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Nouvelles technologies de l'information et démocratie :
les expériences menées à Parthenay

Par Michel HERVÉ , Maire de Parthenay


Trois sujets intéressent en priorité les expériences menées à Parthenay dans la pratique des nouvelles technologies de l'information et de la communication :

1. Les technologies elles-mêmes et leur évolution incessante : pour faire bref, tout ce qui se situe dans le champ des autoroutes de la communication, du multimédia, du cyberspace.

2. L'usage de ces technologies. Au niveau national, et même international, cet usage se pratique en priorité dans le cadre du "travail" et de la vie professionnelle et très peu dans celui de la "vie sociale en général" : l'usage domestique concerne une petite frange de la population (environ 1% des utilisateurs d'Internet), non représentative des groupes sociaux de nos sociétés européennes et encore moins mondiales. Aux États-Unis, le phénomène va dans le même sens, même s'il est atténué.

3. Les transformations sociales liées à l'usage de ces technologies. C'est la raison majeure qui nous a conduit à promouvoir l'opération de ville numérisée à Parthenay : examiner comment, à partir d'une expérience de petite ville, les NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication) seraient capables de transformer les conditions de la vie urbaine à l'intérieur de la société si 80% au moins de la population les utilisait. Quelles seraient les conséquences sur la démocratie et sur la culture ? Quelles seraient les transformations de l'économie locale et de la "vie" elle-même ?

Les conditions de départ

Parthenay est une ville au cœur d'un petit pays rural, dont la tradition reconnue consiste à "faire de la viande", en particulier une viande de bœuf connue des gastronomes, la race parthenaise ; bien entendu, d'autres produits agricoles sont privilégiés. Parthenay a vu sa population croître à partir des années 1950, quand l'agriculture a perdu ses emplois par forte croissance de productivité. Un transfert de ces emplois s'est effectué alors vers le secteur industriel ; en particulier lorsque le secteur de l'industrie agro-alimentaire (lié à la viande) et celui de la mécanique se sont largement implantés dans la région. Mais à partir des années 1980 - au moment où je prenais la responsabilité de la mairie de Parthenay - une large transformation de cet emploi industriel s'est produite : la productivité industrielle s'est à son tour traduite par d'énormes pertes d'emplois dans ce secteur. Le "deversement", selon la thèse d'Alfred Sauvy, sur d'autres formes d'emplois tertiaires, ne s'est pas effectué avec facilité.

Aujourd'hui Parthenay est au cœur d'une population de l'ordre de 50 000 habitants ("le pays de Gâtine") comprenant environ 18 000 habitants des "villes", c'est-à-dire Parthenay (10 000 habitants) et les trois villes du district qui l'entourent. Comme beaucoup de lieux en France, la région vit donc une désertification prenant la forme d'une métropolisation qui "profite" aux grands centres urbains.

Mais "l'expérience d'informatisation" de Parthenay dont il sera question ici n'est pas venue se "parachuter" dans ce lieu parce qu'il y existait des fanatiques des nouvelles technologies, fascinés par Internet. Ce ne fut du moins pas mon cas personnel. En fait, je travaillais depuis le début de mes responsabilités sociales sur le problème du "développement local" : comment, à l'intérieur d'une zone, développer de la créativité, de nouveaux besoins liés à la personnalisation ? J'entends par là des signes de reconnaissance, et même, pour ce qui est de la créativité, des signes de "naissance", dont toute population a besoin pour donner un sens à sa vie. C'est dans cette optique de "création" que nous avons travaillé depuis une vingtaine d'années. Nous avons constaté que deux choses étaient essentielles à l'émergence de la création : d'une part, l'existence de citoyens en situation active, c'est-à-dire qui ont envie de participer et d'entreprendre ; d'autre part, la présence d'individus curieux, qui ont envie de communiquer avec d'autres qui eux n'ont pas les mêmes bases, les mêmes expertises, les mêmes besoins, les mêmes stratégies qu'eux. C'est cette rencontre de stratégies différentes, de compétences différentes, qui peut faire émerger une combinatoire des idées et permettre ensuite l'émergence de processus de création.

