Par François Régis Mahieu
-I- Le catalogue des indicateurs "autour du PNB".
11- Le Produit par tête et ses problèmes
- 12- Au delà de la production, comment indiquer le développement ?
-II - Le développement humain, à la recherche d'une vision synthétique.
- 21 -L'Indice synthétique du développement humain (IDH).
22- Le développement idéaliste et les indicateurs synthétiques
III - Indicateurs du développement , décrétés ou révélés ?
31-Les difficultés des indicateurs normatifs: baromètre du développement et ligne de pauvreté.
32 - Le problème des besoins essentiels: des biens aux capacités.
L' Arithmétique Politique fondée par William Petty , établissait en "nombres, poids, mesures" la richesse relative des nations.. sous le contrôle attentif des princes. Avec la naissance des comptabilités nationales, le développement comparé des nations s'évalue à coup d'agrégats macro- économiques (Produit national, Disponibilité alimentaire globale..) et détermine les rapports macro- géographiques: Nord/ Sud, Tiers Monde, Pays Moins Avancés, etc....En apparence, ce type d'évaluation a peu de sens sur le plan micro-économique: comment savoir que vous êtes plus sous- développé que moi ?
Néanmoins, compte tenu de nouvelles exigences éthiques, les indicateurs du développement désignent autant la réussite économique d'une nation que l'amélioration du bien être d'une ou plusieurs personnes. Sur cette base macro et micro- économique, ces indices sont produits exclusivement par les grandes institutions du développement qui les inscrivent à la fois dans le passé par leurs constats, dans le présent par les modes de l'expertise , dans le futur comme impératif suprême.
Faut- il se contenter des indicateurs des institutions de développement ? Ces indicateurs sont dérivés de leurs conceptions théoriques, par exemple en matière de compétitivité internationale ou de développement humain. Depuis 1990, il existe une intense compétition sur le "marché des indicateurs" entre la Banque Mondiale et le Programme des Nations Unies pour le Développement ( PNUD). Ainsi le rapport du PNUD de 1992 est un modèle de contestation à la fois du FMI et de la Banque Mondiale. La première institution n'a pas exercé son autorité vis à vis des pays riches mais a abusé de la conditionnalité vis à vis des pays pauvres. La Banque n'a pas su être l'intermédiaire financier capable de recycler les excédents des pays riches en faveur du développement des pays pauvres. Réciproquement la Banque accuse le PNUD de normer son Indice du Développement Humain ( IDH ) sur le niveau des pays les plus riches.
Mais le développement ne passe pas forcément par les institutions. En considérant la pauvreté comme un des symptômes majeurs du sous développement, les agents économiques concernés n'attendent pas passivement les projets des experts et réagissent stratégiquement aux contraintes de leur milieu. Existe t-il des indicateurs du développement révélé ou décentralisé ? On peut ainsi distinguer le catalogue des indicateurs de développement autour du PNB, la recherche d'une vision synthétique du développement humain, et s'interroger enfin sur l'opposition entre les conceptions normatives du développement "décrété" et les paradoxes du développement "révélé".
I- Le catalogue des indicateurs "autour du PNB".
L'indicateur le plus utilisé ( et controversé) est le Produit National Brut (PNB) par tête qui établit le classement de la Banque Mondiale. Une Banque doit privilégier la réussite économique! Le PNB reste l'indicateur de base du développement pour comprendre les "pénalités" du PNUD; la structure et l' évolution du PIB permettant de tester les grandes lois qui caractérisent le développement.
De multiples indicateurs économiques, sociaux et financiers publiés non seulement par la Banque mais aussi par les agences des Nations Unies, permettent de préciser ce "niveau de développement". Sans indicateur synthétique, l'observateur est rapidement submergé ....
11- Le Produit par tête et ses problèmes
Le rapport de la Banque sur le développement dans le Monde part de la réussite économique, exprimée par le Produit National Brut .
Le Produit National Brut est la somme de la valeur ajoutée intérieure et extérieure attribuable aux résidents. Il comprend non seulement le Produit Intérieur Brut (production finale totale de biens et de sercices des résidents et des non résidents) , mais encore le revenu net des facteurs reçu par les résidents à partir de l'étranger. La croissance et la structure du PIB permettent de préciser les modalités de cette réussite économique.
Le PNUD part du PIB réel par habitant, en utilisant des parités de pouvoir d'achat au lieu du taux de change, comme facteurs de conversion avant d'intégrer des données ayant trait au bien être.
