Par Claude Rochet
Article paru dans Association Magazine 1995
1: LE CAP
La raison d'être d'une association est l'existence d'un projet caractérisé par la délivrance d'une valeur ajoutée aux membres, et à la collectivité s'il s'agit d'une association d'intérêt général. Mais il a également une autre fonction: définir le cadre culturel et les régles du jeu adoptées par les membres et les dirigeants et qui seront à la base de la vie et du management de l'association.
S'embarquer dans le navire associatif suppose d'en définir et le cap (ou va-t-on?) et la boussole (comment y va-t-on?)
Dans ce premier article nous nous pencherons sur le cap, ce que toute association doit faire lors de son assemblée générale annuelle.
I- QUI SONT NOS CLIENTS?
Toute structure ne peut exister que si elle a une raison d'être qui est de délivrer de la valeur à ses clients. L'emploi du mot "client" souligne la nécessité d'une transaction équilibrée entre l'association et son public. Celle-ci n'est généralement pas monétaire: on s'engage dans un mouvement parce qu'il a une efficacité réelle, qu' il produit un bien ou un service effectif correspondant au besoin des clients. Aussi la première tâche d'une association est-elle de bien connaître ses clients pour identifier leurs besoins et concevoir une offre de services appropriée. La Fédération de parents d'élèves PEEP s'est ainsi engagée dans une démarche de meilleure connaissance des besoins des familles autour de la question "Y-a-t-il toujours une raison d'être aux associations de parents d'élèves?" face à la multiplication des champs d'action (ou d'inaction) offerts aux familles, associatifs ou non.
L'exercice n'est déjà pas facile pour une entreprise commerciale qui bénéficie pourtant de cet indicateur qu'est la sanction du marché. Il est plus dur pour une association rend des services dont l'évaluation est difficile car immatériels et dont la réalisation n'est pas sanctionnée par l'échange d'une somme d'argent. Aussi va-t-il falloir concevoir l'offre associative dans toute sa complexité: Quelles sont les attentes latentes et non exprimées de nos clients? que souhaitent-ils trouver dans l'association, des services concrets (la vente d'assurances par les associations de parents d'élèves) aux plus immatériels (un lieu de rencontre, de débats et d'action autour de la poursuite d'un objectif clairement formulé.
II- DEFINIR LE CAP
L'association dispose de deux sources d'information:
- les enquêtes sur les attentes et pratiques sociales de son public. Soit elles existent chez les organismes spécialisés (CREDOC, COFREMCA, études et recherches
diverses), soit elles sont réalisées à la demande de l'association parmi ses adhérents si ceux-ci représentent une masse et un échantillon significatif de la diversité et de la complexité de la demande. La difficulté sera alors celle du décodage, l'enquête donnant des informations brutes qui ne constituent pas une demande directe de services. L'objectif du projet associatif est de définir une grille d'interprétation qui permettra de bâtir une offre de service qui combine la vision qu'a l'association de sa raison d'être, ses valeurs et les éléments d'informations factuels collectés.
- la vision et les valeurs dont sont porteurs les responsables de l'association. Un projet associatif est le mariage des aspirations du public et de celles des dirigeants. Chacun arrive dans l'association avec sa vision du monde, son projet, sa conception des choses, sa manière d'être, ses critères de raisonnement. Chaque animateurs d'association sait qu'il y a là toute la matière à déclencher de magnifiques foires d'empoigne ou chacun aura l'occasion de jouer la grande scène de l'honneur offensé et de partir en claquant la porte. Cela est vrai, mais d'un obstacle, cela peut devenir une richesse. Les différences de points de vue tiennent généralement aux différences de culture, de langage, de comportement qui sont autant d'obstacles à la communication. Ca ne veut pas dire, bien au contraire qu'il n'existent pas de valeurs communes partagées. Mais elles le sont le plus souvent de manière latente et non exprimée. Et c'est le rôle du processus d'élaboration du projet associatif que de faire émerger ce qui est partagé de manière souvent insoupconné pour le faire partager de manière explicite dans un langage commun.
III- QU'EST-CE QU'UNE VISION PARTAGÉE?
Il y a d'abord le mot "vision". Voir n'est pas nécessairement comprendre et en tout cas prècede la compréhension. Voir ne repose pas sur un raisonnement logique tel que nous l'affectionnons au pays du cartésianisme.