Derrière la question du développement local, nous avons été amenés à développer le plus grand nombre possible d'informations nécessaires à la prise d'actions et de communication nécessaire à la combinatoire de la création. Des structures sociales ont été mises en place permettant d'accélérer la prise d'informations ou la communication pour des hommes, des femmes, que nous pouvons qualifier d'"agents de développement". Leur fonction essentielle consiste à permettre des rencontres dans des lieux multiples, de gens différents ; d'être à l'écoute de leurs besoins et de leur apporter l'information dont ils ont besoin. Après une quinzaine d'années de telles pratiques, nous nous sommes rendus compte qu'il fallait aller plus loin. Or il était patent que les nouvelles technologies de communication qui explosaient, favoriseraient très probablement l'échange d'informations et la communication entre les personnes.

Développement local et nouvelles technologies de communication

Dans les années 1960, lorsqu'on parlait de développement local, en particulier dans les zones rurales où la désertification était forte, nous nous basions sur des concepts qui souvent, dans les pays ruraux, étaient des concepts de résistance à un mouvement de métropolisation. Cela conduisait à mettre en avant le facteur endogène : tout développement devait s'auto-centrer sur le pays lui-même. Mais à Parthenay, nous avons toujours plaidé pour qu'il y ait aussi une part d'exogène : "un système ne peut se développer sans faire appel en même temps à une certaine ouverture". Avec les nouvelles technologies de communication, nous avons voulu favoriser à la fois une communication forte et de manière endogène à l'intérieur du milieu, sur une géographie et une histoire particulières, le pays de Gâtine, mais aussi cette communication externe qui ne pouvait être fermée et autonome. Il fallait une ouverture forte par raport à l'extérieur. D'où l'utilisation des "systèmes en réseau" du type Internet, plutôt que les formules fermées avec des systèmes propriétaires du type IBM ou Bull.

Bien plus, l'expérimentation des nouvelles technologies de communication s'est donnée une perspective plus large : "il faut que l'Europe s'intéresse non pas à une vision élitiste de l'utilisation de ces nouvelles technologies, en particulier dans le cadre du "travail" proprement dit, mais aussi une vision élargie au cadre sociétal, parce que l'Europe a une particularité qui n'existe ni au Japon, ni aux États-Unis : l'Europe a la chance de disposer de forts pôles urbains actifs au sens où, à l'intérieur d'une ville, il y a une certaine forme d'altérité qui se constitue, alors que trop souvent aux États-Unis par exemple, on se trouve devant une sorte de ghétoisation des villes". Une telle ouverture de la ville se retrouve notamment dans la partie francophone du Canada.

Aussi nous avons estimé que l'on pourrait proposer une expérimentation qui mériterait d'être soutenue par la Communauté européenne, avec les groupes industriels qui s'intéressent à ces technologies. Nous avons donc fait appel au départ à des entreprises comme Thomson, Philips, Siemens Nixdorf, France Télécom, et nous avons poussé par ailleurs à la création d'un groupe de chercheurs en sciences sociales dont Alain d'Iribarne a été la cheville ouvrière. Il nous apparaissait en effet indispensable que l'on ne vienne pas plaquer ces technologies dans des lieux non préparés : ces technologies devaient construire une étape décisive vers un "plus" de communication et d'information. Nous avons souscrit dans ce sens au projet METASA de la Communauté européenne, en posant l'interrogation suivante : essaiera-t-on, comme cela se fait actuellement dans le monde, de profiter des technologies existantes en s'efforçant d'accrocher les citoyens à s'intéresser à celles-ci et à les intégrer dans leurs propres problématiques d'usage ? Ou est-ce que l'on "partira" des citoyens eux-mêmes et de leurs besoins, pour produire des technologies qui leur seraient alors adaptées ? Bref, un mouvement de social pull plus que de technology push. Telle fut la première étape du projet METASA, qui devaient interroger les gens sur les nouvelles technologies de communication.

Nous nous sommes vite rendus compte que les individus n'expriment naturellement leurs besoins qu'en fonction de la connaissance, de l'idée, du rêve ou de la symbolique de ces technologies. Ils n'ont pas la capacité de construire à partir de leurs besoins, en fonction des possibilités qu'ils estiment pouvoir leur être fournies par ces technologies, et dès lors, ils s'auto-censurent en quelque sorte, par rapport à l'expression de leurs besoins. Nous avons donc été poussés à poursuivre parallèlement l'expérimentation d'un certain nombre de technologies, dont les utilisateurs pourraient apercevoir les apports favorables ou défavorables : à partir de là, s'ouvrirait un spectre des possibilités dont ils ont besoin, ou dont ils peuvent exprimer le besoin.