- 111- Evaluation du PNB et du PIB.
- Le PNB par tête est un indicateur du revenu qui permet une classification entre "Economies à bas revenu" ( moins de 730 $ en valeur 1995), "Economies à revenu moyen" ( plus de 770 $ et moins de 8210$) avec deux tranches intermédiaires ( inférieures et supérieures) autour de 3100 $. Les pays à haut revenu ont un revenu supérieur à 9700 $ et surtout atteignent un revenu moyen de 24 930$. L'écart entre les pays riches et pays pauvres reste un indicateur très médiatique; sur la base d'une comparaison entre les deux premiers et les deux derniers déciles, l'écart a continué à se creuser en passant de 1à 30 à 1 à 60.
Cettte classification s'est substituée à l'ancienne énumération des "trois mondes" imputée à Alfred Sauvy. Le second monde ( socialiste) a implosé et une partie du Tiers Monde a largement rattrapé le premier monde. Ainsi des économies classées par les Nations Unies " en développement" telles Israel, Hong Kong , Kowaït, Singapour et les Emirats Arabes Unis se retrouvent dans cette tranche privilégiée.
Expression de la technostructure du développement, cette classification par le revenu s'est imposée par ses incidences politiques directes, en conditionnant par exemple l'accès aux facilités de l' Association Internationale de Développement (IDA). Dès lors..., mieux vaut être en dessous de la ligne de pauvreté ( 770 $) !
- Le PNB est toujours le principal indicateur malgré les critiques habituelles ayant trait à la distribution, la sous- estimation des services, la non prise en compte des activités non marchandes, la dégradation du capital écologique ou humain. Des critiques plus récentes montrent que l'augmentation du PNB peut diminuer le bien être, soit à court terme ( en aggravant le sort des plus pauvres) ou à long terme en dégradant la qualité de l'environnement et plus généralement de la vie.
- La relation PNB/ population doit être appréciée en fonction des deux éléments de la relation. A une richesse relativement faible du point de vue du PNB devrait être associée la richesse de la population ( il n'est de richesse que d'hommes). Comment dès lors laisser des pays comme la Chine et l'Inde au milieu des pays les plus pauvres de la planète ?
- A un PNB très faible, peut correspondre un optimum , soit un état d'équilibre réalisable, préféré à tous les autres. Un développement décrété peut très bien se traduire par des situations sub- optimales par rapport à la situation précédente. En d'autres termes, les compensations du développement ( l'augmentation du revenu national) ne rétablissent pas la mise en cause des préférences individuelles.
D'autre part, il faut estimer ce PNB dans une unité de compte internationale, à savoir le $ US au risque de nombreuses distorsions. La correction la plus fréquente consiste à utiliser les Parités de Pouvoir d'achat (PPA).
Le principal problème dans une économie ouverte tient à la prise en compte des prix ( l' économie est fatalement price- taker). Comment calculer un PNB en dollars à partir des données en monnaie locale ? On propose alors, au moyen de la parité des pouvoirs d'achat (PPA) de corriger le PNB évalué au taux de change nominal par les prix et plus généralement par des facteurs de conversion.
La Parité des Pouvoirs d'Achat équivaut au nombre d' unités d'une monnaie étrangère requises pour acheter les mêmes montants de marchandises et services sur un marché d'un pays donné qu'un dollar achèterait aux USA. Encore faut-il parier sur une valeur d'échange incontestable entre les deux marchandises, ce que contestait déjà Ricardo (1817).
La PPA permet un premier reclassement qui favorise les USA ( par définition), les NPI et un certain nombre de "petits" pays ( Suisse, Belgique, Autriche, Luxembourg). Mais le calcul est déjà fluctuant et le calcul en PPA apporte quelquefois des surprises médiatiques, pouvant très bien faire apparaître la Chine ou la Russie dans les cinq premières "puissances" économiques mondiales ( Cf. la base des données du CEPII in fine..)
- 112 - Revenu national et structure du PIB lois d'évolution. ?
Les indicateurs de la Banque Mondiale et du PNUD permettent de tester un certain nombre de lois fondamentales du développement (convergence du développement, urbanisation et tertiarisation, augmentation fatale des inégalités etc......).
La croissance du Produit Intérieur Brut ( 1980- 1993), convergence ou divergence ?
