Par André Joyal
Les spécialistes québécois du développement local, s'enthousiasment exagérément envers ce qui se fait en France. En réalité, à part les expériences du pays du Méné (Bretagne) et du Plateau Picard (Picardie), il ne se fait pas grand-chose. Ces propos m'ont été adressés en 1992 par un représentant du Comité d'Etudes de Liaison des Associations à Vocation Agricole et Rurale (CELAVAR). Ils ont suscité chez moi la même réaction qu'en 1998. Je participais alors, à Paris, à un colloque sur le financement du développement local (DEL) organisé par la Fédération des CIGALES** . Lors d'une période de discussion, suite à un commentaire d"un des deux co-auteurs d"un rapport intitulé "Pour développer l'emploi", publié quelques mois plus tôt et qui avait fait couler beaucoup d'encre, je n'ai pu m'empêcher d'intervenir. J'ai alors attiré l'attention sur la propension des Français à trop admirer la qualité des pâturages du voisin. En effet, pour ce participant dont le rapport regorge d'exemples américains et japonais, rien à l'intérieur de l'Hexagone ne semblait digne d'intérêt en matière d'initiatives de création d'emplois. Ai-je réagi par excès d'enthousiasme en me référant à ce qu'il m'avait été donné d'observer dans le quartier des Trois Cités de Poitiers, au, au pays du Haut-Couserans en Ariège ou encore dans celui du Beaufortain en Savoie, pour ne prendre que quelques exemples?
Ce foisonnement d'initiatives - en bonne partie relié aux lois de la décentralisation - que rapporte depuis deux ans à chaque semaine la section Heure Locale du journal Le Monde, est-il vraiment significatif? Ou n'est-il qu'une vue de l'esprit de ceux qui aiment croire à l'avènement d'un nouveau mode de développement économique. En affirmant qu'il se fait beaucoup de choses en France en matière de DEL, est-ce une réaction suscitée par la conviction qu'au Québec il ne s'en fait pas assez? Ma vision est-elle symétrique à celle d'un responsable français du colloque Le local en action1? Celui-ci voyait en la SOCCRENT*** du Saguenay la preuve de l'avance du Québec (sic) sur la France. Et pourtant, c'est par dizaines sinon davantage - Henri Lemarois, fondateur d'ESPACE à Lille pourrait en témoigner - que l'on trouve en France des organismes similaires. Les comparaisons sont souvent trompeuses et les impressions dégagées s'éloignent parfois de la réalité. C'est avec ces mises en garde bien en tête que je brosse un tableau de la situation du DEL au pays des ancêtres un peu plus de dix ans après l'adoption de la deuxième loi Deferre sur la décentralisation.
La conception du DEL retenue ne diverge bien sûr pas de celle des autres auteurs de cet ouvrage. C'est bien de développement endogène, ou par le bas, dont il est question Un type de développement qui, comme au Québec, a vu ses premières manifestations en milieu rural au début des années 1970. La Gaspésie des Français était alors le Larzac qu'il fallait sauver des mains du gouvernement désireux d'implanter une base militaire dans cette région du midi. C'était le temps des ex-soixante-huitards qui souhaitaient vivre et travailler autrement à l'image des disciples de Mao de Montréal qui, avant ceux de Moïse, tentèrent la même aventure aux confins du Québec. Le temps requis pour perdre leurs illusions. En France comme au Québec, ceux qui persisteront le feront au prix de l'eau à verser dans leur cuvée du révolutionnaire et de celui d'accepter de vivre et de travailler avant tout avec les populations locales désireuses de maintenir leur collectivité bien en vie. Le dogmatisme cédant le pas au pragmatisme, outre Atlantique on parlera de plus en plus de DEL alors que pour la même stratégie, sur les rives du Saint-Laurent, on l'expression "développement communautaire" fera florès. La distinction de langage durera le temps que des voyageurs québécois, au début des années 1980, répandent l'expression couramment utilisée en France*Comme on parlera de plus en plus d'acteurs du DEL, un certain nombre d'entre eux, de toutes les régions de la France, se réunirent à l'intérieur de l'Association Nationale pour le Développement Local et des Pays (ANDLP). Par "pays," on comprendra qu'il ne s'agisse pas des quelque 170 inscrits à l'ONU. Non, c'est bien de collectivités ou de micro-régions dont il s'agit. Au nombre de 300, ils ne sont inférieurs à celui des fromages (400) qu'à cause des nouvelles variétés issues du génie humain qui apparaissent sur le marché bon an mal an. Le slogan mis de l'avant deviendra Vivre et travailler au pays. Une rencontre à Mâcon en 1982 va permettre la rétention de cinq commandements des "pays" dont l'un stipule que le DEL peut constituer un modèle alternatif. On ne s'éloigne somme toute guère d'une volonté, dans la mesure du possible, de vivre et travailler de façon différente de ce qui s'observe à l'intérieur du modèle dominant.
D'autres organismes, plus ou moins liés à une certaine aile militante de la gauche alors au pouvoir, partageant une vision similaire, ont fait avancer la réflexion à la faveur de différentes rencontres, comme celles d'Aurillac, où l'on a cherché à porter le flambeau du DEL autant en milieu rural qu'en milieu urbain. Mais, s'il se fait des choses, rien n'étant facile, le nombre de chômeurs, entre-temps, ne cesse de s'accroître. Quand une fonderie ferme ses portes et licencie 300 travailleurs, comme quelqu'un l'a fait remarquer, Small is beautiful, mais une initiative de DEL qui crée 5 emplois c'est small point à la ligne.