Cet objectif fut fixé à la deuxième partie de l'expérimentation qui fut mise en place en accord avec la Commission européenne.

D'une phase à une autre

Lors de la première phase de travail, nous avions mis en place des applications envisagées par Philips (qui proposait un télé-CDI), par Siemens (qui proposait des bornes interactives) par SYSECA (qui proposait un système de langage commun capable de s'ouvrir à plusieurs types de langage existants dans le monde de l'informatique).

Précisons que le travail fait en amont sur le développement local avec des expériences créatives dans de nombreux domaines, une appropriation large de la part de la population, et des connaissances acquises lors des deux premiers colloques de Parthenay consacrés à la démocratie participative, n'avait jamais conduit les journalistes à s'intéresser aux expériences citoyennes menées depuis quinze années à Parthenay. Mais lorsque nous nous sommes situés dans le champ des "nouvelles technologies de la communication", les journalistes se déplaçèrent pour s'intéresser aux expérimentations. Nous fîmes alors la constatation que c'étaient moins les "nouvelles technologies" qui allaient les intéresser, mais le travail que nous avions effectué auparavant, c'est-à-dire les différentes expériences dans le domaine social, économique ou culturel. L'appât de départ était bien "les nouvelles technologies", mais ce qui finalement passionnait, c'étaient les usages et la manière dont les citoyens appréhendaient la société.

Ces rapports facilités avec le monde extérieur amenèrent des milieux nouveaux (qui n'étaient pas liés au "consortium des technologies") à témoigner leur intérêt : ainsi des personnalités comme Francis Senceber et le club de l'Arche avec Jean-Michel Billaut. Ils proposèrent des initiatives intéressantes dans l'opération en cours. Ainsi Francis Senceber proposa : "j'ai un BBS c'est-à-dire un petit réseau local capable de mettre les gens en situation de communication interactive, de "babiller". Nous l'avons implanté en janvier 1996. Francis Senceber s'est alors aperçu que les BBS n'avaient pas les mêmes courbes d'apprentissage et d'appropriation par les citoyens de Parthenay que par ceux d'autres lieux : il existait une sorte de croissance exponentielle à Parthenay beaucoup plus élevée. Or, cela s'expliquait parce que le terrain était préparé, que les citoyens à Parthenay avaient déjà acquis une capacité de communication transversale : d'où la possibilité de se servir de l'outil comme celle d'un moyen d'échange dans le cadre d'un espace-temps capable d'accroître le volume d'échange entre nos citoyens.

A partir de ces expériences et de la croissance du BBS, du fait aussi que le télé-CDI montrait ses limites et n'apportait pas grande innovation, que la borne interactive montrait vite de fortes limites, que SYSECA ne produisait pas une solution forte, nous avons compris que ce que bâtissaient les citoyens entre eux étaient bien au-delà et bien en avance par rapport à ce qu'une grande société française pouvait nous apporter sur le sujet. Nous avons alors construit non plus simplement un espace fermé, comme l'était le BBS, mais un espace ouvert comme pouvait l'être l'In-Town-Net, qui est en fait un intranet, mais relié à l'Internet.

Une architecture de réseau

Ce que l'on a ainsi construit, c'est une structure de réseau de réseaux.

A partir de cette situation, l'expérience s'est largement développée, venant de la publicité engendrée autour du projet. Mais la conséquence fut la réaction suivante de la population : "ce projet de veille numérisée est bien beau, mais il y a déjà tellement d'exclusion dans notre société, qu'avec ces nouvelles technologies, vous allez aggraver le fossé qui sépare ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Et donc, les plus défavorisés de la société vont se retrouver dans une situation d'exclusion aggravée. A partir de là, vous devriez freiner ces technologies plutôt que de les valoriser".

Une troisième étape

Selon mes convictions, la réponse à une telle affirmation relève directement de la mission des pouvoirs publics. En effet, autant l'"économie de marché" peut être porteuse d'une liberté entre le producteur et le consommateur, c'est-à-dire qu'elle permet au consommateur d'exprimer librement son choix sur tel ou tel produit, autant l'"économie plurielle" a pour volonté de développer l'égalité des chances. En conséquence, nous avons répondu : "nous, Ville de Parthenay, nous devons développer des espaces numérisés ; dans ceux-ci, les technologies seront à disposition des citoyens qui le veulent pour les expérimenter.