La croissance (annuelle moyenne sur la période) par tête fut remarquable pour les NPI asiatiques , avec des taux records pour le la Thaïlande ( 8,2 %), Hong Kong ( 6,5 %). Elle est conséquente pour la Chine (9,6 %) et l'Inde ( 5,2 %). Elle est, par contre, fortement ralentie sur la décennie 1980 pour la plupart des pays africains ( sauf le Bostwana avec 9,6 % !), , sinon négative pour les pays ex- socialistes . Pour ces pays la décennie des années 1980 est "perdue" . On assiste ainsi à des cycles de développement et de sous développement pour ces pays.
Les pays les plus riches convergent autour d'un seuil de 2 % . Si la "règle d'or" ( tendance à la stationnarité) s'applique aux pays les plus riches, la divergence du développement ( creusement des écarts de croissance) s'applique entre économies en développement avec un très fort déterminisme géographique.
- 12- Au delà de la production, comment indiquer le développement ?
Un certain nombre d'indices accompagnent normalement le développement: autosuffisance alimentaire, tertiarisation, urbanisation. Considéré plus négativement, le développement se traduit par une inégalité croissante et des charges récurrentes et financières de plus en plus lourdes.
- Tous les indicateurs sociaux: démographie, fertilité, santé et nutrition, éducation, comparaisons par sexes vont dans le sens du développement. Sur le plan démographique, le lit du pauvre est toujours fécond . Cette tendance est compensée par une espérance de vie encore très discriminante allant de 44 ans ( Guinée Bissau, Ouganda) à 80 ans au Japon. A cette augmentation globale de la population correspond une disponibilité alimentaire de plus en plus sécurisante. Globalement les disponibilités alimentaires globales par habitant augmentent et ainsi le développement devient un problème de demande solvable ( Banque Mondiale) ou de droits d'accès ( PNUD). Mais, dans les économies les plus pauvres ( sauf le Burkina Faso et le Nigéria) la production alimentaire par habitant diminue de 1979 à 1993 et l' aide alimentaire augmente de près de 60 % pour tous les pays à revenu faible et intermédaire.
- Le développement se manifeste par une phase préalable de fortes inégalités et des charges très lourdes.Les pays records pour l'inégalité ( pourcentage de la richesse détenu par le décile supérieur de la population) se trouvent parmi les plus pauvres: les pays où ce ratio est supérieur à 40 % sont la Tanzanie, la Guinée Bissau, le Kenya, le Zimbabwe, pays de la tranche la plus pauvre; néanmoins les pays à inégalité record sont le Brésil ( 51%, coefficient de Gini, record, de 63,4) et l'Afrique du Sud ( 47 %). Les pays développés répartissent mieux leur richesse, avec un taux situé entre 20 et 30 % . De façon générale, les NPI qui , par un développement accéléré (Singapour, Hong Kong, Corée, Mexique, Chili), rejoignent les pays développés, affichent une très grande inégalité sociale, vérifiant la loi de Kuznets selon laquelle les inégalités augmentent avec le développement, avant de diminuer
- Des charges budgétaires et financières de plus en plus lourdes ? Conformément à la loi de Wagner (1892), le développement associe à l'industrialisation et à l' urbanisation, une augmentation fatale de la pression budgétaire publique et para- publique. La plupart des pays développés connaissent un ratio du revenu public et para public/ PNB de l'ordre de 30 % et plus (avec un sommet de 51 % pour les Pays Bas), à l'exception de l'Amérique du Nord ( USA et Canada) et l'Australie. Ces pays connaissent des taux d'urbanisation élevés ( 78 % en moyenne) contre 54 % pour la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire et 28 % pour les pays les plus pauvres. Néanmoins on peut être sous- développé, fortement urbanisé et subir cette loi, telles certaines économies ex -socialistes ou encore l'Egypte, le Sénégal etc....
- Les indicateurs financiers soulignent l' hétérogénéité des pays sous développés face à la dette. Le plus souvent les pays à forte capacité de développement ont la dette la plus lourde. Tels les poids lourds du développement qui cumulent entre 50 et 100 milliards de dollars de dette: Inde ( 92 milliards ), Chine ( 83 milliards), Indonésie ( 89 milliards), Thaïlande ( 46 milliards), Turquie ( 67 milliards) avec les deux champions que sont respectivement le Brésil ( 133 milliards) et le Mexique ( 118 milliards).