La grande diversité des initiatives de DEL et leur insuffisance en termes de création d'emplois explique en partie le fait que l'ANDLP connaîtra, avec le colloque de Montréal, son champ du signe. C'est la faute à Rocard** dira-t-on, Il ne veut plus nous financer sous le prétexte qu'avec la décentralisation, un organisme centralisateur (jacobin?) n'a plus sa place à Paris. Vrai ou faux? Les avis divergent ici. Enfin, pour se donner une nouvelle image et pour mieux rebondir, on se fait hara-kiri et on crée un "nouvel" organisme L"Union nationale des acteurs et des structures de développement local (UNADEL). En fait, il s'agit de la fusion de l'ANDLP et de la Fédération des pays de France. Une union qui facilite l'interrelation entre élus et non-élus. Ce serait là selon le nouveau président une des clés du changement de la société. Pourquoi pas?
Pendant ce temps, au début des années 90, la gauche revenue au pouvoir donne lieu à la création du Groupe interministériel pour le développement local (GIDEL) d'où émanera un an plus tard un organisme moins politique, doté évidemment du statut d'association 1901*, le Centre de rencontres et d'initiatives pour le développement local (CRIDEL). Ce dernier, comme son nom l'indique, se rend responsable de rencontres d'acteurs du DEL (deux fois à Angers et tout récemment à Strasbourg) en plus de prendre des initiatives touchant le cumul d'information et la publication sur les expériences en cours partout à travers le pays. Mais, encore une fois, rien n'est facile, la dégradation de l'économie se poursuit, la droite revient au pouvoir et voilà que l'existence ou du moins la vocation première de cet organisme est menacée ou à tout le moins remise en cause.
Alors, quel bilan peut-on faire de ces quelque dix ans de tentatives de prise en main de leur destin de la part des populations locales? Quelles leçons peut-on dégager et quelles attentes est-il possible de caresser pour les années à venir? Que penser de l'affirmation du président du sénat, René Monory* , pour qui : La décentralisation, c'est d'abord se mettre à son compte.
Où en est-on ?
Dans un article du Monde Diplomatique2, le sociologue Alain Bihr présente un bilan particulièrement négatif des conséquences sur le DEL de dix ans de décentralisation. Même s'il ne fallait pas s'attendre à un constat plutôt flatteur dans les pages du plus important journal anti-impérialiste francophone*, force est de reconnaître une certaine pertinence à l'argumentation partagée en trois points. Tout d'abord, la décentralisation aurait contribué à renforcer le pouvoir de la technostructure locale. Des élus locaux et les bureaucrates qui les entourent ("le sacre des notables") ont profité de leur nouvelle marge de manoeuvre pour consolider leur pouvoir et se constituer des chasses gardées à l'intérieur desquelles les nouveaux venus, pour y pénétrer, doivent montrer patte blanche. De cette façon les représentants des forces vives locales, indispensables rouages de toute stratégie de DEL, se butent à des résistances de nature à compromettre leur enthousiasme et leurs ardeurs. Un état de fait qui, hélas, se vérifie trop souvent.
Les deux autres arguments avancés paraissent moins percutants. L'un concerne la professionnalisation des agents de DEL à qui l'on a apprit l'art de la planification stratégique. Bien sûr, en France comme au Québec, on tend parfois à voir dans l'approche stratégique la panacée des maux dont soufrent les régions économiquement fragiles. Mais peut-on s'opposer à la mise en place de programmes de formation, académiques ou pas, visant à fournir à des intervenants, appelés à travailler avec divers acteurs locaux, les informations et les outils susceptibles d'accroître leur efficacité? Enfin, cet auteur s'en prend au fait que des collectivités soient mises en concurrence les unes les autres donnant lieu à au phénomène qui consiste à déshabiller Paul pour habiller Jean. Le DEL représenterait un jeu à somme nulle. Un argument déjà réfuté par le spécialiste américain Stuart Perry3. En fait, c'est l'absence de stratégie de DEL qui met les 31 180 communes françaises de moins de 2 000ha en concurrence, chacune ayant tendance à tirer la couverture de son côté sous l'impulsion du sempiternel esprit de clocher. L'individualisme local est encore très fort et pour employer une expression courante au pays de Jeanne-d'Arc, l'intercommunalité ne se décrète pas. Or, est-il nécessaire de le préciser, pour que le DEL donne des résultats, l'intercommunalité est un "must" comme disent nos cousins souvent plus attirés par Shakespeare que par Molière.
Les différents paliers administratifs
Mais pour y voir clair, il importe d'avoir en vue les grandes lignes de ces lois votées le 7 janvier 1982 et le 22 juillet 1983. Elles se rapportent aux compétences de trois paliers administratifs. D'abord la région (au nombre de 22) est investie de la responsabilité de l'aménagement du territoire et de l'intervention économique à travers différents instruments comme les primes régionales à l'emploi, ou à la création d'entreprise, des prêts avec bonification de taux d'intérêt, l'aide des Sociétés de Développement Régional et les chartes intercommunales de développement et d'aménagement. C'est de la région que relèvent également les programmes de formation professionnelle ou d'apprentissage dispensés par les lycées d'enseignement professionnel.
