Par André Joyal, Professeur d'économie à l'Université du Québec à Trois-Rivières
A la fin des années 70, le Québec démontrait un dynamisne particulier en ce qui regarde la création d'emplois issus de la dynamique communautaire . Les initiatives émanant d'une volonté des populations de plusieurs villages du Bas-du-Fleuve-Saint-Laurent et de la Gaspésie, désireuses de réagir contre la menace de fermeture de leurs paroisses, attiraient fortement l'attention. A la faveur d'une prise de conscience suscitée par certains leaders locaux, les premières corporations de développement communautaire prirent naissance.
Dans une certaine mesure, l'exemple américain tel que vécu, dès la fin des années 60, dans les quartiers défavorisés des grands centres urbains, a servi d'inspiration. Il s'agissait, en quelque sorte d'adapter, aux besoins d'un environnement rural éloigné des grands centres, une structure d'animation susceptible de canaliser à la fois les idées et les énergies des populations à la recherche d'une plus grande autonomie en matière économique.
Comme on le devine bien, ces expériences sociales, qui furent imitées de façon plus modestes dans d'autres régions périphériques du Québec, ont donné lieu à une abondante documentation. Leurs performances heureuses et leurs vicissitudes ont été largement commentées par différents visiteurs des deux côtés de l'Atlantique (MacLeod, 1986; Chassagne, 1988). En fait, le temps des bilans sur cette forme de stratégie de développement économique est révolu depuis déjà plusieurs années. Autant en milieu rural (c.f. le texte de B. Vachon) qu'en milieu urbain, le développement, dit par le bas ou endogène, évolue au diapason de l'ensemble de l'économie québécoise, qui comme chacun le sait, s'est profondément transformée ces dernières années.
C'est surtout par sa dynamique entreprenariale que le Québec attire maintenant les regards. En dix ans le nombre de création d'entreprises a quintuplé en passant de 5 045 en 1979 à 24 455 en 1988 alors que, pour la même période, en Ontario, le nombre de nouvelles entreprises n'a fait que doubler. Comme on le devine bien, les PME tiennent le haut du pavé en accaparant 45% des emplois, soit la plus forte proportion au Canada. Cet engouement envers l'émancipation économique à travers la démarche entreprenariale touche également les promoteurs du développement économique communautaire. L'évolution actuelle, moins favorable à l'essor des coopératives ou autres entreprises communautaires, (c.f. déf. infra), se caractérise par la promotion d'entreprises traditionnelles sans toutefois faire perdre de vue le lien entre les objectifs sociaux et ceux de portée strictement économique. C'est la voie adoptée, avec des nuances selon les cas, par les corporations de développement économique et communautaire (CDEC) de Montréal auxquelles ce chapitre consacre l'essentiel de son attention.
C'est donc à une histoire bien récente que l'on se rapporte ici puisque la première CDEC, le Projet économique de Pointe-Saint-Charles c.f. infra ) a été crée en 1984. Avant cet avènement, nous partageons l'opinion de J.-M. Fontan (1988) pour qui, à Montréal, rien ne se passe en ce qui regarde le développement communautaire. Bien sûr, un imposant travail d'animation sociale à la fin des années 60 a donné lieu à un nombre impressionnant de comités de citoyens ou d'organisations populaires (grass roots organizations) de tous genres, fortement imprégnés de valeurs idéologiques. Mais rien de bien structuré sur le plan économique n'a émergé de façon vraiment significative si l'on fait abstraction des coopératives de consommation et d'habitation.
Or, les années 80 devaient favoriser l'avèment d'une approche plus pragmatique de l'action communautaire. La finalité économique ou marchande, traditionnellement boudée par les activistes des milieux communautaires, allait prendre un aspect différent à la faveur d'une attention particulière envers la démarche entrepreneuriale. Davantage soucieux de la problématique du développement, les groupes communautaires vont se situer sur deux terrains: celui de l'emploi ou de l'employablilité ou encore de l'entrepreneuriat local avec en plus une attention envers le logement, l'aménagement du territoire et celui se rapportant aux besoins des citoyens les plus démunis (Hamel. 1989).
C'est donc aux interventions touchant l'emploi et l'employabilité que les pages suivantes se rapportent en mettant en évidence à la fois leur nature, leur importance, leurs limites, les inquiétudes qui les accompagnent et les mises en gardes formulées par différents observateurs. Les initiatives qui émanent des CDEC sont-elles autant de verres d'eau jetés dans l'océan des activités économiques, susceptibles de se répéter le temps que dureront les appuis financiers consentis par différents programmes gouvernementaux? Ou, au contraire, les réalisations des dernières années offrent-elles une garantie de la pérennité de cette nouvelle stratégie de développement communautaire?
Après avoir brossé un tableau de la précarité de la situation économique de la ville de Montréal, une vue d'ensemble des activité des trois CDEC pionnières cherchera à répondre à ces interogations. Une attention particulière est consacrée envers la CDEC Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal en vertu, d'une part, de ses nombreuses réalisations durant ses sept années d'existence et, paradoxalement, d'autre part, en vertu de la crise qui l'affecte au moment d'écrite ces lignes* . L'importance du débat actuel oblige la mise en évidence du très sérieux conflit entre les partisans d'un développement communautaire «pur et dur», c'est à dire avant tout orienté vers des objectifs sociaux et ceux, plus pragmatiques, qui considèrent que la création ou la consolidation d'emplois représente le meilleur moyen de lutte contre la pauvreté. En soulignant la différence entre deux conceptions du développement économique communautaire, le lecteur verra la position privilégiée par l'auteur à la faveur de ses observations au fil des années, à travers le Québec et à l'étranger.
Enfin, un aperçu de diverses initiatives qui ont pris leur envol ces dernières années, et qui demeurent aujourd'hui bien vivantes, vise à fournir une vue d'ensemble d'activités communautaires mises en oeuvre dans l'est de Montréal.
L'aggravation de la situation économique
Si la précarité des conditions de vie qui prévalait dans dans les quartiers déshérités de plusieurs grandes villes américaines a été le ferment de l'émergence des premières Community Development Corporations, il en va de même avec l'exemple montréalais. Car le dynamisme affiché par l'entreprenariat québécois est bien insuffisant pour épargner Montréal du fléau du chômage et de la pauvreté qui l'accompagne. Au début de 1993, le taux de chômage était de 13,6% (10,1% à Toronto, le graphique 1 montre l'écart entre les deux villes depuis 1975) et dépasse les 20% dans les quartiers considérés dans ce chapitre. Avec les quelques 15% de son million d'habitants vivant de l'assistance sociale, c'est près d'une personne active sur trois qui est sans emploi. En fait, comme le révèlent les chiffres de Statistique Canada, publiés au printemps 93, 22% de la population de Montréal vit sous le seuil de la pauvreté, plus que toute autre ville au Canada. Alors que le revenu moyen par famille atteint 59 450$ à Toronto, une famille montréalaise, en moyenne, ne compte que sur un revenu de 43 405$. Montraél se classe au 18ème rang au pays à ce chapitre, derrière Saint-John, Terre-Neuve(47 670$) (Paré, 1993). Un quart de la population a comme baggage académique moins que la 9ème année. Dans le quartier Pointe-Saint-Charles où fut implantée la première CDEC, un adulte sur trois est un illettré fonctionnel.
La persistance, voire, l'aggravation du problème du sous-emploi oblige à faire flèche de tout bois en recourant à toutes les avenues possibles.
La figure 1 présente quelques uns des quartiers considérés dans ce chapitre où se trouve une population fortement éprouvée par les difficultés économiques (Centre; Sud-ouest, Plateau-Mont-Royal/Centre-sud; Hochelaga-Maisonneuve). Une étude commandée par la ville de Montréal révèle que: «Cette aire de pauvreté se caractérise par une grande diversité socio-démographique, mais de laquelle on peut néanmoins dégager les principaux traits suivants: taux relativement élevé de personnes seules; faible scolarisation; importance de la population "ethnique"; forte proportion de chômeurs et chômeuses et de travailleurs et travailleuses oeuvrant dans les activités manufacturières à faible productivité et dans les services à la consommation; phénomène de bipolarisation sociale dans le Centre, le Centre-Sud et le Plateau Mont-Royal» (Hamelin et Morin, 1989). En fait, c'est bien à l'accroissement des disparités entre les mieux nantis et les moins favorisés que l'on assiste à l'image de ce qui s'observe sous d'autres cieux.