- L' idée que le sous- développement est liée mécaniquement à la "protection " de l'Etat n'est pas prouvée sauf à considérer la part du revenu de l'Etat dans le produit national. En matière de déficit, la France avec 3,8 % détient un des meilleurs scores des pays développés... qui contraste avec des déficits publics relativement faibles des PVD . Plus généralement la vieille thèse des particularités budgétaires du sous- développement ( la "plaie" des impôts indirects, la protection effective des Etats, les déficits publics record et plus généralement la "politique du ventre" ) n 'est pas confirmée par les indicateurs.
En fait, le lecteur assidu du rapport sur le développement de la Banque Mondiale sera bien en peine de vérifier l'application effective des canons de cette institution: notamment la "surévaluation du taux de change réel", à savoir d'une faible ouverture du pays par rapport à la compétition internationale. Il ne trouve pas non plus un indicateur sanctionnant le développement décrété par projets: il faut rechercher implicitement un "indicateur de réalisation des projets". Par exemple Little et Mirrlees( 1991) ont souligné que l'écart entre les taux de rentabilité ex ante et ex post ne fait qu'augmenter. Sur 2000 projets observés entre 1968 et 1980, la rentabilité ex ante augmente de 17 à 29 % entre 1968 et 1980 et la rentabilité ex post stagne entre 13 et 16 %.....En d'autres termes, sur les fondamentaux du développement, il manque une évaluation "externe" des....offreurs de développement. Cette évaluation sera facilitée si l'on ne croule pas sous les catalogues d' indicateurs, d'où l'utilisation d 'indicateurs synthétiques.
II - Le développement humain, à la recherche d'une vision synthétique.
Le PNUD depuis Juin 1990 publie, dans son rapport, Classement 1998 ,un indice synthétique du développement humain.Etablir un indice synthétique sur la moyenne de différents critères fondamentaux du développement, n'a rien de nouveau; d' autres agences telle l' ODI (Overseas Development Institute) en Grande Bretagne s'étaient déjà risquées à cet exercice. Plus globalement la planification du développement est fondée sur la pondération des arguments d'une fonction objectif.
Serait- ce la renaissance de la planification centralisatrice et globalisante ? Ce serait oublier que "le développement devient un processus centré sur l'homme.." et qu'il faut l'axer sur l'individu". On retrouve ainsi les idées du développement humain, à savoir préserver les facultés et droits de l'homme à tous les niveaux et instaurer la capacité de gestion du développement.
Le développement a une double dimension, il est humain et "soutenable": - L'homme est le point de vue prédominant, non seulement dans les objectifs, mais aussi dans la méthode. L' "Humain" ne se réduit par à la construction d' un indice global et composite ( cf. toutes les critiques à l'Indice de Développement Humain), mais implique une remise en cause d'une attitude purement macro- économique - " Développement soutenable" traduit immédiatement "sustainable growth" et s'identifie à la préservation de l'environnement humain et physique. On lui préfére souvent l'expression de développement durable.
- 21 -L'Indice synthétique du développement humain (IDH).
- Mode de calcul: l'IDH est un indice normé.
L'IDH, utilisé depuis 1990 par le PNUD, privilégie la longévité, le savoir, le niveau de vie. Conçu au départ comme la moyenne arithmétique des indicateurs de durée de vie, de niveau d'éducation, et de PIB réel corrigé par la PPA, il est actuellement calculé à partir de quatre variables de base: revenu, espérance de vie, alphabétisation des adultes, nombre moyen d'années d'étude, en différenciant le primaire, le secondaire et le supérieur. Le développement a trait à la "possibilité" fondamentale ( et non plus à la détention de biens matériels) d'intégration d'un ou plusieurs individus dans la société. Cette possibilité a trois composantes : mener une vie longue et saine, accéder à la connaissance et à l'information, enfin bénéficier de ressources assurant un niveau de vie décent.
L'IDH comporte une valeur maximale et une valeur minimale pour chaque critère; ce qui permet d'exprimer la position de chaque pays entre 0 et 1. Ceci veut dire que l'IDH , normé, au départ sur le niveau du Japon, puis de la Suisse, l'est désormais par rapport aux valeurs maximales des variables retenues:
- Espérance de vie à la naissance: 25- 85 ans. - Alphabétisation des adultes; 0% - 100 % - Taux de scolarisation: 0%- 100 % - PIB réel par habitant (PPA): 100 $ - 40 000 $. Le calcul de l'IDH soulève de nombreux problèmes de traitement, le principal étant le traitement du revenu au dessus du seuil de pauvreté, dont le rendement est décroissant par hypothèse. D'où l'utilisation du logarithme et d'un coefficient de pondération nul au revenu au dessus du seuil de pauvreté.