Voir est du domaine du rève qui dépasse les contraintes de la réalité actuelle. Les associations humanitaires se sont créées sur une vision qui ne reposait au départ sur aucun paramètre de faisabilité logique. Tout commence par un acte de foi!.
Le mouvement PEEP vient ainsi de lancer à son congrès de Grenoble un grand mouvement de mise à jour de son projet associatif qui le mobilisera pendant 1 an. La vision de départ des dirigeants qui l'ont impulsé était "être des parents d'élèves responsables engagées dans la vie de la cité".
Il y a ensuite le "partage". Si l'on ne veut pas que ce type de formulation tourne rapidement à l'incantation et à la langue de bois, il faut lui donner du corps et la faire approprier par l'ensemble du mouvement. Ici le processus participatif a beaucoup plus d'importance que le contenu lui-même. Il est toujours possible à de brillants administrateurs de répondre en chambre à cette question: elle n'aura aucune valeur car n'étant pas le fruit d'un processus ou chacun a pu partager sa vision. Le mouvement sera donc mobilisé jusqu'en 1996 autour d'une question fondamentale pour son avenir et son projet "qu'est-ce qu'être parent d'élèves dans l'enseignement public aujourd'hui?". Chacun a bien sur sa réponse qui lui semble évidente comme devant êtyre adoptée comme LA réponse universelle. Mais la réponse qui aura de la valeur sera celle qui sera partagée par l'ensemble du mouvement, et elle sera partagée parcequ'un processus participatif aura permis et organisé ce partage.
Une vision partagée va permettre à chaque membre de l'équipage embarqué dans le navire associatif de définir sa mission (à quoi je contribue à mon niveau?) et son rôle (qu'est-ce que je dois faire pour remplir ma mission?).La vision partagée permet de réconcilier le projet de l'association et le projet de chacun, de mettre à profit l'extrème diversité et richesse humaine de l'association, qui sans cela devient vite un handicap.
Par la vision l'association tend vers un fonctionnement dit "holomorphique"1 où le l'association est porteur des aspirations de chacun, et ou chacun est porteur du projet de l'association.
Dès lors l'association dispose d'une référentiel pour décider, faire des choix, résoudre les problèmes, définir un langage commun: elle peut prendre la haute mer!
2- la boussole
Tout comme un voilier qui prendrait le départ d'une course autour du monde, l'association va s'engager sur des mers tumultueuses. Elle a besoin de connaître avec précision son cap, le point où elle veut arriver, qui se formulera en une raison d'être. "A quoi servons-nous? que voulons nous accomplir au travers de quels services?" sont les questions fondamentales qui seront abordées au cours de cette première phase. Dans notre précédent article nous avons vu la nécessité pour une association de disposer d'un référentiel de valeurs partagées, que nous avons dénommé projet. Mais tout comme le voilier, elle a de multiples chemins pour y arriver. Elle peut choisir entre de grandes options (jouer les courants plutôt que les alizés), mais ne peut prévoir tous les aléas qui se présenteront.
S'il est nécessaire d'avoir tant que possible planifié une démarche et une progression, coller au terrain, répondre aux aléas va requérir de travailler en intelligence de situation. Le meilleur des plans est fait pour être infléchi lorsqu'un des paramètres varie. La réaction du public ne sera jamais totalement celle que l'on avait anticipée (l'expérience montre que l'on a tendance a amplifier les facteurs négatifs), et s'il y aura de l'imprévu prévu, le propre de l'imprévu restera de ne pouvoir être prévu. Une bonne planification est donc celle qui peut être revue à la lecture d'une situation, tout comme le voilier sait infléchir sa route et modifier le réglage de ses voiles à la lecture des informations que lui transmet son routeur.
I- BÂTIR LA BOUSSOLE
Le principal problème pour une association est de mettre en cohérence son action quotidienne avec son projet et d'éviter les comportements paradoxaux. Par comportement paradoxal il faut entendre un acte qui entre en contradiction avec son énoncé1 . Lorsque l'on proclame que le projet de son association est d'accueillir tout le monde, d'être ouvert à tous, qu'est-ce que cela suppose au quotidien? La réalité elle-même est paradoxale: accueillir tout le monde et être ouvert à tous suppose d'emblée de définir sa raison d'être, son identité, à celui que l'on accueille et de lui présenter les règles du jeu. La manière dont on va dire et faire les choses doit être en accord avec ce que l'on proclame. Il ne s'agit plus seulement d'afficher un projet et des valeurs mais de les vivre au quotidien: c'est là le rôle de la boussole!