Dans le cadre du projet MIND, nous avons alors tenté de répondre à la question : pourquoi ne pas créer des espaces dans lesquels il y aurait des ordinateurs, des télé-CDI, des bornes interactives, et où chaque citoyen, pauvre ou pas pauvre, pourrait venir à la fois utiliser l'Internet, apporter des informations sur l'In-Town-Net, et avoir sa boîte aux lettres électronique ?

Symboliquement, le premier espace numérisé que nous avons ouvert dans cet esprit, nous avons voulu qu'il soit contigu au secteur social. C'est-à-dire là où existaient déjà des réseaux d'échange de savoirs, où l'on pouvait apprendre à lire, compter et écrire, où l'on avait un réseau pour l'emploi avec des entreprises de réinsertion. Proche de ce secteur social, on a donc installé un tel espace numérisé, et très vite nous nous sommes aperçus que les lignes d'exclusion n'étaient absolument plus les mêmes que celles qui existaient dans la société. C'est-à-dire qu'un certain nombre de jeunes, très défavorisés, y compris scolairement, étaient excessivement motivés par les technologies, peut-être justement parce qu'ils ne réussissaient pas à l'école. Ils venaient tous les jours s'approprier ces nouvelles technologies. L'espace a été ouvert au mois de juillet 1996 : depuis cette date, nous avons compté plus de 12 000 visiteurs dans cet espace.

Devant ce succès, il a fallu implanter d'autres espaces. Un de ces espaces, l'espace économique, s'appelle le Centre multimédia. Il est destiné à des gens qui sont plutôt intéressés à la création des entreprises, ou à l'appropriation des technologies dans le cadre de leur travail, ou encore à ceux qui veulent s'intéresser à ces nouvelles technologies pour l'emploi. Nous l'avons situé de manière proche de ce que nous avons installé en faveur du secteur de la création d'entreprises.

Un troisième espace, ouvert en janvier 1997, est attenant à la mairie, avec des objectifs plus localisés.

Le quatrième espace, actuellement en travaux, sera un espace réservé aux "touristes", car nous avons été submergés par les "visiteurs" de ces expériences. Les premiers à se présenter furent les Japonais, en particulier tous les grands de la technique (Toshiba, Sony, Casio, etc.). Puis les Américains ont suivi et les Européens commencent eux aussi à venir. Cet espace devrait faciliter les choses.

Des groupes nous demandent la création de nouveaux espaces. Ainsi des parents qui suivent des enfants dans le cadre scolaire nous disent : dans un groupe d'HLM à la périphérie de la ville, il serait intéressant de mettre un espace pour favoriser ces technologies. Ceux qui le demandent le plus, ce sont ceux qui sont à la base de la société.

Existe-t-il donc désormais de nouveaux exclus ? Oui, les nouveaux exclus dans cette ville numérisée, ce sont les élites. C'est-à-dire ceux qui s'estiment déjà en situation de connaissance. S'ils s'intéressaient à ces nouvelles technologies de la communication, ils seraient obligés de se dire à eux-mêmes : au fond, je ne sais pas tout et je dois apprendre. Mais dans ce domaine, je suis aussi novice et aussi peu intelligent que mon voisin d'à côté qui n'a même pas son certificat d'études ; ainsi quelque part, je peux renaître. Mais bien entendu, c'est très difficile de faire ce travail sur soi, qui consiste à se reconstruire, d'une manière différente de celle dont on se situait précédemment. Un certain nombre d'élites sont donc en partie mises de côté. Bien sûr, il ne faut pas trop caricaturer mes propos : il y a heureusement des gens qui ont un bon niveau de connaissances et qui s'intéressent à ces technologies !

De nouveaux rapports entre responsables publics et citoyens

Nous avons été conduits aussi à nous interroger sur les nouveaux acteurs de la société liés à leur appropriation des nouvelles technologies de la communication : ne faut-il pas un regard plus particulier à leur égard, Comment vont-ils se construire dans cette nouvelle société numérisée qui risque d'émerger ?