Classement . Le PNUD distingue trois groupes de pays: - les pays à développement humain élevé dont l' IDH est supérieur à 0,804 - les pays à développement moyen dont l'IDH > 0,507 et en deçà les pays à faible développement humain , le Niger ( 0,207 ) et la Sierra Leone ( 0, 185) détenant l'IDH le plus faible . L'intérêt revient à accentuer la différence entre l'IDH et le PIB, à diminuer la corrélation de rang entre les deux classements. Ainsi dans le classement du rapport 1995 , des écarts positifs importants caractérisent les pays nordiques ( sauf le Danemark) et certains pays très pauvres tels Madagascar ou Sao Tomé et Principe. Le Canada devient la nation économique la plus développée dans le cadre d' un bouleversement de hiérarchie des pays industrialisés. Les derniers classement de 1997 et 1998 font ressortir de nouveaux écarts, la France étant en seconde position derrière le Canada.
Les grandes évolutions:
Le rapport du PNUD souligne, par rapport à ses critères, "la marée montante du développement humain". De 1960 à 1994, les nations "faibles" qui composaient les trois quarts Monde ( "Tiers Monde, trois quart du monde") ne comptent plus que pour un peu plus du quart. Ce relevé optimiste doit être cependant tempéré par de nombreux manques.
22- Le développement idéaliste et les indicateurs synthétiques.
Tout le monde est concerné par le développement et le PNUD se fait le champion d'une solidarité au profit du développement. Réaffirmant les vieux projets, sur la taxation des transactions internationales en devises (Tobin, 1981) ou d'un Fonds Mondial de Démilitarisation (Oscar Arias,1987), il donne une géométrie variable au développement humain. Selon les rapports, il insistera sur l' élargissement des libertés, la diminution du sexisme, le développement décentralisé. Pratiquement, cette dimension humaniste amène le PNUD soit à tenter de nouveaux indices, soit à compléter la panoplie des indicateurs sociaux et environnementaux.
-221- L' indicateur synthétique des libertés politiques (ILP)
Au départ, le PNUD reprend le classement établi par Charles Humana au milieu des années 1980 pour le " World Human Rights Guide" à partir de 40 indicateurs mesurant la liberté, notés de façon binaire par 0 ou 1. Sur un maximum de 40 points, la Suède est en tête des pays développés "occidentaux" qui consituent ( à quelques exceptions près) le groupe de "liberté humaine élevée" située de 31 à 38. En bas du tableau se retrouvent les pays de l'Est, l'Afrique du Sud avec un "zéro pointé" pour l'Irak..
En 1992, le PNUD calcule son propre indicateur à partir de cinq critères composites: intégrité physique, primauté du droit, liberté d'expression, participation politique, égalité des chances en effectuant un classement prudent par zones de développement. Soumis à des protestations et doutant de la fiabilité de ses sources, le rapport sur le développement humain abandonne ce critère en 1993. Il faut donc se contenter du Rapport Annuel d'Amnesty International. Dommage, car le classement soulignait en quoi les droits politiques conditionnent le développement aussi bien en terme de revenu par habitant que selon le critère composite de l'IDH. L'ILP des pays à revenu et IDH élevés est de 84,1 et celui des tranches faibles est environ deux fois plus faible.
- 222- L'indicateur sexospécifique du développement humain (ISDH) ; voir classement1998) et l' indicateur de la participation des femmes ( IPF).
A partir du rapport 1995, le PNUD se consacre à la mesure de l'inégalité sociologique entre les sexes, en utilisant d'autres indicateurs composites.
- L' ISDH est normatif. Il revient à corriger pour 130 pays, l'IDH par des "pénalités" en fontion des écarts entre hommes et femmes constatés sur les principales composantes de l'IDH. Le principal problème réside dans l'estimation de la production et du revenu des femmes dans le cadre d' activités informelles et de tâches domestiques. Les principaux redressements IDSH/ IDH favorisent les pays nordiques ( Suède, Finlande, Norvège, Danemark) et certains pays en voie de développement ( La Barbade, Hong Kong, Les Bahamas, Singapour, l'Uruguay et la Thaïlande). Par contre, les pays arabes, producteurs de pétrole sont ,cette fois, doublement pénalisés, à la fois en termes de développement humain et d'inégalité entre hommes et femmes Néanmoins, l'Argentine, l'Espagne, le Costa Rica connaissent des problèmes similaires de "machisme".