Au département (99 en incluant ceux d'outre-mer) on a accordé en matière économique une sorte de liberté surveillée puisque les actions directes dépendent presque exclusivement de la région. Mais les départements ont su tirer leur épingle du jeu pour mettre à profit une gamme très variée d'aides indirectes : appui à l'acquisition de terrain, exonération temporaire de taxe professionnelle (venant des entreprises), aide à l'érection de bâtiments, etc. Cependant, l'obligation de consacrer environ 50% du budget départemental à l'aide sociale représente l'une des contraintes les plus grandes face à l'engagement envers le DEL. Enfin, L'esprit des lois veut que le département soit le niveau intermédiaire, un lieu de convergence d'un mouvement ascendant des communes et des micro-régions et d'un mouvement descendant venant de l'État (Paris) et des régions qui cherchent à s'implanter au niveau local.
La commune, (au nombre de 37 000 telles Flavy-la-Fiole, Garges-les -Gonesse et autres Joué-les-Tours) pôvre commune! suis-je tenter d'écrire. Ce qu'ils se sont plaints les braves maires de la France profonde réunis au palais des congrès du Futuroscope de Poitiers au début de février 1994 lors de la Convention nationale sur l'Aménagement du territoire. Il s'agissait pour eux de se prononcer sur un vaste projet piloté par l'ineffable ministre de l'Intérieur Charles Pasqua concernant le visage que devrait prendre l'espace français en 2015... Les "petits maires" n'ont pas la patience d'attendre 20 ans. C'est maintenant qu'ils veulent des réformes (surtout fiscales) pour que la commune ne soit plus la négligée des lois de la décentralisation. Ces élus veulent s'occuper davantage que de la gestion d'un urbanisme léger, de celle reliée à certaines formes d'aide sociale et du choix de la couleur des murs de leur école (pour les communes qui ont encore la chance d'en avoir une). Oui, il a beaucoup été question de péréquation financière à cette grand-messe du Futuroscope (communes vs Paris), ce qui n'est pas sans rappeler à l'observateur québécois les tiraillements entre les provinces et Ottawa.
Un des difficultés reliées à la mise en oeuvre des lois de la décentralisation en matière économique par un manque de clarté dans la répartition des responsabilités entre les trois paliers administratifs. Les possibilités d'empiétement sur le terrain de l'un ou de l'autre sont nombreuses avec les occasions de conflit que l'on imagine aisément. En fait, le département et la commune sont condamnés à harmoniser leurs interventions en matière économique. Or l'action du département étant tributaire de celle de la région, une coordination à un autre niveau s'avère donc nécessaire. On trouve ici l'un des écueils de la décentralisation. Mais dans ce grand jeu, à la faveur de l'expérience, une instance parvient à mieux tirer son épingle que d'autres, de toute évidence ce serait le grand bénéficiaire de la décentralisation : le département.
Dirigé par un conseil général composé d'élus issus d'élections cantonales, le département tend à devenir la pierre d'assise du développement économique. Instauré su siècle dernier suite à un savant découpage effectué par le prolifique géographe Élisée Reclus, ce palier administratif n'est pas près de disparaître malgré les souhaits de certains.
Le président du conseil général, élu par les conseillers généraux issus en grande majorité du milieu rural, tend à prendre une importance grandissante. C'est le "patron" du département qu'il dirige tel un chef d'entreprise. La décentralisation a fait de lui un personnage aussi important sur son territoire, que le chef de l'Etat sur le sien, rien de moins selon Le Monde4. Qu'on en juge à nouveau avec Charles Pasqua, qui, évidemment pour ne pas être de reste, cumule les mandats électifs en étant à la tête des Hauts-de-Seine et se vante d'être à la tête du 21ème état du monde pour la production intérieure (...). Et que penser de René Monory dont la présidence du conseil général de la Vienne l'a conduit à réaliser le Futuroscope? Un parc d'attraction qui allie merveilleusement bien le ludique et l'informatif sur un espace où il y a moins de dix ans poussaient des betteraves. Ce n'est pas moins de 3 millions de visiteurs que l'on attend en 1994 qui, après s'être laissés émerveillés par la magie des technologies visuelles modernes, pourront ensuite aller admirer la magnifique façade de Notre-Dame-la-Grande, rajeunie grâce, là aussi, à l'apport des technologies modernes. Ailleurs, on a un président tout fier d'avoir mené à bien le projet de relier l'île de Ré à la terre par l'érection d'un très beau pont (payant). Ou encore, celui plus connu (Michel Barnier) qui a grandement contribué à la réalisation des J. O. d'hiver en Savoie, une chose impossible sans la présidence du conseil général aux dires de ce leader départemental.
Grand parc d'attraction, investissement d'infrastructure, jeux olympiques, etc. quel est le lien avec le DEL? Pour certains, la relation est évidente, c'est ça le DEL! n'hésitent-ils pas à s'exclamer. Pas pour moi, ni pour les autres collaborateurs à cet ouvrage. Mais alors où en est-on vraiment? Quel bilan peut-on faire de l'expérience des années 1980 en matière de DEL? C'est ce à quoi se rapporte la sous-section suivante.