L'accession au pouvoir municipal, en 1986, du Rassemblement des Citoyens de Montréal fut l'occasion de faire le point sur différentes stratégies susceptibles d'exercer un impact favorable sur la création d'emplois. Il y avait tout lieu de s'attendre à un préjugé plus que favorable envers une forme de développement économique appuyée sur la volonté et les potentialités locales. Or, l'essentiel de l'orientation suivie par la nouvelle administration a consisté à donner suite à une forme de virage néo-corporatisme, tel qu'on l'observe dans plusieurs villes nord-américaines. Il s'agit d'une approche caractérisée par un type de partenariat entre les grandes entreprises et les divers paliers gouvernementaux. Dans cet esprit, un rapport du Comité consultatif sur le développement de la région de Montréal mettait l'accent sur la nécessité de recourir à la haute technologie, les pouvoirs financiers des grand groupes, le commerce international, sur certains secteurs de pointe pour lesquels Montréal jouit d'avantages comparatifs (les transports, le design, la culture). En 1988, la Chambre de commerce de Montréal publiait à son tour paraître l'énoncé d'une "Stratégie de développement économique pour Montréal" qui, à nouveau, attirera l'attention sur l'internationalisation de l'économie. C'est dans ce contexte qu'ont dû agir les acteurs du mouvement communautaire et en particulier les trois premières CDEC dont la vision se situait aux antipodes de celle décrite ci-dessus (Hamel, 1989a et 1990).
Heureusement pour les partisans d'une approche alternative, à l'aube des années 90, les dispositions des autorités municipales envers les interventions économiques communautaires s'affirment de façon non équivoque puisque l'on reconnaît la pertinence des «efforts de concertation et de planification entrepris par l'ensemble des partenaires de tous les secteurs (gouvernement, privé, syndical et communautaire) afin de développer l'économie d'un micro-territoire sous la responsabilité de la communauté locale (IFDEQ, 1989; Ville de Montréal, 1990). En fait, on semble admettre que: «Le développement économique communautaire permet de lever les obstacles qui empêchent les plus démunis à recevoir les informations qui leur sont destinées. En ce sens, les organismes communautaires, telles les CDEC, constituent un chaînon indispensable» (Hamelin et Morin, 1989).
L'approche utilisée
La forme que prennent les interventions communautaires se situe dans le cadre défini par David Douglas dans le premier chapitre de cet ouvrage. Les actions menées par les CDEC correspondent bien à la conception généralement acceptée du développement économique communautaire: la promotion d'emplois pour des catégories particulières de travailleurs, la recherche d'une meilleure maîtrise de l'économie locale, la satisfaction d'intérêts collectifs, la mise en commun des contributions de différents partenaires sociaux. Par ailleurs, contrairement à ce qui s'observe dans d'autres régions du Québec, en particulier dans la région des Bois/Francs, ou encore dans dans certains quartiers de grandes villes américaines, la promotion d'entreprises non-traditionnelles, telles que les coopératives ou les organismes à but non lucratif (dotée d'une vocation marchande) n'occupe pas une part importante parmi l'ensemble des initiatives mises de l'avant. Dans ces conditions, la définition fournie par une représentante du Centre de développement économique communautaire du Grand-Plateau*, créée en 1989, soulève quelques ambiguïtés sur la nature exacte des interventions favorisées. D'après cette intervenante, le développement économique communautaire, associe l'économie traditionnelle (axée sur le profit et qui est le fait des entrepreneurs et des promoteurs) à des actions destinées à l'amélioration des conditions de vie d'une communauté et à favoriser une plus grande responsabilité de cette dernière. Les objectifs de cet organisme communautaire du Grand-Plateau se rapportaient donc à l'assistance de certaines couches de la population en développant, entre autres, des projets d'entreprises communautaires à la faveur d'appuis collectifs et financiers (Lanno, 1990). Or, que recouvre le vocable «entreprise communautaire»?
W. Ninnacs (1990), fier de l'expérience vécue dans les Bois/Francs, distingue les entreprises communautaires des entreprises traditionnelles à partir de différents éléments tels que:
- la volonté de la part d'une collectivité de générer des activités utiles dont les retombées sont à la fois économiques et sociales;
- la recherche d'une réponse à des besoins identifiés par leurs membres;
- la mise en opération d'une gestion participative;
- la promotion dans leur structure et leur pratique de valeurs de justice sociale visant l'élimination de la discrimination et de l'oppression(...)
Ce sont là autant de caractéristiques qui permettent le lien entre ce type d'entreprise et celles désignés par nos travaux à l'aide de l'étiquette "entreprise alternative" (Joyal et Bhérer 1987, Joyal 1989a, 1989b). En effet, l'association entre les finalités sociale et économique, la démocratisation de la gestion, la recherche de la rentabilité sans prétention d'enrichissement et la fourniture de biens et services en réponse aux besoins des membres ou de la population en général permettent un rapprochement sans aucune équivoque.
Cependant, en sachant que le développement économique communautaire au Québec a pris son essor dans les régions périphériques, il ne faut pas se surprendre si les entreprises alternatives à Montréal n'occupent pas une place proportionnelle à l'importance économique de la ville. Et parmi celles-ci, à l'image de ce que permet l'observation des faits à travers le Québec, l'on constate une grande diversité dans la performance, dans l'évolution des objectifs, dans la formation des employés, dans les marchés visés, dans le type de gestion favorisé, dans les salaires générés, dans les relations avec le milieu environnant, dans l'importance du travail non rémunéré, etc. Il a bien fallu convenir qu'il n'était pas facile de «vivre et travailler autrement».
En conséquence, comme on l'observe depuis quelques années, beaucoup de coopératives (ou d'entreprises communautaires) optent en faveur de la privatisation au détriment d'une partie de leur finalité sociale. D'ailleurs, nos travaux avaient fait ressortir la nécessité pour bon nombre d'entreprises de diluer leur vocation alternative afin de mieux faire face aux exigences du marché. De tels remaniements dans le mode de fonctionnement ou dans les objectifs poursuivis ne s'associent toutefois pas à des revirements idéologiques majeurs dans la mesure où les acteurs de ces entreprises évitent les travers (trop grande division des tâches, absence de participation aux profits et aux décisions, absence d'équité salariale, etc.) qui, hélas, marquent encore trop souvent l'entreprise traditionnelle malgré l'assimilation graduelle des valeurs humanistes. Une approche imprégnée d'un plus grand pragmatisme ne doit donc faire croire en une montée du désintéressement envers le développement communautaire.
C'est d'ailleurs l'avis de L. Favreau (1989; 1990) qui formule l'hypothèse que le mouvement populaire, le fer de lance de l'économie communautaire, n'est pas dans une période de démobilisation mais de transformation, il n'est pas en déclin mais en mutation dans ses composantes, dans sa manière d'être et dans ses champs d'intervention. Ces derniers ont été trop nombreux et variés durant les vingt dernières années, à Montréal plus particulièrement, pour qu'aujourd'hui l'on n'assiste pas, à de nouvelles manifestations sous une forme ou une autre. Même si bon nombre de groupes paraissent éloignés des positions qualifiées naguère de révolutionnaires, l'on est surtout en présence d'un tassement au centre plutôt que d'un virage à droite. En fait, le mouvement populaire et communautaire québécois a gagné du terrain par la reconnaissance de son efficacité spécifique et ceci grâce à des coalitions plus larges et à un cadre organisationnel plus structurée qui lui confère un caractère moins subversif et plus sage. En conséquence, en relation avec les sections suivantes, nous appuyons avec quelques nuances les trois propositions que formule L. Favreau (1989a):
- A Montréal émerge une stratégie économique dont l'axe principal est un développement économique local différent de celui du secteur privé et de celui du secteur public;
- Ce développement a pris naissance dans les quartiers populaires montréalais qui disposaient du plus fort actif d'organisations populaires et communautaires de la région (en nombre et en années d'enracinement, soit près de 25 ans);
- L'aide financière de l'Etat, dans ces conditions, est apparue comme un levier de démarrage plus que comme un frein au changement social.