Nous avons d'abord transformé le premier espace numérisé qui était lié au social, en une "Maison de la citoyenneté active". Et nous y avons affecté (parce que c'est une méthodologie que nous avons appris à manier) des "agents de développement" qui sont là à la fois pour observer, apporter de l'information et créer les conditions de la rencontre. Car nous estimons que les devoirs des pouvoirs publics sont de s'investir plutôt dans un travail sur l'environnement des citoyens que sur les citoyens eux-mêmes. Nous ne sommes pas là pour leur dire le sens qu'ils doivent donner à leur vie. Nous sommes là pour leur donner toute la palette des possibilités qu'ils pourraient effectivement développer dans leur propre passion. Dans cette perspective, nous avons créé une "Maison de la citoyenneté active". Elle abrite quatre agents de développements.

Un premier agent de développement s'intéresse à la population enfant. Les enfants sont intéressés très tôt par ces technologies, dans un premier temps à travers le jeu. Ce sont déjà des "jeux en réseaux" et bien plus, on n'y joue pas avec l'ordinateur, on joue entre soi à l'aide de l'ordinateur, ce qui n'est pas la même chose. Si les enfants se livrent par exemple des espèces de batailles navales par ordinateurs interposés, ils sont de fait les uns à côté des autres. Ainsi la population de la petite enfance s'affirme avec ses particularités. Les enseignants nous disent découvrir peu à peu qu'ils peuvent alors transformer le système éducatif. Sans aucun doute, une autre approche de l'éducation s'annonce.

Un second agent apporte sa contribution à la jeunesse, à tous ceux qui en fin d'études, sont au seuil de l'emploi, et veulent s'approprier ces technologies sans être encore entrés dans la vie active. En termes de "groupes sociaux", c'est la partie la plus importante de la société. La jeunesse conçoit les technologies de la communication comme celle du début du siècle concevait l'automobile : on devait s'intéresser à l'automobile parce qu'elle allait transformer les choses. La jeunesse actuelle s'intéresse à l'ordinateur avec les mêmes motivations. Elle est intéressée par la dimension la plus technique. Et l'"agent de développement" qui les suit a tendance à les faire basculer dans un autre univers qui est celui du développement des logiciels. Nous avons ainsi un atelier pour le développement de logiciels pour l'ensemble des entreprises de la collectivité locale, où des chômeurs, des salariés, des experts, des fonctionnaires, viennent se former au langage HTML et au langage C. Ne peut-on les comparer à ceux qui s'intéressaient au "moteur" de l'automobile ?

Un troisième agent de développement est proche des citoyens en situation d'activité, c'est-à-dire de ceux qui ne sont plus jeunes, mais qui se posent la question de savoir comment ils pourraient se reconvertir s'ils perdaient leur travail. C'est une population un peu plus anxieuse que la jeunesse (qui elle, n'a rien à perdre et tout à gagner avec les nouvelles technologies). Là, nous découvrons davantage d'appréhension. Mais en même temps, il est intéressant de voir qu'il existe une "citoyenneté" qui est plus intéressée non par la technologie elle-même, mais par son usage, et la façon dont on peut s'en servir pour la transformation de la société. Cette partie de la population m'intéresse personnellement beaucoup, parce que c'est celle qui peut nous aider à repenser au-delà de l'économie de marché ou de l'économie publique, une nouvelle forme d'économie : l'économie informelle. C'est-à-dire non pas celle qui se construit sur des bases d'échanges en termes financiers, mais celle qui n'est pas comptabilisée, qui se révèle un échange spontané, une sorte de don, de générosité. Une économie de fraternité.

Dans le cadre général d'une économie plurielle, si j'avais à définir l'économie du secteur public, je dirais que c'est une économie d'égalité ; l'économie du secteur du marché, une économie de liberté ; et l'économie informelle, une économie de fraternité. C'est-à-dire une économie qui se construit à travers les réseaux. Ce ne sont pas seulement des réseaux d'"échange de savoirs", mais aussi des "réseaux d'échange de biens". Il y a là une forme de citoyenneté extrêmement intéressante à suivre.

Enfin, une quatrième population s'est regroupée, celle des personnes âgées, c'est-à-dire ceux qui sont en situation d'inactivité. On y retrouve l'attrait ludique pour les nouvelles technologies de la communication, un peu comme dans les âges de la jeunesse. Le besoin est indéniable à cette couche de population de ne pas passer dans l'"au-delà" sans avoir préalablement senti ce que pourra représenter le XXIème siècle. Ce besoin de XXIème siècle, ; cette perspective pour une population vieillissante, l'amène, plutôt par curiosité, à venir au contact de ces technologies.

Un des objectifs que nous poursuivons consiste à favoriser toujours l'intergénérationnel, la communication interactive aussi bien entre groupes sociaux différents, qu'entre générations différentes.