Le DEL dix ans plus tard
Dans le cadre d'une opération dite "télépromotion rurale", un groupe d'experts* réunis par le CRIDEL autour d'un pionnier du DEL et un ami du Québec, Georges Gontcharoff, ont donné lieu à un texte permettant de faire le point sur la situation du DEL en France5. Trois pistes de réflexion retiennent l'attention.
1- le DEL est territorialisé
. Bien sûr, mais quand vient le temps de définir ce qu'est le "local" les choses sont moins claires. Je fais allusion à ce problème dans un chapitre intitulé "PME et développement territorial"6 . On se rapporte ici à l'espace pertinent, l'espace des actions solidaires où se manifeste une volonté de prise en main afin de "s'en sortir". Le problème de la masse critique n'échappe pas au groupe de réflexion : trop élevée on dilue les identités et les réseaux relationnels forts qui induisent le changement social. Trop faible, un "pays" (ou au Québec, une MRC) de 10 000 ha offre trop peu de possibilités à la diversification des activités et à leurs effets d'entraînement. On trouve ici l'interrelation entre l'ascendant (ce qui vient d'en bas, du local) et le descendant (ce qui vient d'un palier administratif supérieur) en vue de d'en arriver à une entente pour une intervention sur un territoire donné à partir de logiques territoriales, hélas, souvent différentes.
Se pose également le problème de l'espace à géométrie variable ou des espaces emboîtés : bassins d'emplois, missions locales, pays d'accueils, parcs naturels, cantons. Quel espace faut-il privilégier? A cette interrogation nos experts répondent que le territoire à développer devrait être découpé selon la libre volonté des communes associées suivant la logique à la base des chartes intercommunales de développement et d'aménagement (entente entre 10 à 20 communes conduisant un plan quinquennal de développement, au nombre de 282 en 1991, aucune progression ne se manifeste depuis). Enfin, on considère qu'une politique de DEL ne peut être menée à bien que s'il est reconnu par les autorités politiques appelées à le soutenir, e. i. les différents paliers administratifs qui outre-Atlantique s'étendent jusqu'à Bruxelles.
2- Le DEL est un développement global.
À nouveau, on reconnaît ici la nécessité de concilier à la fois des objectifs sociaux et des objectifs économiques. Concernant ces derniers, cependant, les experts affirment qu'ils ont été négligés par le slogan Vivre et travailler au pays et qu'à l'avenir le tir doit s'orienter différemment. Ceci étant admis, on met en garde contre le danger de se lancer tête baissée dans le "tout économique" en n'accordant pas à d'autres secteurs l'attention qu'ils justifient. De même, les experts insistent sur la nécessité d'unifier la politique de la ville et celle de l'espace rural en prévoyant l'interactivité entre les deux environnements. A leurs yeux, il importe d'admettre que la ville a besoin de son arrière-pays comme le monde rural a besoin des services collectifs du monde urbain.
Contrairement au Québec, (c.f. "Les états généraux du monde rural" sous l'instigation de l'UPA) on assiste toujours à une surévaluation politique des agriculteurs de telle sorte que le développement rural est encore trop souvent associé au développement agricole. Or les partisans du DEL proposent aux agriculteurs une diversification de leurs activités : reprise des productions traditionnelles, mise en valeur du tourisme rural, recours à la pluriactivité, protection de l'environnement, etc. Il faut en arriver à présenter le DEL autrement que comme un processus destiné à réparer les dégâts causés par le modèle productiviste (qui avait été fortement pris à partie au Québec lors des "États généraux du monde rural"). Mais, pas plus en France qu'au Québec l'on est prêt à aborder le virage écologique aux dépens du modèle agricole productiviste. Actuellement, l'Etat français joue sur les deux tableaux : il appuie le modèle productiviste et celui qui se présente (ou se cherche encore...) comme une alternative.
Pour que le DEL soit global, selon le comité d'experts, il importe d'avoir dans le champ de mire un triple objectif :
* valoriser les atouts d'un territoire ;
* mettre en cohérence des acteurs locaux en augmentant leur efficacité par des effets de synergie ;
* permettre au "local" de profiter d'un projet global pour mieux utiliser les aides extérieures.Ceci, en accordant une attention particulière aux conséquences d'équipements structurants tels que les autoroutes, le TGV, les grands hôpitaux, les hypermarchés, etc. Ainsi, si le Futuroscope de Poitiers ou les jeux olympiques de la Savoie n'ont rien à voir directement avec une stratégie de DEL, ils ne peuvent être totalement ignorés, bien au contraire. Ce qui conduit à définir le DEL comme un art combinatoire : la capacité des acteurs à jouer sur plusieurs tableaux à la fois.