C'est un point de vue que semble partager J.-M. Fontan pour qui, le travail d'animation sociale de la fin des années 60, lequel était principalement orienté autour de l'organisation de collectifs à caractère revendicatif et autour d'enjeux politiques, laisse place à une orientation plus pragmatique de l'activisme communautaire (IFDEQ,1991a). Ces dernières observations s'avèrent indispensables pour comprendre le rôle grandissant exercé depuis quelques années par les CDEC implantées dans les quartiers populaires de la ville.
La contribution des CDEC et autres organismes communautaires
C'est dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, au sud-ouest de la ville (figure 2) qu'est née en 1984 la première CEDC connue sous le nom de Programme économique de Pointe-Saint-Charles (PEP). Le PEP se définissait comme une corporation sans but lucratif ayant pour objet de permettre à la population du quartier d'entreprendre son développement économique communautaire en vue d'améliorer ses conditions de vie. De 30 000 qu'elle était au début des années 40, la population du quartier, quarante ans plus tard, est passée à 14 000, la chute ayant surtout été spectaculaire durant les vingt dernières années suite à l'avènement de la nouvelle division internationale du travail. A ce facteur s'ajoute le déplacement d'une partie de la population vers les banlieues où de nouvelles activités industrielles ont fait leur apparition. De ces changements résulte un dépérissement que reflètent très bien les indicateurs socio-économiques: 50% de la population vit de l'assurance-chômage ou de l'aide sociale et plus de 40% des familles ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté.
La précarité de la situation va conduire les animateurs (entre autres, un ancien prêtre ouvrier au Chili et une activiste féministe à l'emploi du YWCA et divers acteurs impliqués de longue date dans l'action communautaire) du PEP à concevoir une «nouvelle stratégie de développement économique pour un quartier urbain.» Cette dernière a pris son appui sur trois composantes:
- l'utilisation des ressources humaines du quartier en offrant des programmes de formation à ceux qui démontrent un intérêt et des aptitudes envers l'entrepreneuriat;
- l'encadrement de ces derniers en vue de les accompagner dans le cheminement de leur projet de création d'entreprise;
- le recours à l'aide financière de l'Etat, ce dernier devenant davantage un partenaire qu'un simple pourvoyeur de financement. Si l'Office de planification et de développement du Québec (OPDQ)* allait devenir le principal bailleur de fonds, le PEP comme les autres CEDC, va bénéficier de l'apport de la contribution des trois grands paliers gouvernementaux pour ajouter aux composantes de sa stratégie deux autres éléments. Le premier se rapporte à la concertation entre les autres intervenants du milieu (groupes communautaires, syndicats) et les autres acteurs du développement économique (entreprises et réseaux financiers). Le second élément de la stratégie concerne l'aménagement du territoire en ayant en vue l'harmonisation du développement économique et social avec les besoins et les désirs des résidents à travers l'accroissement du contrôle local.
L'importance accordée à la finalité sociale des interventions des trois premières CDEC va forcer les autorités gouvernementales à accepter une formule de soutien financier non dégressif tout en fournissant une tranche annuelle de 100 000$ à chacune des corporations pour alimenter un Fonds d'investissement régional devant permettre la fourniture de capital de risque.
En ce qui regarde le PEP, pour comprendre sa réorientation, il est intéressant de considérer le bilan des années 1988-90 au chapitre du développement des entreprises et de l'emploi. Celui-ci montre que 74 entreprises ont été aidées. La majorité des interventions ont porté sur le démarrage de projets. Parmi celles-ci, on ne compte que cinq entreprises coopératives, autant d'organismes sans but lucratif et une seule entreprise caractérisée par une gestion participative. Ces derniers chiffres, qui ne nous surprennent pas, font comprendre la nécessité de devoir aborder, tel que signalé plus haut, l'intervention communautaire sous un angle pratique à l'abri des préjugés négatifs envers l'entreprise traditionnelle. En terme d'emplois, 79 ont été créés avec l'espoir de doubler ce nombre dans un proche avenir et 108 autres ont pu être consolidés. Cependant, l'impossibilité d'amorcer une relance économique adaptée aux besoins de la population la plus démunie par la simple création d'emplois et d'entreprises a obligé d'accorder la priorité à la dimension "employabilité". En deux ans, plus de 350 personnes furent rejointes et, si seulement un dixième de celles-ci purent être placées dans les entreprises existantes, près d'une centaine ont amorcé des démarches de formation générale ou professionnelle et une quarantaine furent orientées vers une formation spécifique en vue d'intégrer le marché du travail. Les résultats obtenus ont été jugés suffisamment favorables pour inciter les différents paliers gouvernementaux à étendre ce type d'intervention à l'ensemble du sud-ouest de la ville.
En effet, à l'image de ce qui s'est passé dans l'est de la ville (c.f. infra), le Comité de relance économique et de l'emploi du sud-ouest de Montréal (CREESOM) regroupant des représentants du monde du travail (privé, public, syndical et communautaire) fut constitué en 1989 afin de contrer l'aggravation de la situation socio-économique suite à la fermeture de plusieurs usines. La reconnaissance de l'action menée par le PEP a conduit les membres du CREESOM à proposer que son champ d'intervention couvre une plus grande étendue de territoire soit lescinq quartiers qui forment l'arrondissement sud-ouest. Ainsi est né, en remplacement du PEP, le regroupement pour la Relance Economique et sociale du Sud-Ouest (RESO) dont la mission, à l'image des autres CDEC, consiste à exercer plusieurs rôles:
- un rôle d'agent de concertation du milieu;
- un rôle d'intervenant pour le développement de la capacité de travail et l'insertion des sans emploi;
- un rôle de soutien aux entreprises en démarrage ou en existence.
Leur réalisation devait être assurée grâce à la contribution des différents paliers gouvernementaux qui accorde au RESO un montant approximatif d'un million $ pour l'année 90-91(Fontan, 1991a).
Comme pour les autres CDEC, le conseil d'administration se caractérise par le maintien d'un équilibre entre les représentants des milieux sociaux (communautaires et syndicats) et les représentants du milieu des affaires (entreprises et institutions financières). Les membres du conseil sont choisis par collèges électoraux qui ont pour fonction de maintenir le lien entre la CDEC et la communauté environnante.
La solidification de ses bases, à partir de 1990 et l'offre de différents services se sont traduits par une croissance sensible du nombre d'employés du RESO qui à la fin de 1992 comptait 20 employés permanents en plus d'une vingtaine sur une base temporaire. C'est ce qui a permis, sur une période de deux ans, de rejoindre 1 300 personnes par le biais des différents services visant l'élévation du degré d'employabilité des personnes victimes du sous-emploi. Quant au volet «services aux entreprises», il a permis de rejoindre plus de 200 entreprises manufacturières afin de tenter de leur fournir les appuis requis en vue de leur consolidation. Mais, s'il s'agit là de contacts utiles pour mieux connaitre les besoins du monde des affaires de l'arrondissement, la CDEC n'offre pas à ce chapitre des résultats spectaculaires, ce qui semble avoir conduit à une réorientation partielle de sa mission.