Telle est cette "Maison de la citoyenneté", et ses quatre types généraux de populations. Naturellement, dans chacune d'elles, l'aspect culturel, économique et éducatif est pris en compte.

Nous ne pouvons passer sous silence les comportements de l'administration. Il est intéressant de voir comment les administrations centrales se situent par rapport à ces technologies de la communication. Les premiers à nous avoir rencontré furent les représentants de l'administration des impôts ! Ils nous ont dit : "nous voudrions bien expliquer aux administrés comment on paye les impôts, de quelle façon on les calcule". C'est ainsi que l'on a commencé à mettre des pages HTML sur l'In-Town-Net, entraînant d'autres services publics à vouloir expliquer qui ils sont et quels sont leurs besoins d'informations publiques. Les services publics réalisent qu'il y a une sous-information du public, et que ces outils peuvent permettre de combler les lacunes.

Les expériences individuelles

Ainsi les "espaces numérisés" sont indispensables, mais il existe aussi des individus, des personnes qui s'approprient ces technologies chez eux. L'ordinateur est aujourd'hui "approprié" dans le cadre du travail, mais son usage domestique est quasi-nul, en raison du facteur prix. Certes, nombreux sont ceux qui veulent travailler ensemble dans les espaces, mais il existe aussi ceux qui aimeraient bien avoir l'ordinateur chez eux pour pouvoir manipuler seuls ; en quelque sorte, ils ont encore peur du groupe. Le problème majeur est souvent qu'ils ne peuvent pas se payer un ordinateur. Aujourd'hui, si l'on veut un bon ordinateur, capable d'intégrer un ensemble de programmes et pouvant entrer en liaison avec l'Internet et l'In-Town-Net, il faut compter plus de 10 000 francs. Nous avons demandé et obtenu de Siemens et de France Télécom qu'ils mettent pour cette expérience qui dépasse le millier, des ordinateurs de qualité sur la base de 4 000 francs/pièce. Grâce à un accord avec CETELEM, nous avons obtenu de bonnes conditions pour un crédit à la consommation. France Télécom a également accepté, vu le nombre, de faire un prix spécial sur les taux horaires de communication téléphonique. En conclusion, c'est une mensualité de 300 francs qui est demandée à chacun pour pouvoir faire plus d'une heure par jour de connexion sur Internet, avec un outil informatique de qualité (et avec de surplus la liaison gratuite sur l'Internet et l'In-Town-Net). Ainsi, à côté de ceux qui fréquentent les espaces publics, d'autres pourront utiliser leur ordinateur à titre individuel. Notre objectif d'ouvrir l'utilisation de ces nouvelles technologies de la communication dans les conditions les plus multiples était donc atteint.

Nous ajouterons trois autres précisions de détail :

Conclusion

Comme vous pouvez le constater, la ville en tant qu'acteur public local joue un rôle majeur dans la mise en œuvre du projet à Parthenay. Un fort engagement politique de la Municipalité paraît en effet déterminant pour la réussite des projets de type "villes numérisées". Il ne s'agit pas tant, pour l'acteur public, d'imposer par le haut, que de jouer un rôle important de "catalyseur" des initiatives, de mobilisateur des acteurs de terrain. Il s'agit aussi de faire en sorte d'abaisser les "seuils" qui limitent l'accès à ces nouveaux moyens des communications au plus grand nombre de citoyens.

Nous développons ainsi des partenariats tous azimuts, avec la démarche suivante : il s'agit de mobiliser à la fois les ressorts de la créativité privée, les puissances d'innovation du "tiers secteur" et le rôle catalyseur de l'acteur public - qui accompagne un mouvement plutôt que de l'écraser.

En somme, ré-inventer la Cité, là réside l'un des grands enjeux de la "ville numérisée". C'est une fantastique opportunité pour proposer des "services publics" renouvelés, susciter la créativité des acteurs et des partenariats de type nouveau, inventer de nouvelles gouvernances locales et ré-inventer ainsi l'espace démocratique de la cité. La conviction est donc renforcée que les nouvelles technologies informationnelles, prises dans leur rôle dans la communication, peuvent profondément modifier les structures organisationnelles, non seulement dans le monde du travail et de l'entreprise, mais au-delà, dans l'espace social et politique de la cité.


Transversales, Science et Culture, n°46, juillet-août 1997

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