Par Jean-Marie Barbier, directeur général de la Fédération nationale des syndicats de propriétaires forestiers sylviculteurs
Les faits marquants du processus de certification :
- Des acteurs concernés nombreux : propriétaires, industriels, écologistes, Etat… qui interviennent à des niveaux différents : local, régional national et international.
- Le déclenchement : : le refus des acteurs de la filière de se voir imposer unilatéralement des normes et des critères par les seules ONG internationales de l'environnement.
- L'échec de "l'auto proclamation"et le succès du processus de Versailles que l'on peut qualifier de concertation itérative.
- La création d'un outil nouveau pour inscrire cette concertation dans le temps et assurer la cohérence du dispositif entre les différents niveaux : le PEFC.
- Les résultats : une dynamique nouvelle et évolutive qui laisse penser que les attentes des forestiers d'une part et de la société d'autre part seront satisfaites.
Les forêts sont des milieux particuliers, caractérisés par la longueur des cycles de production : le forestier travaille pour son arrière-petit-enfant… Sans le moteur puissant de l'attachement à la terre et le sens patrimonial de leurs détenteurs, les forêts ne seraient que de vastes espaces improductifs, sans intérêt aucun pour les populations.
Or les forêts produisent du bois et d'autres produits forestiers, certes. Ce sont aussi des lieux de détente et de récréation. Elles contribuent aux paysages et accueillent flore et faune. Elles protègent les sols, la qualité de l'eau. A l'échelle mondiale, elles contribuent à la lutte contre la désertification. Elles ont une fonction capitale en matière d'effet de serre et de capture du carbone atmosphérique…
Bref, les forêts sont au cœur des débats de sociétés actuels et ce d'autant plus qu'elles disparaissent à l'échelle de la planète. Il ne faut dès lors pas s'étonner que les forêts soient au cœur des grandes discussions internationales sur des sujets aussi divers que la désertification, la protection de la nature ou l'effet de serre ; qu'elles soient l'objet de toutes les convoitises, chacun cherchant à se les approprier pour en exploiter l'aspect qui l'intéresse le plus ; ou qu'elles soient l'objet de toutes les contestations, chacun voyant midi à sa porte.Face à ces débats, la communauté internationale a réagi à partir de 1972, par des démarches au niveau onusien, puis paneuropéen. Peu à peu, l'idée de la codification de la gestion durable des forêts fait son chemin (avec la définition de critères, d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs…), sans que les résolutions prises n'aient de caractère contraignant.
L'idée de certification forestière est née lors de la conférence de Rio qui introduit un lien entre commerce et gestion durable, invitant plus ou moins directement les acteurs, et pas seulement les Etats, à se mobiliser afin d'introduire une discrimination et disqualifier ceux qui gèrent mal, au profit de ceux qui gèrent bien.
En France, la certification forestière a connu trois périodes bien différentes.
La période muette démarre en 1992. Les professionnels français ignorent les résolutions de Rio. Deux raisons à cela : ils n'y ont pas été invités et les résolutions traitant de la certification sont noyées dans un fatras incroyable.Par contre, au niveau international, les grandes ONG de l'environnement (WWF, Green Peace, Amis de la Terre entre autres) mettent en place dès 1993 le Forest Stewardship Council (FSC). Cette organisation mondiale se propose d'accorder des certificats de bonne gestion forestière sur la base de 10 principes définis par elle, d'accréditer les systèmes et les organismes de certification nationaux et de régler les conflits. Elle est propriétaire de la marque "FSC" et, en dépit d'efforts timides, reste dominée par les organisations fondatrices. Ce dispositif de certification tardant à se mettre en place, celles-ci décident de constituer des clubs d'acheteurs dans lesquels se retrouvent des sociétés utilisant ou commercialisant le bois qui s'engagent à échéance de 5 ans à ne plus utiliser que du bois d'origine certifiée. Le FSC, depuis 1993, a certifié 17 millions d'ha dont les trois quarts en Europe, ce qui montre bien qu'il a raté sa cible !
La période de l'authentification. A partir de 1996, les forestiers réagissent. En effet, le FSC, proposant une certification à l'unité de gestion, est totalement inadapté à la forêt européenne à 70 % privée, avec une moyenne de 3 ha par propriété. D'autre part, il capte des parts de marché avec ses clubs d'acheteurs. Enfin, la montée dans l'opinion publique de préoccupations environnementales touchant les forêts motive la réaction des forestiers.
En France, ils développent l'idée suivante : "apportons au niveau national, la démonstration demandée et restons en là". Ils considèrent que la gestion de la forêt française est durable. Depuis 1219 en effet, l'Etat réglemente les forêts. D'autre part, la gestion multifonctionnelle est à la base de leur action. Enfin, leurs résultats sont globalement bons.