En effet, un document de l'Institut de formation en développement économique communautaire (IFDEC)* mentionne que si les champs d'activité sont les mêmes depuis sa création, les objectifs de la CDEC, eux, ont passablement varié. On précise que les activités du PEP s'étaient d'abord orientées vers la création de petites entreprises par les personnes sans-emploi du quartier. Or, cette voie serait apparue rapidement difficile à soutenir. On reconnaît que très peu de projets ont survécu soit en raison de carences au niveau de la formation des entrepreneurs, soit en raison du secteur d'activité choisi. A ce constat, imprégné d'une certaine lucidité, s'ajoute l'influence d'une vision fortement idéologique qui a conduit les leaders du secteur du communautaire du Sud-Ouest à s'interroger sur l'opportunité d'offrir des services aux entreprises privées. Une interrogation qui a conduit à discréditer (pour ne pas dire envier) les performance d'une autre CDEC où, à notre avis, les interventions en développement économique communautaire connaissaient, depuis sa création en 1985, les résultats les plus significatifs.
Un environnement plus favorable en termes de potentialités à mettre en valeur que dans le Sud-Ouest, ainsi que le dynamisme et la clairvoyance des responsables de cette autre CDEC - qui ont su tirer profit de l'action partenariale - ont contribué à donner une image nouvelle de l'action communautaire. Celle-ci, par un juste dosage d'objectifs sociaux et économiques était appelée à perdre son statut de parent pauvre de l'ensemble du système économique. Seule une vision doctrinaire du développement économique, faisant fi du pragmatisme ou de la sagesse déjà évoquée, conduit à jeter des doutes sur la pertinence de l'approche privilégiée par la CEDC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal.
Son action, aurait dû parfaitement s'harmoniser avec un autre organisme du même quartier (le Centre d'innovation en développement économique local) de création récente, qui, pour sa part, favorise une démarche associée de très près à l'économie alternative ou communautaire, telle que conçue habituellement (un accent plus fort sur des objectifs à portée sociale).
A) La CDEC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal
Au moment de sa création, un an après le PEP, le territoire de cette CDEC ne comprenait que le centre-sud de la ville où un cinquième des 38 000 habitants du quartier vivait sous le seuil de la pauvreté alors que pas moins de 41% des familles n'avaient que les prestations du gouvernement comme source de revenu. La perte de 3 000 emplois suite à la fermeture de plusieurs dizaines d'usines, ajoutée à ceux enregistrées par les grandes entreprises toujours en activité, témoignent des difficultés d'une situation pour une population également affectée par une forte hausse des loyers occasionnée par un important mouvement de «gentrification». Pour faire face à une telle évolution, la création de petites entreprises et le développement de l'emploi et de l'employabilité reçurent la priorité dans le plan d'action de la CDEC. Après seulement trois ans, ses différentes interventions avaient facilité la création de 700 emplois et le démarrage de 400 entreprises. Le succès remporté par la tenue annuelle du concours "Entrepreneurship" illustre parfaitement le dynamisme de l'organisme.
En effet, pas moins de 680 entreprises ont participé à cette activité durant les cinq années pendant lesquelles ce concours a existé. Destiné à favoriser l'essor des petites entreprises, ce concours fit appel à la contribution d'une dizaine de partenaires susceptibles de fournir une assistance financière et technique: grandes entreprises, institutions financières, maisons d'enseignement et organismes gouvernementaux. Ainsi, 123 000$ ont été versés en bourses et 326 895$ furent accordés en prix par des entreprises privées. Ce concours fut également l'occasion de faire connaître le Service d'aide aux entreprises (SAE) qui, de juillet 1989 à la fin de 1992, a pu recourir en particulier à une clinique mobile.
Cette clinique itinérante couvrait l'arrondissement auquel appartient la CDEC. La carte no2 montre que le quartier Plateau Mont-Royal s'ajoute maintenant à celui du Centre-Sud ce qui, avec 125 000 habitants, représente une population équivalente à celle de l'île du Prince-Edouard (avec sensiblement les mêmes problèmes...). Une fois une entreprise démarrée avec l'aide des bons offices du SAE, la clinique mobile devenait l'outil par excellence pour assurer le suivi des première étapes de son évolution. Suite à une identification des forces et faiblesses d'une entreprise, des interventions étaient proposées concernant différentes fonctions telles le marketing, la comptabilité, la gestion des ressources humaines, etc. La Clinique intervenait également dans le domaine de la consolidation de l'emploi par la formation dispensée à l'intérieur des entreprises suivant les problèmes identifiés. Dès sa première année, la clinique mobile présentait les résultats suivants: 101 entreprises avaient été contactées permettant la consolidation de 422 emplois et la création de 163 nouveaux emplois. Durant cette même période, seulement 10 entreprises ont dû fermer leurs portes. Bien sûr, ce service n'était pas toujours l'élément déterminant dans l'obtention de ces résultats mais son action a pu jouer un rôle catalyseur non négligeable. Ses interventions pouvaient également conduire à la fourniture d'une assistance financière par l'intermédiaire du Fonds de développement Emploi-Montréal (FDEM) dont la Corporation est actionnaire au même titre que les autres CDEC de la ville. Malheureusement, une décision ministérielle, à l'automne 1992, n'ayant rien à voir avec la performance de ce service, a privé la CDEC d'un important appui financier l'obligeant à réduire son personnel permanent de 23 à 13 employés.
S'ajoutant au Fonds d'investissement régional auquel l'OPDQ était le seul fournisseur, le FDEM a été créé en décembre 1987 afin de fournir du capital de risque en vue de faciliter l'implantation et le développement d'entreprises sur l'ensemble du territoire de la ville avec une attention particulière pour les quartiers défavorisés. La ville de Montréal, le Fonds de solidarité des travailleurs de la Fédération des Travailleurs du Québec et la Société de développement industriel du Québec sont les autres partenaires de ce fonds dont les actifs s'élevaient à près de deux millions de dollars à la fin de 1990. Les prêts consentis (sous la forme de prêts participatifs et parfois de prêts garantis) varient entre 18 000$ et 85 000$. Ils sont consentis au taux de la Société de développement industriel moins 1%.* Pour sa part, la Corporation, en deux ans, avait consenti une aide financière à six entreprises pour un montant total de 224 500$. Un allégement des procédures dans les cas où la demande est inférieure à 25 000$ devrait contribuer à accroître le nombre d'entreprises assistées dans le futur.
Si ces différentes manifestations relèvent davantage du développement local que du développement économique communautaire tel que pratiqué dans le Québec rural dans les années 70 (Joyal,1993), une initiative davantage associée à l'économie alternative mérite plus particulièrement d'être signalée. Grâce au programme d'Emploi et Immigration Canada «Formation sur mesure en établissement», et de la Commission de la formation professionnelle, dans le cadre du volet «employabilité», un projet d'atelier de couture dans le domaine de la confection haut de gamme a été mis sur pied. L'amorce du projet a fait suite à une rencontre avec un groupe de dix femmes chefs de famille monoparentale, dépendantes de l'assistance sociale, dotées d'aptitudes à la couture et disposées à acquérir une formation susceptible de conduire à la création d'un atelier ou à l'obtention d'un emploi auprès d'un designer local. Sur une période de douze mois, les objectifs spécifiques, en plus de la familiarisation avec la technologie de la couture, ont visé l'adaptation aux besoins des designers québécois et la stimulation de l'esprit entrepreneurial des participantes. Ainsi, la formation en couture a touché à différents aspects tels que le portrait des designers québécois, les techniques industrielles, la confection entière de vêtements, et les besoins de la clientèle. Quant à la formation en gestion, les différents thèmes traités ont concerné le marché du haut de gamme, le montage d'un plan d'affaires, les aspects juridiques, la recherche de financement et la visite d'entreprises innovatrices (CDEC-Centre-Sud,1990). Au terme de leur stage, avec l'appui de la Coopérative régionale de Montréal-Laval, quatre femmes ont créé la coopérative de travail l'Escarboucle*. Le bilan des activités pour l'année 1990 exagère à peine en qualifiant cette première expérience de formation professionnelle comme un succès sans précédent (CDEC-Centre-Sud-Plateau-Mont-Royal,1991). Fière de cette réalisation, la Corporation a invité un autre groupe de femmes, au début de 1991 à entreprendre à leur tour un cycle de formation similaire grâce, cette fois, au programme «réintégration professionnelle» d'Emploi et Immigration qui fournit un montant de 167 000$.