3- La rencontre de l'ascendant et du descendant
. Faut-il le répéter, le DEL a pris son envol quand, à la base, au niveau local, des acteurs (les fameuses forces vives) ont réagi à l'encontre de décisions prisent au niveau d'échelons supérieurs (privés ou publics). Or, non sans pertinence, nos experts estiment que le mouvement en arrive à s'épuiser s'il ne rencontre pas sur sa route un mouvement descendant. Le programme canadien "Développement des collectivités" (sous l'égide de l'ex-ministère Emploi et immigration Canada) offre une très bonne illustration de cette vision des choses. On en est donc bien loin de cette recherche d'un développement autocentré assorti d'une illusoire volonté d'autarcie dans l'arrière-pays (ce que j'appelle le modèle "fromage de chèvre").
Ceci étant admis, force est de reconnaître, en France comme ailleurs, qu'il n'est pas facile de mobiliser une gamme variée d'acteurs locaux. On parle de déficit de la démocratie locale (c.f. ce que l'on désigne au Québec par le phénomène TLM : Toujours Les Mêmes). Le rapport des experts attire l'attention sur la nécessité d'une réflexion sur la façon d'impliquer un plus grand nombre de gens à l'intérieur d'une stratégie de DEL. Pour y arriver, on estime qu'il est urgent de se départir d'une vision largement répandue* il y a une dizaine d'années voulant que : "Au pays, se seraient inventés un nouveau type de société, de nouveaux types de rapports sociaux, un nouveau monde, encore balbutiant qui trouverait toute sa place sur les ruines de l'ancien". Avec raison, la plume de notre ami Gontchoroff est on ne peut plus précise par la reconnaissance que ce discours est aujourd'hui largement dépassé et qu'il faut à la place parler de complémentarité. Complémentarité d'action avec les différents agents économiques susceptibles de s'impliquer dans toute stratégie de DEL. Dans ce contexte, on estime que l"Etat doit proposer et non imposer. Les lignes qui suivent visent à mettre en évidence les idées issues de ce groupe de réflexion à partir de faits vécus en France rurale.
L'importance du rural
Les prévisions les plus alarmistes sur l'avenir du monde rural ont commencé à se faire entendre il y a une dizaine d'années : Disparition de la moitié des quelque 800 000 exploitations agricoles, retour à la friche du septième de la superficie du territoire national, réactualisation de l'image célèbre "Paris et le désert français". C'est bien sûr ce que veut éviter le projet d'aménagement du territoire pour 2015. Si rien ne sera plus comme avant, heureusement, il y a place pour une alternative au scénario le plus pessimiste.
Notre collègue, Bernard Kayser de l'Université de Toulouse refuse de croire en l'agonie du monde rural. C'est un son de cloche différent qu'il émet en précisant que si les espaces réellement en voie de désertification, c'est-à- dire les 434 cantons ruraux identifiés comme étant en crise représentent près du cinquième (ouf!) de la superficie du pays, les zones du "rural profond" comptent moins de deux millions d'habitants. Du Piémont pyrénéen jusqu'au plateau lorrain en passant par le Massif central, des centaines de villages sont effectivement appelés à disparaître (tout comme au Québec). Mais, cet agro-sociologue n'en affirme pas moins que la campagne française est bien vivante grâce à une population stabilisée parmi laquelle les agriculteurs comptent pour moins de 20%. Les bourgs et les petites villes offrent aux entreprises et aux habitants un cadre de vie et des aménités qui exercent des effets d'attraction7 . Effectivement, quand on parcoure la France rurale on ne peut que demeurer admiratif en présence de ces lieux aux noms pittoresques qui semblent résister à la force centripète exercée par la restructuration généralisée de l'économie mondiale. Mais les trop nombreuses petites communes ne pourront s'en tirer en faisant cavalier seul. C'est pourquoi, depuis quelques années, l'intercommunalité fait partie de l'agenda des conseils municipaux.
Si les résultats ont longtemps tardé à poindre, ils commencent à se manifester. Seulement pour l'année 1993 on enregistre l'avènement de 250 communautés de communes (CdC) comprenant de deux à trente villages. Une loi sur l'administration territoriale adoptée l'année précédente a sûrement exercé un effet favorable en ce sens. Elle encourage l'intercommunalité sur la base de deux compétences : l'aménagement de l'espace et le développement économique. C'est là un progrès par rapport à la législation en vigueur depuis des lustres (1890) sur la simple gestion de la tuyauterie au sens propre du terme (adduction d'eau, assainissement) autour de syndicats intercommunaux (à vocation unique ou multiple).
On le comprend bien, l'intercommunalité offre aux habitants une possibilité de se procurer des services qu'ils ne pourraient obtenir autrement tout en donnant une meilleure image de leur environnement immédiat. Depuis quelques années, nous avons cessé d'agir chacun de notre côté et nous avons développé une conscience territoriale m'a affirmé avec fierté, en mars 1994, le maire-instituteur de Gavaudun (380 ha) lors d'un déjeuner dans l'unique restaurant de cette très belle petite commune de la vallée du même nom (Lot et Garonne). Là comme ailleurs, on cherche à substituer la solidarité à la compétition en vue d'attirer les entreprises. On remet à l'ordre du jour le slogan qu'Alexandre Dumas a mis dans la bouche de ses mousquetaires : Un pour tous, tous pour un. Ainsi, dans une autre région, une CdC a été formée à partir des dix-neuf communes du district de Laval (Mayenne) avec compétence sur le développement économique. Et la fameuse taxe professionnelle, source de si nombreuses tensions, sera prélevée par la CdC et non plus par les communes. De cette façon, la vision du DEL se situe à l'échelon pluricommunal et présente ainsi un plus grand nombre de possibilités.Comme on le voit, malgré le piétinement du programme visant l'implantation de chartes intercommunales de développement et d'aménagement, les regroupements se font par d'autres canaux.
