pour cette sociologie, "une société est d'autant plus moderne que les valeurs, qui orientent les conduites y sont plus universalistes, donc moins particularistes; que les statuts y sont plus acquis, et donc moins precrits; que les normes y sont plus neutres, donc moins chargées d'affectivité; et que les rôles y sont plus spécifiques, donc moins diffus. Les sociétés modernes comportent dès lors certaines caractéristiques qui découlent de ces quatre traits. Ainsi, la différenciation complexe des rôles et des statuts entraîne une forte stratification sociale, une valorisation de la mobilité individuelle ascensionnelle, donc aussi de l'individualisme, de la compétition et de l'instruction. La rationalité moderne valorise l'économie des ressources (temps, argent, énergie, travail, matières), ce qui implique une obsession de la productivité, une exploitation intensive du travail, une conception linéaire du temps, tendu vers le progrès. La maîtrise de l'environnement naturel par le travail, la science et la technique suppose une sécularisation de la société et une séparation du sacré et du profane."
La politique de développement préconisée par ce modèles est bien sûr une politique de modernisation, économique, politique, sociale et surtout culturelle - une politique appliquée à des pays qui devraient rattraper en quelques années une évolution qui, en Occident, a pris au moins un demi-millénaire, mais ceci est une autre question! C'est donc une politique qui s'attaque plus ou moins directement à la culture traditionnelle et qui en pratique se traduisait souvent en des programmes de "changement social resp. culturel planifié voire forcé".
Les acteurs de cette politique étant l'Etat avec les élites modernisatrices, cette politique de développement a pour but essentielle de créer ces élites, la coopération veut donc "produire" et aider des cadres et est dispensée largement sous la forme d'assistance technique (en 1969, l'ASTM a été fondée sous le nom d'AFC, Action Formation de Cadres...).
Modèle de la révolution
Ce modèle est en quelque sorte le frère ennemi du précédent, il est apparu à la même période, mais en émanant du bloc idéologique opposé. Pour ce modèle, le développement est fondamentalement une question politique. Le sous-développement serait causé par l'impérialisme du "Centre" sur "la périphérie" avec la complicité active des classes dominantes locales, il est donc le résultat d'un pillage systématique.
"La théorie de la révolution se place donc fermement du point de vue des classes populaires et donne du progrès une interprétation diamétralement opposée (...). Le sens du changement est donné par le progrès social, c'est-à-dire par l'amélioration des conditions matérielles et culturelles d'existence des masses, aussi bien dans les sociétés industriellement avancées, que dans celles qui le sont moins ou pas du tout. L'obstacle fondamental au progrès ainsi défini est la domination économique, politique et idéologique exercée par la bourgeoisie capitaliste, avec l'aide de son Etat, sur le prolétariat, sur les autres classes travailleuses et sur les masses populaires en général."
La politique de développement découlant de ce modèle est donc une politique de révolution nationale et sociale, avec comme buts la prise de l'Etat, sa transformation selon les idées révolutionnaires, et puis la consolidation de l'acquis. Mais un des grands problèmes des différents tenants de ce modèle est la division sur les méthodes à utiliser pour prendre l'Etat: par des élections, par les armes, avec les ouvriers, avec les paysans, avec la petite bourgeoisie...
Les acteurs de cette politique sont les élites révolutionnaires du Parti et non des syndicat et des mouvements sociaux, ce qui mène à la dictature d'une nomenklatura se réclamant du prolétariat. La coopération se traduit surtout par la solidarité politique ainsi que le cas échéant par l'envoi d'armes et de techniciens.
Entre les modèles de la modernisation et celui de la révolution, de nombreux mélanges possibles, ainsi que de nombreuses variantes, et souvent il y a glissement du modèle "révolutionnaire" vers l'autre modèle, car à y voir de près, il part lui-aussi de la prémisse qu'il faut éradiquer la culture traditionnelle et anti-moderniste, d'une prémisse que l'on peut qualifier d'extrêmement ethnocentriste.
Modèle de la compétition
La base de lecture de ce modèle est économique, la cause du sous-développement est un excès d'interférence de la logique politique (Etat) sur la rationalité économique (p.ex. droits de douane, subsidarisation des prix des aliments de base, non-rentabilité des entreprises publiques...). Le développement est selon ce modèle le passage d'une rationalité politique à une rationalité économique, il s'agit donc p.ex. de privatiser les entreprises publiques, de responsabiliser les individus, de suivre les lois du marché...