Après une année d'activités, l'Escarboucle, à bout de souffle, a dû jeter l'éponge. La formule coopérative s'est avérée trop exigente pour des femmes qui ont souhaité offrir leurs services à un employeur local plutôt que d'avoir à assumer la double responsabilité que représentent la gestion et la production. Le sort de cette coopérative ne surprend pas lorsqu'on observe une évolution similaire un peu partout à travers le Québec. La formule coopérative, de par ses exigences particulières, doit être envisagée avec beaucoup de circonspection et ne doit surtout pas être favorisée sur la seule base de préjugés négatifs entretenus à l'encontre de l'entreprise privée. Dans son ensemble, l'expérience est bien plus positive que les apparences laissent croire puisque pas moins de 34 femmes ont ainsi pu bénéficier, grâce à ce programme, d'une amélioration de leur degré d'employabilité.
Parmi les autres mandats de la Corporation, il importe de mentionner la responsabilité, confiée par la Commission d'initiative et de développement culturel de la ville, d'implanter un incubateur pour les entreprises culturelles. Ce projet devrait engager de la part des différents gouvernements un somme approchant les 400 000$. Pour obtenir ce mandat, la Corporation a dû se mesurer à la concurrence de six firmes spécialisées qui avaient également présenté une étude de pré-faisabilité sur l'opportunité de venir en aide à des travailleurs dédiés à des activités de création, de production et de diffusion. On sait que l'industrie culturelle est surtout composée d'artistes qui, pour être parfois d'excellents créateurs manifestent peu d'intérêt pour la gestion. Il s'agira donc, encore une fois, de favoriser la création d'emplois par l'accompagnement des entrepreneurs culturels en leur offrant des services adaptés à leurs besoins tels que le financement, les conseils de gestion, le soutien à la diffusion et à la promotion, la fourniture de locaux et d'équipements. Au début de 1993, ce dossier était toujours à l'étude avec, cependant, de bonnes chances de réalisation.
Il ne devrait pas y avoir d'opposition entre l'approche privilégiée ici et celle qui se veut plus communautaire autant par les acteurs concernés que par le type d'entreprise favorisé. En conséquence, il importe de porter attention à un autre organisme créé en 1987, le Centre de développement économique communautaire du Grand-Plateau qui, pour ne pas être confondu avec l'organisme précédent a été invité récemment à modifier son appellation pour devenir le Centre d'innovation en développement économique local (CIDEL). Le Grand-Plateau comprend une population légèrement inférieure à 100 000 habitants. En 1986, 30% des ménages avaient un revenu annuel inférieur à 10 000$, 27% entre 10 et 19 000$, 18% entre 20 et 29 000$ et 25 % au-dessus de 30 000$. Ces données font comprendre l'urgence de réagir face aux problèmes socio-économiques qui découlent de cette situation
B) Le Centre d'innovation de développement économique local
Le Centre résulte d'un regroupement d'organismes sensibilisés aux problèmes de la pauvreté dont certains se consacrent plus particulièrement à la promotion des intérêts des minorités ethniques. En s'inspirant à leur tour d'expériences communautaires vécues dans la région du bas du Fleuve Saint-Laurent et dans certaines villes américaines, l'idée est venue d'entreprendre des actions de sensibilisation en vue de favoriser une plus grande responsabilité des populations affectées par les aléas de la mutation économique. Pour les animateurs du Centre, le développement économique communautaire se réfère à une stratégie globale visant le développement des ressources locales au moyen d'une structure démocratique, non hiérarchisée qui offre aussi une expertise et un soutien à la communauté, en explorant tous les modes de financement disponibles. On y voit également un mouvement d'entraide collective qui favorise diverses formes de pratiques économiques alternatives se rapportant à l'entrepreneuriat collectif et aux micro-entreprises. La prise en charge et l'approche collective et associative, i.e. une approche qui repose avant tout sur le groupe et non sur la personne, s'avèrent les deux grandes composantes de la mission du Centre (Centre d'innovation de développement économique local,1991).
Les clientèles cibles privilégiées sont: les femmes à la tête d'une famille monoparentale, les immigrants et les réfugiés, les bénéficiaires de l'assistance sociale et les jeunes sans-emploi. Les deux dernière catégories, nous l'avons vu, font également partie des préoccupations de la CDEC de ce quartier. Ce n'est pas là la seule ressemblance puisque les objectifs définis par le Centre touchent la concertation avec d'autres acteurs de la communauté et l'insertion sociale par l'économique à la faveur d'interventions visant l'élévation du degré d'employabilité. Enfin, un dernier objectif vise le soutien aux initiatives économiques dotées d'une finalité à la fois sociale et économique (ce qui autorise ici la référence à des entreprises alternatives).
Mais, avant de penser à soutenir des projets de création d'entreprises, le Centre met de l'avant un programme - qui lui est particulier- de pré-employabilité par la promotion de mesures visant à favoriser l'intégration sociale des plus démunis. On cherche ainsi à briser l'isolement, à développer l'estime de soi, à favoriser l'apprentissage du travail en groupe et, dans certains cas, à améliorer la compréhension et l'utilisation du français. La mise sur pied d'une cuisine collective* sert d'exemple d'initiative susceptible de développer des habiletés qui serviront par la suite lors de la recherche d'un emploi.
Mais comme la création d'emplois à travers la micro-entreprise fait également partie des préoccupations du Centre, c'est par la mise en valeur de potentialités développées au sein de l'économie informelle que l'on cherche à atteindre cet objectif. En ayant en tête l'émergence d'activités susceptibles de créer de un à quatre emplois, on a eu recours à un projet de financement inspiré d'une expérience vécue au Bengladesh (et qui ressemble fort aux fameuses tontines de l'Afrique de l'Ouest) et mis en pratique dans certaines villes américaines. Il s'agit de Cercles d'emprunt dont le démarrage a été facilité à l'aube de l'année 1991 par le «Programme de soutien aux initiatives locales» de la ville. Chaque cercle est composé de quatre à sept personnes qui ont fait l'objet d'un examen préalable afin de s'assurer d eleur fiabilité.. Les emprunteurs se réunissent afin de bénéficier de séances de formation pouvant conduire chacun des participants à créer ou consolider sa micro-entreprise. Pour y parvenir, le groupe fait l'étude des plans d'affaires, des besoins de financement, des questions touchant la production et la mise en marché. Des prêts allant de 100$ à 2 000$ sont accordés sans l'exigence de garanties ou d'endosseurs. Les secteurs d'activité considérés sont ceux qui, dans ce quartier comme ailleurs, se prêtent bien à l'économie informelle: la couture, la réparation, la coiffure, le traitement de texte, la fabrication d'objets divers. Pour beaucoup de gens, la simple participation aux activités d'un cercle, même si elle ne débouche pas sur une création d'entreprise formelle, est l'occasion de partager avec d'autres une expérience de nature à faciliter le passage de l'exclusion à l'insertion sociale. Incorporés depuis 1992 sous le nom de Cercles d'emprunts de Montréal, chacun des cinq cercles en existence, impliquant 25 femmes de différentes origines ethniques est surtout financé par par des dons des particulier et l'Association communautaire d'emprunt de montréal (ACEM) créée à la fin de 1989 ave lequel le CIDEL collabore également.
L'ACEM s'occupe du financement et du suivi technique d'initiatives locales de création d'emplois sur l'ensemble du territoire métropolitain. Cette fois, c'est une expérience américaine, plus précisément celle du Institute for Community Economics de Greenfield au Massachussetts qui a servi d'inspiration suite à des échanges entre les deux organismes. Le conseil d'administration de l'ACEM est constitué de onze membres (dont six sont nommés par le Centre). Ceux-ci sont des prêteurs, des emprunteurs et des personnes qui fournissent l'aide technique. Parmi les objectifs généraux de l'ACEM, l'on trouve une volonté de promouvoir le développement d'entreprises viables. Celles-ci ontayant pour mandat de fournir des avantages socio-économiques à des citoyens à faibles revenus et d'influencer les structures traditionnelles de façon à les amener à appuyer les projets des populations marginalisées, et ceci à la faveur de prêts dont les montants varient entre 15 000$ et 20 000$.