La création de Sociétés d'Economie Mixte (SEM), dont le nombre est passé de 600 à plus de 1 260 (grâce aux lois de la décentralisation) ces dix dernières années, se veut une autre manifestation du dynamisme issu du regroupement de communes. Considérées comme de véritables entreprises du DEL, elles doivent leur origine, comme leur nom l'indique,à un partenariat public-privé établit en vue d'intervenir dans la gestion des services publics (41% : transports urbains, centres culturels, équipements sportifs), l'immobilier (30% : logements sociaux, locaux professionnels et l'aménagement (29% : zones d'habitation ou d'activités). La loi exige que les collectivités locales détiennent la majorité de l'avoir en capital des SEM. Alors que les entreprises privées travaillent sous l'influence de la rentabilité à court terme, les SEM offrent la possibilité d'intervenir dans le contexte global d'une collectivité avec d'autres objectifs que la simple recherche du profit. Toujours en mars dernier, il m'a été possible de visiter l'Agropole d'Agen, une SEM de création récente qui se consacre à l'accueil d'entreprises faisant appel aux nouvelles technologies dans le domaine agro-alimentaire. Les effets de synergie dont bénéficient les quelque vingt entreprises déjà en place m'ont paru évidents.
En somme, que ce soit dans le "pays" de Bray en Picardie, dans celui du Baugeois dans le Maine et Loire, dans celui de Vasle dans les deux Sèvres, dans celui du Fumélois dans le Lot et Garonne, il se fait des choses, et ce à l'aide d'une panoplie de programmes. Ceux-ci viennent de différents paliers administratifs dont certaiins émanent de la Communauté européenne tel le programme LEADER dont la présentation s'accompagne ici d'une application dont j'ai pu être témoin en février 1994.
Le programme LEADER
Le programme Liaison entre Actions de Développement de l'Economie Rurale est identifié comme étant de type "initiative communautaire". Même s'il relève de la responsabilité de la Commission des Communautés européennes, le mot "communautaire" ici peut très bien prendre le sens qu'on lui donne en Amérique du nord. En effet, l'objectif du programme est d'offrir un soutien direct aux initiatives collectives de développement prises par les communautés rurales estimées en retard ou en difficulté. Aux yeux de ses promoteurs, l'aspect innovateur du programme réside dans la programmation et la gestion faites au niveau du territoire retenu par les partenaires institutionnels, économiques, sociaux réunis au sein d'un "groupe d'action locale". Un autre de ses traits spécifiques prend la forme d'un vaste réseau rassemblant les 217 groupes locaux dont 50 pour la France. La tenue de séminaires permet les échanges d'information et l'élaboration, lorsque pertinent, d'approches communes. La population de chacun de ces territoires comprend une population qui varie entre 5 000 et 100 000ha. Prévu pour une durée de trois ans (renouvelable), le programme offre une assistance se rapportant à la formation au tourisme rural, au soutien aux PME, à la valorisation des produits agricoles, etc8..
Pour l'observateur canadien ou québécois, les affinités de ce programme avec celui de l'ex-ministère Emploi et Immigration Canada (PDC) sont particulièrement frappantes. Comme pour ce dernier, le programme LEADER comprend les éléments suivants :
* un territoire et une population limitée où le sentiment d'appartenance est suffisamment important pour concevoir un projet global cohérent ;
* l'implication de partenaires locaux représentatifs de divers groupes socio-économiques et en mesure de concevoir et mener à bien la réalisation d'un projet de développement dans le cadre d'une démarche ascendante ;
* une relation de partenariat entre tous les groupes à l'échelle de la Communauté européenne en vue de favoriser la coopération et l'échange d'expertise.Toujours à l'instar du programme Développement des collectivités, l'approche LEADER fait appel à la préparation et à la mise en oeuvre d'un plan stratégique : objectifs et choix stratégiques, coûts, calendrier, etc. Les actions possibles sont réparties en sept catégories de mesures suivant le choix des groupes. Une fois son plan approuvé chaque groupe touche une avance de trésorerie de 40% du montant de son budget (quelques millions de $). Le reste du montant est attribué suivant, bien sûr, l'évolution favorable du projet.
Consultante à titre d'experte auprès de ce programme Marie-Elisabeth Chassagne tire quelques premiers enseignements :
* la philosophie de LEADER se répand et fait école au point que certains pays s'en inspire pour leur propre politique rurale ;
* les pays latins et anglo-saxons tirent un grand avantage de la comparaison de l'expérience des uns et des autres ;
* les groupes LEADER constituent un vivier riche d'expériences innovantes qui méritent d'être diffusées et à cet effet les publications du réseau jouent un rôle utile ;
* les responsables des groupes LEADER, en règle générale, sont jeunes et bien formés. Cependant, comme au Québec, ils manquent d'expérience en matière de conduite de projet de développement territorial. Mais eux aussi peuvent apprendre rapidement pour autant qu'on leur en donne la chance9 .Si une hirondelle ne fait pas le printemps, l'observation d'une seule expérience sur 217, ne permet pas d'obtenir une appréciation représentative de l'ensemble des groupes concernés. Néanmoins, je considère que le projet LEADER du Plateau de Millevaches (rien à voir avec le nombre de vaches, car l'on ne trouve que quelques centaines de Limousines... sur quatre pattes) illustre assez bien ce qui se fait, en apparence et en réalité, en matière de DEL en France.