La cible de leur communication est le citoyen. Pour eux, la question des forêts est une question politique à laquelle il convient d'apporter une réponse politique. Cette démarche, pourtant logique, échoue. En effet, les moyens de communication manquent. Ce schéma franco-français ne répond pas au débat international et risque de mettre en porte-à-faux nos exportations. Enfin, il n'y a pas de constat effectué par une tierce partie indépendante. On reste là dans le domaine de l'autoproclamation. Cette période de l'authentification marque cependant une véritable prise de conscience des forestiers sur les questions de société et prépare la suivante.
La période de certification démarre en juin 1998 avec le congrès de Versailles ; manifestation longuement préparée. Pendant plusieurs mois, fait exceptionnel, les différents interlocuteurs nationaux concernés (forestiers, industriels et écologistes) se retrouvent pour échanger leurs points de vue. Certes, ce dialogue ne débouche pas sur un document. Mais il a lieu et ne cause aucune catastrophe. Les gens se découvrent et parfois même s'apprécient !
Le congrès de Versailles est l'occasion pour les propriétaires forestiers privés de rencontrer leurs homologues d'autres pays d'Europe, en dehors du cadre un peu rigide des réunions européennes, et de débattre de la situation : montée des exigences de la société, dangers du côté du marché et du FSC, nécessité d'une démarche adaptée au contexte européen. En juillet 1998, les 6 fédérations de propriétaires forestiers allemands, autrichiens, finlandais, français, norvégiens et suédois se mettent d'accord pour lancer un nouveau système de certification : le PEFC, le système Pan Européen des Forêts Certifiées. Il s'appuie sur 3 principes fondateurs : la certification est accordée au niveau régional. Elle est basée sur la définition de la gestion durable issue du processus gouvernemental pan européen. Enfin, elle est effectuée par une tierce partie indépendante.
En outre, sont constitués un groupe de travail (avec les techniciens) et un comité de pilotage.
Le système PEFC Europe existe depuis le 30 juin 1999. Il rassemble 14 pays. D'autres suivront. Il tisse des liens dans le monde entier.En France, la constitution du système européen est suivie avec attention et intérêt par tous les interlocuteurs. En mai 1999, l'association française PEFC est créée. Elle comporte trois collèges : les producteurs, les transformateurs et les consommateurs. Chaque collège dispose du même nombre de voix. Le référentiel de certification est voté à la majorité des 2/3, chaque collège votant à la majorité. Il est dans un état avancé d'élaboration. Le consensus est toujours là et les discussions se déroulent dans une bonne ambiance.
La question des forêts intéresse un nombre croissant d'acteurs. Le forestier a dû descendre de son arbre et rencontrer des gens qui avaient d'autres préoccupations que lui. Les rôles de l'Etat, de l'ONF sont aussi appelés à évoluer. Ce jeu est multi-acteurs, que ce soit au niveau mondial ou au niveau national. D'autre part, la problématique forestière touche une grande diversité de fonctions. Il faut savoir les pondérer aux différents niveaux et assurer une cohérence de l'ensemble. La fonction du gestionnaire forestier dans ce contexte n'est pas évidente.
La certification est indéniablement un bon système et le système régional un excellent dispositif. Le niveau régional est le niveau adéquat d'appréciation de la gestion durable et de ses effets sur la production, sur les écosystèmes ou les sociétés humaines.
Mais la période actuelle est pour les propriétaires et pour les forêts la période de tous les dangers. Certains appétits politiques se réveillent. Certains élus locaux veulent disposer d'un pouvoir quasi décisionnel sur la forêt. Ce serait une erreur grave. La forêt a besoin d'une continuité qui ne peut se satisfaire d'élections tous les 5 ans.
Toute la difficulté est de développer la concertation sans aboutir à la cogestion, mettre en place des garde-fous sans démotiver les acteurs, favoriser le marché du bois sans ruiner les forêts ; peut-être aussi faire bénéficier la forêt d'un juste retour des fonctions qu'elle prodigue à la société. Tout cela doit être conduit sur une base consensuelle au niveau national, comprise et reconnue au niveau international… Vaste programme qui réserve sans doute encore bien des vicissitudes et des aléas… Mais tout cela en vaut sans doute la peine !
La gestion durable signifie la gérance et l'utilisation des forêts et des terrains boisés d'une manière et d'une intensité telles qu'elles maintiennent leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire actuellement et pour le futur, les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes, aux niveaux local, national et mondial et qu'elles ne causent pas de préjudices à d'autres écosystèmes"
Sol et Civilisation - mars 2000
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