D'avril 1990 à mars 1991, l'ACEM, qui occupe à plein temps deux employés (qui ont suivi deux stages de formation: à la National Association of Community Loans Funds et à The Institute for Community Economics), est parvenue à recueillir un montant de 247 000$ répartit comme suit: 135 000$ en capital de prêt, 20 000$ en capital de réserve et 92 000$ pour assurer les frais de fonctionnement. Ce dernier montant a été fourni par la ville et un regroupement d'institutions religieuses. Les autres montants proviennent de différents prêteurs, en particulier la Fondation Laidlaw et le Fonds de solidarité de la Fédération des travailleurs du Québec. Pour l'avenir, comme partenaires supplémentaires, on compte sur d'autres fondations, diverses associations et des organismes gouvernementaux. Autant pour l'analyse des projets à financer que pour la recherche, l'ACEM bénéficie de l'appui de deux grandes firmes et d'une gamme variée d'individus pouvant intervenir à différents niveaux.
Le plan d'action annonce, parmi les objectifs spécifiques, l'octroi de capital de démarrage à au moins deux Cercles d'emprunt (comprenant chacun cinq micro-projets), le financement et l'aide technique à sept projets à caractère individuel et collectif, dont un dans le domaine du logement et venant d'une des populations cibles, et l'aide technique nécessaire au développement des projets ayant déjà reçu des prêts de l'Association. Ces derniers sont au nombre de quatre:
- Bummis: une entreprise qui regroupe trois jeunes mères qui fabriquent des couvre-couches pour les couches en coton réutilisables. Tout en répondant aux besoins financiers de ces travailleuses (finalité économique), l'entreprise offre une solution au problème environnemental occasionné par les couches jetables (finalité sociale);
- Le Centre de Musique Avatra: une petite entreprise qui offre des cours de musique destinés à une clientèle à revenus modestes et axés sur des types musicaux d'origines culturelles variées;
- Un salon de beauté dirigé par une femme immigrée;
- L'Escarboucle: il s'agit de cette ancienne coopérative, spécialisée en confection haut de gamme, formée de mères de famille sous l'instigation de la CDEC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal.
L'octroi d'un prêt de 20 000$ à cette dernière entreprise a soulevé à l'époque les hésitations des responsables de l'Association pour qui l'entrepreneuriat et l'appui aux entreprises apparaissait comme étant un volet relevant davantage de la responsabilité des CDEC. Egalement, l'on s'est interrogé sur l'existence réelle de la finalité sociale d'une entreprise dont les produits se destinent avant tout aux femmes des milierux mieux nantis qu'à celles des quartiers populaires. Mais avec raison, on a admis que l'entreprise en question, en donnant de l'emploi à des responsables de famille, autrefois dépendantes de l'assistance sociale, joignait parfaitement une finalité sociale et économique. Oui, il n'est pas superflu de le rappeler (Joyal, 1989), dans la mesure où une entreprise (de type traditionnel ou pas) n'exploite pas ses travailleurs, qu'elle ne pollue pas et qu'elle ne fabrique pas de produits dangereux, il n'y a pas lieu de lui reprocher de trouver une place au soleil en saisissant les opportunités du marché.
A l'aube de 1993, l'ACEM, avec un capital d'investissement et de réserve de 262 000$, ne présente guère de progrès depuis deux ans. L'objectif d'atteindre un montant de un million de dollars demeure toujours le chiffre magique convoité. Une situation qui explique que bien que 14 projets aient bénéficié de l'appui de l'ACEM, pour un montant totalisant 162 000$, une dizaine d'autres projets (ex. une boulangerie coopérative, une maison pour immigrants, entreprise d'arts graphistes pour bénéficiaires de l'aide sociale) demeurent dans l'attente d'appuis.
Faut-il à nouveau le souligner, l'économie communautaire doit se méfier d'un excès de dogmatisme et demeurer sensible à un pragmatisme de bon aloi. En reconnaissant que pour faire du «bon social» il faut aussi faire du «bon économique», les responsables du Centre et de l'Association se devaient d'accepter de travailler en collaboration avec la CDEC de leur arrondissement. Sans remettre en cause sa spécificité ou les particularités de sa mission, le CIDEL pouvait recevoir les meilleures garanties d'une progression continue vers l'atteinte de ses objectifs.
C'est pourquoi les autorités municipales ont forcé, en juin 1992, la signature d'un protocole d'entente entre la CDEC et le CIDEL. Il s'agissait en fait d'une fusion conduisant à la réalisation de deux plans d'action ce qui n'était pas de nature à se faire sans heurt. En fait, l'opposition entre les partisans du «social» avant tout (idéal véhiculé par le CIDEL et leurs alliés à l'intérieur d'autres CDEC) et ceux privilégiant la démarche entrepreneuriale, telle que mise en branle depuis les tous débuts, a généré un climat organisationnel très difficile à vivre. C'est dans un contexte fortement conflictuel que la CDEC a entrepris son exercice 1992-93.
Le dernier bilan des activités (CDEC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal, 1993) reflète bien cette situation de consolidation de la CDEC qui en plus d'une union forcée a dû souffrir la perte de près d'un tiers de ses effectifs. Néanmoins, on fait part d'engagements dans la concertation locale en relation avec le domaine de l'employabilité. Ainsi, pas moins de 102 personnes ont suivi un stage de formation parmi lesquelles près de la moitié ont pu trouver un emploi. Une école-entreprise, Resto plateau, compte parmi les initiatives dignes de mention. Il s'agit d'un plateau de travail qui offre des cours de formation d'aide cuisinier complétés de sessions en employabilité. Vingt-et-un participants ont suivi une formation de 26 semaines en cuisine d'établissement et 14 autres ont ensuite pris leur relève. Plus de 58% des premiers participants ont par la suite trouvé un emploi. Quant aux services aux entreprises, malgré l'handicap d'une diminution d'effectifs, il a pu répondre à pas moins de 400 demandes d'information. Treize entreprise ont pu recevoir à l'aide du fonds FDEM un montant total de 482 000$ impliquant 73 emplois créés ou consolidés.
Mais l'encre de la première version de ce bilan était à peine sèche qu'une crise majeure, susceptible d'avoir un impact décisif sur l'avenir du développement communautaire à Montréal, vint frapper de plein fouet la CDEC. Sa directrice-générale fut remerciée de ses services, sans ménagement par un conseil d'administration dominé par les «purs et durs» du milieu communautaire. Le tout avait débuté à l'automne 1991 quand, avec tambours et trompettes, les partisans du «social» avant tout sont parvenus à faire élire certains des leurs au conseil d'administration .
De guerre lasse suite à des palabres interminables, trois représentants du collège des affaires ont donné leur démission offrant ainsi au collège communautaire l'occasion de devenir majoritaire après avoir convaincu les plus tièdes de la pertinence de leur approche. Habitué de fonctionner par consensus, le conseil d'administration pour la première fois en est arrivé à procéder par vote majoritaire* ce qui a conduit au licenciement d'une directrice-générale dont le dynamisme et la compétence pouvaient difficilement être constestés. Une décision qui a suscité immédiatement la démission de cinq membres du conseil d'administration, quatre du collège des affaires et un du collège des individus. A celles-ci, s'ajoute celle du président du Conseil, membre de la Fédération des travailleurs du Québec. Dans une lettre commune les démissionnaires affirment: «Nous pouvons constater aujourd'hui que le milieu communautaire veut toute la place détruisant ainsi le liens tissés au fil des ans entre les différents collèges électoraux»(Nouvelles Centre-Sud, 1993).
Suivant l'évolution de cette crise, advenant la victoire définitive des «purs et durs», les CDEC pourront être appelées à gérer la marginalité. Aussi utiles, voire indispensables, que peuvent être les soupes populaires et les centres d'accueil pour les laissés pour compte de la société, le rejet de la démarche entrepreneuriale aura, avec le temps, pour conséquence de confiner le secteur communautaire à la lutte contre les symptômes de la pauvreté plutôt que d'oeuver en faveur des remèdes.