"Quel est alors le sens du changement social pour cette approche théorique? Les sociétés avancent sur le chemin du progrès économique et social lorsque les individus ont intérêt à le choisir par un calcul rationnel, autrement dit, lorsqu'ils n'ont pas intérêt à le rejeter. Elles progresseront donc, si sont supprimées toutes les interférences qui les amènent à préférer la stagnation, c'est-à-dire l'état de sous-développement, de crise, de blocage. Il s'agit donc de créer dans les sociétés des conditions telles, qu'en laissant les individus libres de décider, chacun ait intérêt à choisir le progrès, et qu'ainsi, la somme des intérêts particuliers fasse effectivement l'intérêt général, plutôt que de produire des "effets pervers". Le changement porteur de progrès consiste donc à passer d'un ordre social fondé sur la contrainte à un autre fondé sur un contrat social entre des acteurs libres et rationnels."
Les acteurs privilégiées de ce modèle de développement sont bien sûr les "élites innovatrices privées", et point l'Etat ou des groupes sociaux constitués comme des syndicats, des ONGs... "L'idée de base est donc une confiance totale dans les vertus de la concurrence: en stimulant la libre compétition dans tous les domaines, on oblige chacun à lutter pour survivre, donc à prendre ses responsabilités en ne comptant que sur lui-même; on crée ainsi un climat de forte stimulation de l'initiative, qui ne peut avoir pour conséquence, à la longue, que le progrès général. Même si, en cours de route, les faibles sont éliminés, ils finiront par profiter de l'amélioration générale. D'ailleurs, l'élimination des canards boiteux est une bonne chose, puisqu'elle permet le bien collectif (sélection "naturelle"). Et, de toute façon, il est impossible de faire autrement: le développement est un processus long et difficile, qui ne va pas sans sacrifices." On reconnaît là aisément un certain discours néolibéral, voire
relevant du darwinisme social, qui souvent emprunte quelques idées (la modernisation nécessaire, mais aussi le fait de ne pas mettre en question la voie suivie par la civilisation occidentale) et quelques comportements (p.ex. une attitude paternaliste "bienveillante" du genre "ils sont comme des enfants qu'il faut prendre par la main pour leur apprendre à marcher") au discours modernisant, tout en s'appropriant des slogans comme "développement durable" en les dénaturant et en leur donnant un sens contraire à celui exprimé par leurs inventeurs!
La coopération selon ce modèle est l'aide à l'autonomie, il s'agit p.ex. de contribuer à l'éclosion et à l'épanouissement des fameuses "micro-entreprises", et on veut à tout prix (et parfois sans tenir du prix social que ça va coûter à la société) éviter de fabriquer des assistés.
Le modèle du conflit (ou: "des mouvements sociaux")
Ce modèle part du constat que l'Etat trop fort, autocratique ou plus ou moins dictatorial, de gauche comme de droite, étouffe les conflits, il étouffe donc la société civile, avec le résultat qu'il manque une dynamique créant du développement. Pour coller une fois un nom sur une pensée, précisant qu'en Europe un des théoréticiens les plus connus de ce modèle est Alain Touraine: "Pour A.Touraine, le sens du changement, du développement, est le processus de passage des sociétés à historicité faible vers des sociétés à historicité forte. Rappelons que l'historicité est la capacité d'action que la société exerce sur elle-même par l'invention de savoir-faire technique et l'accumulation de surplus matériel." Touraine, pour rester à son exemple, distingue quatre types d'historicité, l'agraire, la marchande, l'industrielle et la post-industrielle, en les classant dans l'ordre croissant des capacités qu'elles permettent, notre société occidentale étant déjà en train de passer au type post-industriel, le plus avancé...
Le développement est donc le passage d'un type d'historicité plus faible à un type plus fort. Concrètement, c'est le passage d'un régime dictatorial à la démocratie et au respect des Droits de l'Homme, car la conflictualité qui en découle mène à une dynamique culturelle, sociale, politique et économique. au développement.
Quels sont les acteurs privilégiés de ce modèle? "De ce qui vient d'être dit, on peut conclure que l'acteur porteur de changement serait ici un mouvement social de classe populaire, donc, le surgissement d'une solidarité collective entre les multiples fractions hétérogènes qui la composent.
Cet acteur serait social et non directement politique, ce qui signifie que son but ne serait pas de prendre le pouvoir et de contrôler l'Etat: il ne s'agit pas d'un parti révolutionnaire. Sa présence, cependant, bouleverserait le fonctionnement du système social tout entier, et donc aussi du système politique, comme le fit le mouvement ouvrier en Europe."
Le type de coopération favorisé par ce modèle est la solidarité avec les mouvements de base: "Court-circuitant les Etats dépendants, des milliers de projets sont soutenus par des ONG privées, avec l'aide de certains Etats occidentaux et d'organisations internationales. On trouve à leur tête des "élites solidaires" qui ne sont ni des modernisateurs, ni des gestionnaires néo-libéraux, ni des militants marxistes- léninistes liés à des partis. Cette multitude de groupes rassemble une partie importante de "peuple" de ces pays, dans un véritable mouvement social, en voie de formation."