Le Plateau de Millevaches
La fédération du Millevaches comprend 106 communes de Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne totalisant une population de 41 000ha. En mars 1992 une enveloppe de 2 millions d'écus (1 ECU=1.50$us) a été consentie par le programme LEADER en complément des aides accordées par les instances départementales (les conseils généraux des trois départements) et du conseil régional du Limousin. Dans une pochette d'agréable présentation en plusieurs couleurs, le projet est décrit d'une façon identique à ce que l'on observe partout ailleurs où une stratégie similaire de développement est mise de l'avant. Quatre types de mesures ont été retenues par les porteurs du projet :
* Agriculture. Fonds d'aide à l'innovation agricole : contribution LEADER à la réalisation d'études préalables à la diversification ; Logement des agriculteurs ; Centre ressource du bois : Documentation technique et lieu de rencontres en collaboration avec des institutions d'enseignement ; Accueil d'une entreprise agro-alimentaire.
* Communication. Elargissement du rôle d'une télé communautaire ; Création d'une tête de réseau en vue de faciliter les échanges avec les autres groupes LEADER.
* Tourisme : Développement d'un système de communication touristique performant ; Elaboration et mise en réseau de produits touristiques ; Organisation de manifestations culturelles et sportives ; Appui aux structures d'accueil.
* Entreprise. Recherche d'investisseurs et promotion du plateau ; Services aux PME : secrétariat, réceptif téléphonique, gestion de personnel ; Soutien aux investissements dans le domaine de la bureautique et de la gestion informatisée ; Prise en charge des surcoûts d'investissement lors d'une implantation : surcoût architecturaux et des travaux d'intégration au site.Pour des raisons évidentes, le volet "entreprise" est celui auquel je me suis le plus intéressé en m'adressant à des entrepreneurs ruraux que je visitais pour la deuxième fois en cinq ans. Partageant mon point-de vue, ils considèrent que ce volet- tout comme les autres- pêchent par un manque de substance. C'est une coquille vide, m'a-t-on-affirmé avec un effort d'objectivité après avoir avoué ne pas être éligibles à une assistance de la part du programme étant donné que leur entreprise (filière bois) est en activité depuis six ans. Pourtant, on aurait cru que l'aide aux PME implique autant la consolidation que la création, comme il se fait au Québec.
Aux yeux de mes interlocuteurs, contrairement à toute approche de DEL, le programme leur apparaît davantage comme une démarche descendante. C'est une pompe à fric activée par les élus locaux pour donner suite à leurs ambitions, m'a-t-on affirmé le plus sérieusement du monde. Conscients que des sommes d'argent étaient disponibles, il ne restait qu'à ces leaders traditionnels de s'entendre pour concevoir un plan d'action suffisamment précis pour sauver les apparences et se pencher ensuite pour amasser la manne. Une situation qui semble confirmer l'opinion d'A. Bihr décrite au début de ce chapitre.
Le représentant de Télé-Millevaches, dont l'organisme bénéficie d'une assistance financière m'a, bien sûr, donné un son de cloche un tantinet plus nuancé sans toutefois contredire les avis déjà recueillis. Chose certaine, on semble bien loin d'un plan d'action issue d'une vision élaborée à la faveur de l'implication des différentes catégories d'acteurs du milieu* .
L'exemple d'un projet de création d'un Parc Naturel Régional, toujours pour le Plateau de Millevaches (PNR) illustre une fois de plus toute la problématique associée à une démarche de DEL. Un (PNR) est un territoire à dominante rurale reconnu par tous les paliers administratifs pour la qualité de son patrimoine naturel, architectural, culturel et pour la diversité des paysages que ses habitants ont à coeur d'entretenir et de préserver. C'est aussi un moyen que possèdent les collectivités locales de mettre en oeuvre un plan global d'aménagement, de développement et de sauvegarde du patrimoine. Il suppose implicitement des interventions économiques favorisant le maintien des populations sur place. À travers toute la France, il n'existe pas moins de 27 PNR qui couvrent environ 8% du territoire national auxquels s'associent près de 2 millions d'habitants. Le premier PNR fut crée en 1969. Les lois de la décentralisation reconnaissent les PNR comme des structures de planification régionale mais ce n'est qu'en 1988 qu'un décret leur a conféré une réelle compétence en matière de développement économique.
C'est alors que le Conseil régional du Limousin a entrepris une réflexion sur la création éventuelle d'une telle structure de développement en faveur de la région. Et en 1991, le Conseil régional a adopté la constitution d"un Comité de pilotage chargé d'élaborer une charte de développement devant être soumise à l'approbation de 11 communes avant de suivre le cheminement de la filière institutionnelle classique. Or, aux dernières nouvelles, le tout piétine. C'est l'affaire d'un groupe d'élus qui ne parviennent pas à obtenir un consensus plus vaste, alors le projet traine de la patte, m'a-t-on À nouveau,. nouveau je ne résiste pas à citer Gilles Vigneault en paraphrasant une de ses vieilles ballades : Qu'il est difficile de faire du DEL, qu'il est difficiiiiiiiiiiile...