C) Les autres CDEC
Créée en mars 1986, la CDEC Programme d'action-revitalisation Hochelaga-Maisonneuve porte depuis 1990 le nom de Corporation de développement de l'Est (CDEST). Son mandat est le même que celui des deux CDEC précédentes, considérées comme étant de la première génération. Et à l'instar de l'ancien PEP (de Pointe Sainte-Charles), son action dépasse les cadres du quartier populaire où elle s'est installée. Fortement affecté par des fermetures d'entreprises tout au long des années 80, l'est de Montréal s'est vu ainsi éprouvé par un important accroissement du nombre de chômeurs. Peu après la création de la CDEC, le Comité pour la relance de l'économie et de l'emploi de l'Est de Montréal (CREEM) a été constitué en vue de présenter un programme d'actions composé de différents éléments. Celui portant sur la main-d'oeuvre,(à savoir l'identification des besoins de la main-d'oeuvre et des entreprises et à l'aide à l'entrepreneuriat local et aux initiatives de création d'emplois), allait devenir l'une des responsabilités de la Corporation qui était appelée à agir de concert avec un nouvel organisme: la Société de promotion et de concertation socio-économique de l'Est de Montréal (PRO-EST).
L'une des particularités de la CDEC est d'offrir les services d'un guichet multi-services pour l'emploi et la formation. Ainsi un service d'aide et de références pour les programmes gouvernementaux concernant la main-d'oeuvre est à la disposition des intéressés, travailleurs comme employeurs. De même, le guichet unique permet la mise à jour d'une banque de travailleurs disponibles et aptes pour le marché du travail. Enfin, il organise, pour sa clientèle des sans-emploi et selon des besoins déterminés par des employeurs, des sessions de formation intensive.
Comme pour les deux CDEC précédentes, l'assistance offerte par la CDEST aux entreprises comprend différents services: informations et références, conseils, soutien financier, suivi et parrainage.. Enfin, le secteur socio-communautaire constitue le troisième champ d'intervention de la corporation. Les interventions visent à la fois le développement de l'employabilité, l'aménagement du territoire et la santé environnementale. A travers cette fois le fonds régional d'investissment (FRI), différents organismes, dont le Chic Resto-Pop et la station de radio CIBL (c.f. infra), profitent de prêts dont les montant varient entre 7 500 et 18 000$.
La CDEST a réussi à mettre en place des services performants au niveau de la main-d'oeuvre, des petites entreprises de l'est et des organismes communautaires. Le nombre de services rendus, l'achalandage régulier, le financement d'entreprises, le placement de la main-d'oeuvre démontrent la pertincence des actions entreprise aux yeux de l'IFDEC (1992).
Deux autre CDEC, dites de deuxième génération ont été crées en 1990, soit celle de Rosemont/Petite-Patrie et celle de Centre-nord. Enfin, celles de troisième génération, créées respectivement en 1991 et 1992 sont celles d'Ahuntsic-Cartierville et de Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce. Leurs interventions s'inscrivent dans le sillon tracé par les trois pionnières. A propos de ces dernières, P. Hamel (1991) admet qu'elles ont réussi dans une certaine mesure, conformément à leurs ressources disponibles, à atteindre la population inactive de leurs quartiers que les programmes gouvernementaux existant ne parviennent pas à faire. Ensuite, par le biais de la concertation des principaux acteurs socio-économiques, par le soutien direct à l'entreprenariat ou par l'aide à la formation des travailleurs, les CDEC ont créé un climat social favorable à la relance économique et au développement local. Toujours selon cet auteur, même si certains considèrent qu'elles ont encore des preuves à fournir notamment en matière de création d'emplois, elles peuvent invoquer de nombreux arguments, tant économiques que politiques, pour justifier le rôle important qu'elles assument dans leurs quartiers. Reste à voir maintenant comment ce jugement pourra être influencé par les événéments récents survenus au niveau de la direction de la CDEC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal.
D) Autres manifestations de l'économie communautaire
L'isolement constituait dans le passé une des principales difficultés rencontrées par les entreprises communautaires, autant à Montréal que dans le reste du Québec (exception faite de celles de la région des Bois-Francs). Maintenant, avec le développement des CDEC, les entreprises communautaires de Montréal peuvent bénéficier des effets bienfaiteurs que suscite l'appartenance à un réseau de soutien. Tout en conservant leur autonomie, ces entreprises peuvent à l'occasion compter sur différentes formes d'appui de manière à mieux rencontrer leurs objectifs et à mieux assurer leur pérennité. A titre d'illustration, en ce qui regarde le quartier Hochelaga-Maisonneuve, dans l'est de la ville, quelques exemples permettront de comprendre la diversité des interventions caractérisées par une volonté d'utiliser l'approche communautaire en vue de faciliter l'intégration de certaines catégories de travailleurs au marché du travail.
- Le Boulot Vers: au début des années 80, un jeune père de famille, sensible aux problèmes des jeunes sans-emploi, eut l'idée de mettre sur pied une entreprise dont l'objectif viserait à développer la confiance en soi à la faveur d'une première expérience de travail. Informé sur les problèmes de l'inadéquation de certains équipements utilisés dans les garderies, l'idée lui est venue de répondre à certains besoins par la création d'une entreprise sans but lucratif spécialisée dans la fabrication de meubles particuliers. Grâce aux bons résultats obtenus dès le départ, cette initiative n'a pas tardé à bénéficier de l'appui des différents paliers gouvernementaux ainsi que du secteur privé (Ex.: Jonhson et Jonhson, Médiacom, Bell Canada, Ciment Saint-Laurent, Pratt et Whitney Canada Inc.). Ces appuis permettent à chaque année de procurer une activité rémunérée, accompagnée d'un encadrement adéquat, à une cinquantaine de jeunes bénéficiaires de l'assistance sociale ayant quitté l'école prématurément. Tout en s'initiant au dessin industriel, à la production de meubles, au travail de magasinier et de chauffeur-livreur, ces jeunes tirent profit d'un programme de formation sociale, civique et économique. Astreints, la plupart du temps pour la première fois de leur vie, à respecter un horaire de travail normal, les stagiaires font l'objet d'une évaluation périodique et bénéficient d'une méthode dynamique de recherche d'emploi. Une majorité d'entre eux trouve ainsi un travail à la fin de leur stage alors que la plupart des autres opte en faveur d'un retour aux études. L'autofinancement se situe autour de 35% de l'ensemble des revenus de l'entreprise.
- Le Chic Resto-Pop* : inspiré de l'expérience d'un restaurant populaire pour jeunes bénéficiaires de l'aide sociale de la région des Bois-Francs*, ce restaurant communautaire a débuté ses opérations en novembre 1984 à l'instigation d'une intervenante communautaire à l'époque à l'emploi d'une association pour la défense des droits sociaux. La récupération d'aliments sains auprès de différents chaînes alimentaires et la préparation d'environ deux cents repas par jours, vendus à faibles prix aux sans-emploi, permet, à chaque année, de fournir une expérience de travail rémunéré à environ une trentaine de jeunes.
- Radio-CIBL: créée à l'instigation d'un jeune spécialiste de la communication, cette station MF a eu pour premier objectif de se faire le porte-parole des groupes communautaires du quartier. Installée dans les locaux aménagés d'une ancienne école privée** , cette station a orienté sa vocation vers l'action culturelle avec comme intention de rejoindre une plus grande audience. La perte de vitesse et d'influence du mouvement populaire et les changements de préoccupations de certains leaders sociaux expliqueraient cette stratégie. Ainsi, au moment de notre passage sur les lieux, une demi-douzaine d'employés, dont le salaire reposait sur les revenus de publicité et de subventions diverses, tiraient profit d'une expérience enrichissante.