Avant de venir au cinquième modèle, laissant tirer Guy Bajoit une conclusion au sujet des quatre premiers modèles (c'est nous qui soulignons): "Ce qui nous paraît clair, c'est que les quatre théories sociologiques du changement social, dont nous disposons aujourd'hui, sont des théories du progrès, c'est-à-dire du modèle culturel des sociétés industrielles, et qu'à ce titre, elles sont étroitement liées aux idéologies du développement (nationalisme, libéralisme, communisme et socialisme), que ces sociétés ont produites pour donner sens à leurs pratiques et mobiliser leurs acteurs (Etat national, bourgeoisie libérale, parti révolutionnaire et mouvement ouvrier). Leur ethnocentrisme apparaît d'une manière évidente. S'agissant du Tiers Monde, elles l'invitent (et lui imposent) des voies de développement qui sont la fidèle reproduction des étapes de l'histoire de l'industrialisation des sociétés développées du Nord, et elles évaluent son retard, son succès ou ses échecs, par rapport à cet objectif. S'agissant des sociétés industrialisées en crise ou en mutation, elles nous font penser l'avenir avec des concepts hérités du passé. (...) Nous sommes de toute évidence à l'aube d'une ère nouvelle, ou il devient indispensable d'inventer de nouveaux concepts et de nouvelles théories, capables tout à la fois d'intégrer le passé et de comprendre l'avenir."
Le modèle de l'identité
Et c'est justement là qu'un cinquième modèle s'opposant aux quatre théories plus ou moins ethnocentristes, car préconisant le rattrapage du Nord par le Sud, trouve sa place, un modèle qui part d'une certaine façon de l'idée que la cause première du sous-développement est la coopération au développement - et en lisant cette phrase, nos lecteurs se souviennent peut- être du livre "Fiesta - jenseits von Entwicklung, Hilfe und Politik" (Brandes & Apsel, Frankfurt 1992) du Mexicain Gustavo Esteva, dont une des phrases-clés était justement "Entwicklungshilfe sofort einstellen!".
Guy Bajoit a passé moins de temps à présenter ce dernier-né des modèles de développement, il n`en parle d'ailleurs pas encore dans son étude de 1989, et le modèle n'apparaît pas dans le tableau récapitulatif que nous reproduisons ici. En effet, c'est un modèle qui d'une certaine façon est seulement en émergence, ou plutôt, des expressions - et concrètes et théoriques - de ce modèle sont apparues depuis les années 70 "sur le terrain" et sous la plume d'auteurs qui ne sont pas des sociologues, qui ne forment pas du tout un groupe homogène, qui ne se connaissent souvent même pas entre eux, mais la sociologie ne vient que récemment de commencer à l'étudier et à essayer de le systématiser.
Disons tout de suite que c'est un modèle très controversé, car utilisant des termes comme "ethnie", "peuple", "identité"... qui ont un passé (et un présent, ne l'oublions pas) très lourds, qui sont utilisés avec un sens tout à fait différent par des auteurs d'extrême-droite, et qu'il est plus facile que pour les quatre premiers modèles de prévoir des dérapages possibles (bien que les dérapages connus des autres pèsent aussi lourds, à voir p.ex. la guerre du Vietnam et l'auto-génocide au Cambodge).
Des auteurs comme Serge Latouche ("L'occidentalisation du monde", La Découverte, Paris 1989/1992) et plus près de nous Thierry Verhelst ("Des racines pour vivre. Sud-Nord: identités culturelles et développement", Duculot, Bruxelles 1987) en sont peut-être les auteurs qui ont acquis la plus grande notoriété et suscité le plus de polémiques dans le monde des ONG, mais il faut insister sur le fait que ces deux auteurs s'inscrivent dans un courant (ni organisé ni structuré) qui remonte assez loin. Il y a par exemple tout le courant de l'ethnologie raillé par certains comme "les chevaliers de l'ethnocide", avec en tête Robert Jaulin; ce dernier a publié en 1984 dans la "Revue Tiers-Monde" (Vol.XXV, no.100, 1984. p.913 - 927) une étude "Ethnocide, Tiers Monde et ethnodéveloppement".