- L'IPF est "positif". Il se contente de constater la participation des femmes à la vie économique, politique et professionelle. Il tient compte de la représentation parlementaire, de l'accès aux professions supérieures d'encadrement et de décision, de leurs parts dans le revenu du travail; bref de la part des femmes dans le pouvoir sur les ressources économiques, les débouchés professionnels et les possiblités de carrière.
- 224- Un indice synthétique de bien être économique soutenable ?
La notion de "développement soutenable" a été introduite en 1987 par la commission mondiale sur l'environnement et le développement dans son rapport sur " Our common future". Après que la Banque Mondiale lui ait consacré son rapport sur le développement de 1992, l'écologie sera sans doute l'un des principales entrées de l'IDH. Le rapport sur le développement humain tente de donner quelques indices sur l'environnement et la pollution mais ceux ci restent épars dans les premières versions. Les problèmes du " développement soutenable" sont analysés dans le rapport annuel du World Resources Institute des Nations Unies sans pour autant fournir un indice synthétique. A ce titre, l'indice du développement économique soutenable ( Index of Sustainable Economic Welfare, ISEW) de Herman Daly et John Cobb tente de mesurer le bien être économique à long terme en corrigeant l'indicateur de la consommation des ménages par des facteurs environnementaux et sociaux. Cet indice renforce le constat pessimiste sur la divergence entre la croissance économique et le bien être. Il permet de pénaliser les pays les plus destructeurs du cadre de vie. Par exemple, le Royaume Uni n' a pas augmenté son ISEW depuis 1950 malgré une augmentation du PNB de 200 %.
Plus généralement, la finalité consiste à pénaliser les IDH en fonction de l'indice d'effet de serre par tête ( Greenhouse index) et plus généralement des dégradations apportées au sol, aux forêts, à l'eau, à la vie, à la biodiversité etc..De très loin sur la base de ces indices, les pays producteurs de matières premières, les NPI et les vieilles puissances industrielles subiraient un reclassement important au profit de pays moins développés. En ne prenant que l'indicateur des émission de soufre et de nitrates par tête ( données 1989) , il faudrait particulièrement pénaliser le Canada ( 200 Kgs), les USA (160, les pays de l'Est ( 165).
Les problèmes de développement soutenable s'inscrivent dans le cadre plus large de la détresse humaine qui accompagne les niveaux de développement les plus élevés. Les indicateurs du PNUD sont assez volatiles, mais tendent à montrer que l'amélioration matérielle du niveau de vie s'accompagne d'une détresse morale croissante, manifestée par la drogue, les suicides, les crimes. Autant que la détérioration de l'environnement, le "mal être " des pays développés amènerait à alourdir les pénalité sur l'IDH des pays "développés".
Si le mal être est le luxe des pays nantis, le développement soutenable tient pour les pays les plus pauvres dans la capacité à maintenir les capacités humaines élémentaires à se nourrir, procréer, et avoir une instruction minimale. D'où le nouvel indicateur apparu dans le rapport de 1996 : il s'appuie, indépendamment du revenu sur le taux d'enfants de moins de cinq ans présentant une insufficance pondérale, le taux de naissances non suivies par du personnel qualifié de santé, le taux d'analphabétisme chez les femmes âgées de 15 ans et plus. Cet " indicateur de pénurie de capacité" ne concerne que les 101 pays en voie de développement. Ainsi si le Népal est le plus pauvre des pauvres on s'étonnera de trouver dans le tiers inférieur , la Côte d'Ivoire et le Maroc. Cet indice oppose ainsi les " capacités" ( conformément aux théorie d' Amartya Sen) aux performances économiques, en particulier au revenu.
D'autres indicateurs synthétiques pourraient être produits et élargir l'IDH en suivant les nouveaux produits du développement: bonne gestion publique ( governance), capacité à la gestion et à l'internalisation du développement (capacity building), développement communautaire décentralisé... le risque est grand de voir les indicateurs du développement décréter les problématiques des réunions d'experts à Washington ou New York..
III - Indicateurs du développement , décrétés ou révélés ?
Les indicateurs les plus utilisés traduisent la politique des experts dans les faits: en particulier le taux de change réel et la ligne de pauvreté. Mais ils procèdent d'une conception du développement décrété et confondent les fins et les moyens du développement. Depuis 1990 se pose le problème de l'auto- développement, à savoir des stratégies développées par les agents économiques eux mêmes pour réagir à leur situation.