Conclusion
Tout compte fait, par son portrait du DEL plutôt pessimiste, mon interlocuteur du CELAVAR était peut-être plus près de la réalité qu'il m'avait alors paru. Soyons clairs. Il se fait des choses, en milieu urbain et tout autant sinon d'avantage en milieu rural. Les exemples d'initiatives de tout genre peuvent remplir un volumineux catalogue mais, pour reprendre un article ô combien! toujours d'actualité d'Alain Lebaude, tout se fait dans un ordre dispersé. Et comme il l'a écrit, l'hypothèse du DEL est toujours à l'ordre du jour : "Mais de l'intention proclamée à son orchestration, on ne devait pas tarder à découvrir qu'il y avait un pas immense, malgré les énergies déployées de toutes parts"10 . Cinq ans plus tard, le tableau demeure le même. Le foisonnement d'activités initiées de Dunkerque à Menton, (et non pas à Tamanrasset comme on disait au temps de la colonisation) émanent d'une gamme très variée d'origine. Il y peu d'exemples de cas où les initiatives prennent place à l'intérieur d'un processus intégral de planification stratégique tel que le conçoivent mes collègues Paul Prévost et Bernard Vachon également collaborateurs à cet ouvrage.
Les acteurs locaux appartenant au secteur associatif ou à l'appareil administratif, comme fonctionnaires ou élus, ne se comptent pas. On les retrouve ici et là à l'occasion des multiples colloques ou rencontres qui se tiennent année après année sur la problématique du DEL. Mais il faut causer avec eux pour réaliser, au risque de se répéter, que rien n'est facile. Certains s'épuisent manifestement à porter le flambeau en retour d'une rémunération à peine supérieure au salaire minimum, toujours préoccupés par le renouvellement du financement de leur structure d'intervention. Est-ce ainsi parce que trop de gens susceptibles d'apporter une contribution quelconque ne sont toujours pas conscients des potentialités que recèle la démarche propre au DEL? Autour de villes moyennes comme Dijon, Poitiers, Tours, etc, les effets de polarisation sont-ils trop grands pour amener les acteurs des communes qui les entourent à concevoir qu'un autre développement pour leur collectivité s'avère possible? Les aléas du mécanisme du marché sont-ils trop grand pour qu'il soit vraiment possible de "voir" l'avenir d'une collectivité sur un horizon de cinq ans? Enfin, faut-il en arriver à concevoir le DEL différemment comme l'on fait avec beaucoup de lucidité les experts réunis par le CRIDEL? Sûrement.
Du rapport de ces experts, le constat que le DEL est à la fois ascendant et descendant est, à n'en pas douter, celui qui mérite le plus d'attention. Si les économies nationales doivent faire l'objet d'une importante décentralisation, l'État ne doit pas moins conserver certaines prérogatives. Et parmi celles-ci doit se retrouver la promotion de programmes conçus en vue d'aider les collectivités à se prendre en main.
Si le DEL est autre chose que l'implantation d'un gigantesque parc d'attraction exigeant des centaines de millions de dollars en investissements, ce peut être, par ailleurs, comme pour cette petite commune de Charente, Le Vigeant, l'implantation d'un circuit automobile. Remplacer des prés, où paissent on ne peu plus paisiblement des brebis accompagnées de leurs agneaux, par un anneau d'asphalte pour y faire tourner des bolides dont le bruit fait fuir les oiseaux à des kilomètres à la ronde, peut faire sourciller les plus écolos des partisans du DEL. Et pourtant, si un tel projet, qui a pour conséquence d'attirer quelques entreprises et des équipements touristiques, émane de la volonté des forces vives du milieu - et non de quelques élus ou particuliers essentiellement motivés par leurs intérêts particuliers - il peut très bien alors servir d'exemple de DEL.
Enfin, en ce qui concerne les étudiants inscrits dans l'un des quelque dix ou douze programmes universitaires de deuxième cycle en développement local dispensés ici et là, l'avenir n'est pas bouché. Des postes les attendent dans les Comités d'expansion économique (plus ou moins équivalents de nos commissariats industriels) ou à l'intérieur des nombreuses structures légères et locales qu'a suscité la décentralisation de l'administration du pays. Ces futurs acteurs d'un DEL, mis en oeuvre aussi dispersé soit-il, peuvent trouver une source d'inspiration dans cette déclaration de René Monory lors de la Convention nationale sur l'aménagement du territoire de février 1994 : Puisque dans les prochaines années, les Français ne doivent pas compter sur un accroissement de leur pouvoir d'achat, il faudra compenser ce manque par d'autres choses : la convivialité, les racines, les valeurs et, parmi elles, l'espace qui est, pour nous provinciaux, un atout exceptionnel.
Sus la dir. de M.-U. Proulx, Les Éditions Transcontinentales, Montréal, 1994.
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André Joyal
E-Mail - Andre_Joyal@UQTR.UQuebec.CA
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Horizon Local 1997
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