Là, Jaulin définit d'abord quelques termes qui jouent un rôle important dans toutes les discussions autour de ce modèle, et surtout le mot "peuple", "ethnos" resp. "ethnie": "il désigne un peuple "spécifique", un peuple nanti ou doué d'une propriété, d'une qualité donnée, laquelle est une culture; ethnos désigne un peuple en tant que culture; ou une culture incarnée en un peuple. Par culture il est possible d'entendre, ici, une civilisation. Le mot est à prendre dans son sens plein, maximum. (...) La culture est l'état de nature de l'être humain. Cet état renvoie à un univers pluriel (...)." Et il en déduit: "Une culture étant un "tout", il peut suffire d'agir sur l'un de ses maillons pour la modifier ou la détruire en sa totalité." La destruction d'une culture est bien sûr l'ethnocide, mais: "Ce "tout" est une structure et une dynamique, il dispose donc de possibilités fort grandes de "réponses" ou/et d'inventions; aussi faut-il souvent compter les procédures de modifications internes au titre de ses façons de survivre et vivre, au titre de sa permanence." Il en résulte une définition du développement assez typique pour ce courant d'idées: "Le Tiers Monde est le résultat de l'émergence du développement comme projet ethnocidaire né de la décolonisation. Admettons que le Tiers Monde ait le sens du mot qui le désigne, prenons ce dernier au pied de la lettre. Une question vient à l'esprit: De quel monde le Tiers Monde est-il le tiers? Quel couple ou quel personnage ce tiers et les deux autres tiers forment-ils ensemble? Le Tiers Monde se trouve ainsi défini de façon unitaire, par référence aux deux tiers et non par référence à lui-même."
Pour revenir à la grille de Guy Bajoit, essayons de mettre quelques mots dans chaque case: le sens est l'auto- développement, la reprise en mains de son propre destin, le retour à la culture traditionnelle comprise comme quelque chose de dynamique (et non de figée, de statique - il ne s'agit donc pas d'un simple retour en arrière). L'obstacle est la coopération au développement - aussi bien l'étatique que celle de la plupart des ONG - qui ouvertement ou inconsciemment veut amener une évolution sur le modèle occidental. Le moteur? Là, on peut donner quelques mots-clés comme "développement durable", identité culturelle", "Droits de l'Homme et des peuples", "autogestion villageoise", "écologie", "autarcie"... et il faudrait en ajouter bon nombre d'autres qui pour certains relèvent d'une vision romantique de mauvais aloi du monde... L'acteur de ce modèle de développement est "le peuple", terme plus ou moins rempli d'un sens cohérent par les uns et les autres qui l'utiliseraient. En ce qui concerne les projets, on a plutôt tendance à les refuser et à dire que le seul projet valable est la solidarité... Il découle de ces quelques phrases que c'est un modèle qui nécessite encore énormément de recherches et de discussions critiques!
Conclusions pour l'ASTM
Le lendemain de l'exposé de Guy Bajoit, nous avons tenté d'appliquer sa grille d'analyse à différents projets de l'ASTM, pour nous rendre compte que cela est un exercice assez fastidieux. La plupart de nous sont partis de l'idée que vue la philosophie de l'ASTM (qui pour ne jamais avoir été fixée par écrit existe tout de même), nos projets tomberaient presque automatiquement sous le "modèle du conflit", celui des mouvements sociaux et de base (qui relève, Bajoit le dit clairement, aussi bien d'une vision ethnocentriste du monde que les trois autres!), avec le cas échéant quelques emprunts au cinquième modèle. Or, ça c'est la théorie, et tout autre est la praxis, comme disait mon prof d'économie au lycée, et une discussion très animée a montré que la réalité est plus complexe et que certains projets empruntent à tous les modèles, à l'exception notable de celui "de la révolution".
Autrement dit, pour un même projet donné, les réponses aux différentes questions de la grille tombent souvent sous différents modèles, et l'image qui en découle n'est pas claire du tout. Que dire p.ex. d'un projet dont le contenu, "le moteur", relève et du modèle des mouvements sociaux et de celui de l'identité et semble offrir de fructueuses opportunités pour un véritable développement auto-géré, mais dont les acteurs peuvent être vus comme les sujets du projets, les véritables acteurs se trouvant à un niveau tout à fait différent, et dont ces "acteurs" sont de toute façon décrits systématiquement comme "apathiques"? Que dire de projets de crédit et d'épargne qui sont ancrés dans le modèle des mouvements sociaux, mais qui peuvent aussi bien tendre vers le modèle néo-libéral des (micro-)micro-entreprises et de la compétition individuelle?
Le séminaire a donc soulevé un tas de question pour notre travail d'ONG, ce qui en a été un des buts, car ce n'est qu'en mettant en question son propre travail et en ne se reposant pas sur des lauriers qui semblent acquis qu'une ONG peut progresser. Ce n'était sûrement pas le dernier séminaire de l'ASTM sur ce thème-là!
Pour plus d'information, contacter : Action Solidarité Tiers Monde
39, rue du Fort Neipperg - L-2230 Luxembourg
Tél: 00352/ 400 427; Fax: 00352/ 40 58 49
Email: citim@ci.ong.lu
| Sommaire |
Horizon Local 1997
http://www.globenet.org/horizon-local/