Comment l'étalonner?
Il faut d'abord en définir les paramètres. Ceux-ci sont de trois ordres:
- a) les valeurs partagées: Les valeurs sont un peu comme l'étoile du nord pour le marin: lorsque l'on est ballotté par la tempête et que l'on a perdu ses repères, elles sont toujours là pour faire le point, établir le bilan de l'action passée, définir l'écart entre la situation actuelle et la situation visée. Nous avons vu comment l'on passait de valeurs latentes, des aspirations de chacun, aux valeurs partagées de l'ensemble de l'association. Des valeurs ne sont véritablement partagées que lorsque l'on a défini comment on les vivait au quotidien, comment elles inspiraient les prises de décision, la résolution de problèmes.
- b) les normes de comportement: Ce n'est plus le temps pour l'équipage, lorsque qu'éclate la tempête d'entrer en séminaire pour définir la manière de faire mais de passer à l'action. Les normes de comportement auront pour objectif de définir les processus et de les stabiliser. Elles permettent de faire le lien entre les valeurs intemporelles et la gestion quotidienne des problèmes. Comment réagir lorsqu'un différent violent surgit entre des membres? Comment gérer les crises en cohérence avec ses valeurs? Comment prendre ensemble des décisions face à un événement critique? Les phénomènes de groupes et de relation entre les personnes sont complexes et l'on aura très souvent à traiter à la fois du contenu des problèmes et de la manière de les résoudre en groupe, ce qui suppose une bonne maîtrise des problèmes relationnels. Les crises sont des facteurs d'accélération de tous les dysfonctionnements et de toutes faiblesses de l'association. Et elles éclateront d'autant plus facilement que l'association sera vulnérable parceque n'ayant pas travaillé sa cohésion d'équipe.
Avoir fait un travail définissant les normes de comportement avant qu'elles n'éclatent permettra de les surmonter avec plus d'aisance.
- c) les méthodologies: Aussi doué que soit le navigateur, son matériel devra être fiable et en bon état. L'association doit disposer d'outils appropriés et de méthodologies d'intervention qui permettent stabilité et fiabilité de fonctionnement. C'est indispensable tout en étant un redoutable piège: les outils et méthodologies peuvent donner lieu à des raffinements excessifs et faire oublier qu'ils ne sont qu'un moyen au service d'une finalité. Lorsqu'il règle ses voiles et prépare son acastillage le marin doit porter la casquette du capitaine qui a en vu son cap et les épreuves à affronter et saura emporter tout le nécessaire mais rien que le nécessaire.
Comment bâtir efficacement cette boussole? Tout est dans la qualité du processus participatif. Tout comme la vision se construit par le partage des représentations et des valeurs implicites de chacun, la boussole efficace sera le fruit d'une dynamique collective. L'objectif est ici que chacun ait une lecture commune de la situation et ait la même interprétation des mesures correctives à appliquer lorsqu'un écart de cap est constaté. La validité et la fiabilité de la boussole ne sera reconnue que si sa construction est le fruit d'un processus participatif qui est en lui-même un processus éducatif.
II- UTILISER LA BOUSSOLE
La vision claire du cap et le maniement de la boussole permettra à chaque membre de l'équipage associatif d'être autonome dans l'accomplissement de la mission qui lui incombe, de situer son action de terrain dans la cohérence générale de l'action associative et d'éviter de bloquer le fonctionnement des instances par une remontée permanente des décisions. Le rôle des dirigeants associatifs, comme dans toute organisation, est de se centrer sur la stratégie et la cohérence d'ensemble et non d'arbitrer les querelles entre membres d'équipage. La maîtrise correcte de cet outil de pilotage qu'est la boussole permettra à chacun en tout temps et en tous lieux lorsqu'il représente l'association d'être porteur du projet associatif et de savoir l'illustrer dans tous ses actes.
Que le projet soit l'oeuvre de tous et que tous soient porteurs du projet, telle est la dynamique du pilotage stratégique. C'est une démarche à long terme qui requiert un investissement de toute l'association et qui doit être fermement portée par ses dirigeants. Dans l'époque que nous traversons de fluctuation générale des repères et du sens, cela est devenu une obligation incontournable pour toutes les associations.
Plus d'informations sur le site :
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Contact : claude.rochet@wanadoo.fr
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