31-Les difficultés des indicateurs normatifs: baromètre du développement et ligne de pauvreté
.Le "baromètre du développement" et la "ligne de pauvreté" émanent d' une conception dualiste du développement fondée sur les oppositions entre échangeables/ non échangeables et riches / pauvres. En pratique, ils sont considérés comme des indices prioritaires du développement (ou du sous- développement) ,or ils ne sont que des moyens ( controversés) du développement.
- 311- "Le baromètre du développement" ( Baghwati) représente l'indicateur central du développement économique, au point où il est d'usage d'évoquer des économies " à taux de change réel (RER) surévalué", au lieu de "sous développées". Le développement évolue d'une économie de production principalement consacrée aux non- échangeables (au nom par exemple de l'import substitution) à une économie consacrée à la compétitivité internationale. Le principal problème ( de nomenclature) revient à répartir les branches de production entre - le secteur des échangeables (importables ou exportables), dont le prix est déterminé par le marché mondial; les importations et les biens intérieurs étant supposés parfaitement substituables. - le secteur des non échangeables dont le prix est déterminé par l'offre et la demande sur le marché intérieur.
La "protection" effective par l'Etat du secteur des échangeables lui permet de capter le surplus et de le réaffecter à une consommation de non échangeables, surévaluant ainsi le taux de change réel (RER) échangeables/ non échangeables. Dans un tel mécanisme, l'économie nationale ne peut jamais profiter durablement des occasions de gain. Cette fatalité dite du "syndrome hollandais" (Corden, Neary) cible l'Etat comme responsable d'un "développement du sous- développement" dans le cadre d'une petite économie ouverte.
- 312- Le problème de la "ligne de pauvreté" ? Une ligne de pauvreté permet de distinguer les "pauvres" des "non pauvres" à partir d'un critère normatif de revenu réel ( par exemple, 31 $ mensuels en PPA). Elle permet d'estimer la distribution des pauvres en decà de cette ligne, entre "plus pauvres des pauvres" et "plus riches des pauvres", en tenant compte éventuellement des sentiments altruistes (sympathie ou aversion) engendrés par cette distribution. La ligne de pauvreté est au centre du développement humain; elle conditionne la redistribution des chances qui fonde le développement. Mais, la pauvreté révèle une situation instable de privation absolue ou relative. Elle est une contrainte sur la dotation en biens et services d'un agent économique et donc sur son comportement. Or, par définition, un agent économique n'est pas passif, il réagit à cette contrainte en utilisant son environnement humain, par exemple une communauté, des générations, des groupes sociaux ou des classes. Les termes de cette relation entre l'agent économique et son environnement sont incertains. Ils dépendent de la nature de la contrainte, de la personnalité de l'agent, de la façon dont il est perçu par son environnement, etc .Pour simplifier, si l'individu possède un revenu individuel que la statistique peut, malgré de grandes difficultés, approcher, il détient potentiellement un "revenu social" (G. Becker, 1974) qui correspond à ce qu'il peut obtenir dans le temps de son environnement. Il peut notamment jouer sur ses relations pour bénéficier de transferts et utiliser son temps disponible pour imbriquer plusieurs activités. En général les lignes de pauvreté sont floues et leur analyse entraîne des coûts statistiques considérables pour une efficacité très faible. Un indicateur des politiques de développement conçues comme politiques "anti- pauvreté" donnerait des résultats médiocres: un dollar marginal d'aide aboutit à aider "le plus riche des pauvres" au détrimens du "plus pauvre des riches ". Les difficultés d' établissement de la ligne de pauvreté ne sont pas propres aux économies sous développées et à une prétendue solidarité des pauvres. ...Dans les pays développés les transferts "inter vivos" peuvent représenter, comme aux USA 20% du PNB au sein de rapports interindividuels complexes. D'où la recherche d'un nouvel indice l'Indicateur de la pauvreté humaine ( IPH). Cet indicateur tient compte des "manques" par rapport à la longévité ( seuil de 40ans) , le savoir ( % d'analphabètes) et les conditions de vie. Cette dernière sous-donnée composite est la moyenne de trois variables: % d'individus privés d'eau, de ceux privés de services de santé, % d'enfants de moins de 5ans souffrant de malnutrition. Cet IPH est , depuis 1998,calculé pour les pays industrialisés en intégrant notamment l'exclusion et en ajsutant les autres indicateurs ( par exemple en plaçant le seuil de longévité à 60 ans).
32 - Le problème des besoins essentiels: des biens aux capacités.
Le développement a été longtemps conçu comme une meilleure satisfaction des besoins essentiels: calories, nutriments, santé, éducation, logement etc..... et donc comme un système de redistribution matérielle. Mais qui définit ce choix ? Quelle dotation matérielle ?
L'après guerre a fourni de nombreux indicateurs matériels en termes de protéines, de "seuils critiques" pour l'éducation, la santé, le logement. Souvent, en fonction des modes et des doctrines, les normes nutritrionnelles, par exemple la part de protéines d'origine animale dans l'alimentation, ont été revues à de multiples reprises.
Il est question dans la conception matérielle plus de "moyens " que de "fins". Les conseillers du PNUD, Paul Streeten (1995) ou Amartya Sen (1985) élargissent le développement aux "possibilité de vivre pleinement", aux " capacités", à "l'élargissement des choix qui s'offrent à chacun". Il ne suffit pas d'être développé ou d'avoir un indicateur favorable sur les besoins essentiels, encore faut-il que les individus aient la capacité à en profiter, un droit "au" développement.
Cette réflexion sur les finalités, déplace le problème du développement humain, des pays pauvres aux pays plus riches, en pénalisant les indicateurs au fur et à mesure du développement. Ainsi, en tant qu'indicateur de santé, l'espérance de vie suffit pour les pays à faible IDH, mais il faudra le compléter successivement par la mortalité des enfants de moins de 5 ans pour les pays à IDH moyen et la mortalité maternelle pour ceux à IDH élevé. Dans le domaine de l'éducation, l'alphabétisation des adultes suffit pous les pays à IDH faible, mais on lui ajoutera la scolarisation dans l'enseignement secondaire pour les pays à IDH moyen et en allant jusqu'à l'enseignement supérieur pour la tranche supérieure. Enfin, au titre du revenu, le logarithme du PIB par habitant jusqu'au seuil de pauvreté nationale suffira pour la tranche inférieure, on le complétera par l' incidence de la pauvreté pour la tranche intermédiaire et le revenu national moyen, corrigé par le coefficient de Gini pour les pays de la tranche supérieure.
De cette façon, les indicateurs devraient mieux approcher le bien être ( ou le mal être), mais ils ne règlent pas ( le peuvent-t-ils ?) l'aspect culturel du développement. Certes, il faut dépasser la vision standard des indicateurs de développement en les adaptant au contexte culturel. La justice qui fonde le développement deviendrait plus spirituelle que matérielle. L'amélioration des indicateurs au sein d'un "tableau de bord" du développement ne se ferait plus sans considération des préférences des agents économiques. Le développement humain passerait après le respect des agents économiques. A quoi sert de développer si l'on augmente non la satisfaction mais la jalousie, l'envie et la frustration ? Les développeurs "ont alimenté sans relâche l'envie des pays en voie de développement" selon Helmut Schoek (1995), favorisant ainsi l'offre sans tenir compte de la demande. Mais que peut être un développement "demand side" au sein de ce qui deviendrait un "marché du développement" et non plus un service public humanitaire s'attribuant un droit "sur" le développement. Au plus les indicateurs auront à prendre en compte la révélation de la demande ( malgré toutes les asymétries entre offreur et demandeur) , au plus ils deviendront des indicateurs d'efficacité du marché .
Bibliographie
Banque Mondiale, Rapport sur le développement dans le Monde, Washington.
Humana, Charles (1986): The World Guide to Human Rights, New York: Facts on File.
Littles,I.M.D. et Mirrless (1991): " Project appraisal and planning twenty years on", Proceedings of the World Bank Annual Conference on Development Economics, World Bank Economic Review.
PNUD, Rapport sur le Développement Humain, New York, Oxford, Oxford University Press
Helmut Schoeck, H (1995): L' envie, une histoire du mal, Paris, Les Belles Lettres.
Amartya Sen (1985): Commodities and capabilities. Amsterdam: North Holland.
Paul Streeten ( 1995): "Le développement humain: le débat autour de l'indicateur", Revue Internationale des Sciences Sociales, Paris, UNESCO, Mars 1995, pp. 35 - 49.
World Resources, a guide to global environment, New York, Oxford: Oxford Univesity Press.
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