- La Puce communautaire: voilà un bel exemple de l'orientation entrepreneuriale que tend à prendre de plus en plus l'économie communautaire de la métropole du Québec. On connaît la force grandissante en Amérique du nord de l'entreprenariat féminin. Or cette initiative, qui a vu le jour en 1984, grâce à l'acharnement de quatre femmes, en constitue une belle illustration. Croyant à leur rêve d'accéder à l'autonomie par l'utilisation des nouvelles technologies reliées à l'informatique, elles ont créé un organisme sans but lucratif. La Puce, qui rémunère un personnel composé d'une quinzaine de travailleurs, vise à favoriser une appropriation de l'outil informatique par le public en général en portant une attention particulière aux femmes et aux groupes populaires. L'approche utilisée fut centrée dès le départ sur les besoins des participants dans leur démarche d'apprentissage. Par la suite les activités se sont diversifiées. Ainsi, par le biais du loisir scientifique, des activités permettent une première démystification de l'informatique auprès d'adolescents, de jeunes décrocheurs, et de mères de famille désireuses de retourner sur le marché du travail. En relation avec les besoins de cette dernière catégorie, une collaboration avec la Commission de la formation professionnelle donne lieu à la mise en oeuvre d'un programme de développement de l'employabilité. A l'instar de nombreuse entreprises de ce genre, les subventions constituent la grande part du budget de l'organisme dont la pertinence des interventions apparaît évidente auprès des bailleurs de fonds habituels. La liste de tels exemples, auxquels s'accocie la CDEC du quartier, pourrait aisément s'allonger.
Avant de terminer, cependant, on ne peut éviter une brève allusion aux quelques 425 coopératives d'habitation qui ont pris pied sur l'ensemble du territoire de la ville ces dix dernières années pour aider des ménages n'ayant pas accès aux logements publics et ne pouvant accéder à la propriété d'une maison unifamiliale. Elles sont autant d'associations de personnes collectivement propriétaires d'une entreprise communautaire dont le fonctionnement est placé sous la responsabilité des membres usagers. Les buts et missions de chaque coopérative sont déterminés par l'assemblée des sociétaires et le réinvestissement des surplus dégagés en assure la survie. La qualité des rapports de voisinage est favorisé par l'organisation de certains services connexes à l'habitationtels des garderies, des achats groupés d produits, des services de loisirs, etc. Mais encore une fois, dans ce cas comme pour d'autres, la volonté de respecter les dogmes doit composer avec les besoins d'un certain réalisme, car comme il est signalé (M. Bouchard,1989), les coopératives d'habitation se positionnent à cheval entre une logique du secteur privé du logement social et celle du mouvement coopératif. Elles sont partagées entre leur vocation communautaire et les contraintes économiques liées à leur développement. Il leur faudra donc trouver un compromis entre ces deux logiques pour assurer leur longévité sans trop s'écarter de leurs objectifs de départ.
Tous ces signes de vitalité évidente, ne peuvent cependant pas éviter la prise en considération de certaines questions ou inquiétudes soulevées par différents observateurs de la scène communautaire.
Interrogations ou mises en garde
Tout comme pour l'économie traditionnelle, rien n'est facile pour l'économie communautaire. Nos travaux sur les entreprises dotées à la fois d'une finalité sociale et économique ont montré qu'en plus des problèmes particuliers à toute forme d'entreprise (faiblesses du côté du financement, des capacités entrepreneuriales, de la mise en marché, de l'organisation des ressources humaines, de la planification stratégique, etc.), des problèmes spécifiques affectent très souvent leur fonctionnement. Se retrouve parmi ces tares particulières, une insuffisance de clarté de la mission de l'entreprise communautaire.
En effet, une définition trop restreinte des objectifs limite les possibilités d'ouverture de l'entreprise et peut la priver de certains appuis financiers indispensables, alors qu'une définition trop large l'empêche de mettre en évidence sa spécificité par rapport aux entreprises traditionnelles et lui occasionne cette fois le retrait du soutien de la collectivité immédiate. Par ailleurs, une mission clairement associée à un secteur d'activité (garderie, médias d'information, récupération, loisirs en milieu défavorisé, etc.) augmente la dépendance envers les politiques gouvernementales lesquelles, on le sait, subissent des modifications au gré des remaniements ministériels ou des changements de gouvernement. En l'absence d'appuis solides de leur milieu environnant, les responsables de ces entreprises sont sujets à de profondes désillusions malgré la démonstration de l'utilité de leurs interventions.
A ces difficultés s'ajoutent celles qui accompagnent trop souvent hélas les entreprises à gestion participative, à savoir les conflits organisationnels et l'essoufflement des travailleurs les plus actifs. De deux choses l'une, ou la bonne marche de l'entreprise dépend presqu'essentiellement d'une personne dotée d'une forte personnalité, ou, au contraire, un groupe restreint de travailleurs assume l'essentiel des responsabilités. Dans le premier cas, l'entreprise pourra bien fonctionner tant et aussi longtemps que le rôle de bougie d'allumage assumé par le leader, à la faveur d'un consensus autour de sa personne, se perpétuera et qu'il sera désireux de porter bien haut le flambeau au nom du collectif qu'il représente. Or, un départ soudain vers d'autres cieux compromet très souvent l'évolution d'une entreprise qui pourtant se voulait communautaire. D'autre part, lorsque, comme ce devrait être toujours le cas, l'appareil décisionnel fait l'objet d'un partage entre un groupe de travailleurs, le danger d'épuisement et de démobilisation se présente quand le fardeau des responsabilités repose trop longtemps sur les mêmes épaules (Joyal, 1991). Autant de problèmes qui ne sont pas étrangers à ceux vécus par les entreprises communautaires de la région des Bois-Francs, lesquelles dans une certaine mesure, tel que déjà mentionné, constituent une source d'enseignement pour le mouvement communautaire montréalais.
Ainsi, l'expérience acquise depuis plus de quinze ans dans cette région du centre du Québec permet de dégager certaines interrogations. Comment atteindre la reconnaissance (i.e. le succès) sans compromettre les principes de base au moment de la création d'une entreprise? Comment éviter que l'implication de nouveaux intervenants dans des projets inititiés en vue de répondre à d'autres besoins, ne donne pas une orientation différente à celle mise de l'avant par les premières entreprises? Comment s'assurer que le développement de l'efficacité ne se fasse pas au détriment de la mission d'avant-garde politique et de critique positive que doit mener à bien le secteur communautaire? Enfin, comment les acteurs du communautaire doivent-ils répondre aux fréquentes incitations de contribuer aux différentes instances faisant appel à l'action partenariale en vue de favoriser le développement d'un quartier ou d'une petite région? (Ninnacs, 1990). Les précoccupations sous-jacentes à ce questionnement explique la plus grande attention consentie jusqu'au début de 1993 par la CDEC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal envers les entreprises de type traditionnel. Ce faisant, on aurait cru qu'elle se mettait, dans une certaine mesure, à l'abri des remarques soulevées par certains observateurs.
En effet, les quelques observateurs de la scène communautaire montréalaise soulignent le danger que l'action des CDEC prenne la forme d'une sous-traitance «politique» du développement économique (Fontan,1988). Alors que que pour L. Favreau (1989, 1989a), l'économie communautaire court deux risques: la récupération, i.e. l'intégration au secteur public ou la complémentarité avec ce secteur; la marginalisation, i.e. la sous-rémunération, le recours au travail non rémunéré* et la dévalorisation du travail. Il y aurait donc lieu de se questionner si cette économie est à la remorque des deux autres secteurs ou si elle en constitue un aiguillon contestataire comme c'est le cas, dans une certaine mesure, dans la région des Bois-Francs. Pour L. Favreau, ces risques, les CDEC peuvent les contourner en priorisant, entre autres choses l'aide aux entreprises alternatives et aux coopératives et en favorisant une alliance avec le milieu syndical à défaut de quoi, leur capacité de changement social deviendra à plus ou moins brève échéance relativement résiduelle. Pourtant, c'est ce même auteur qui, par ailleurs, (c.f. supra), évoque la nécessité pour le mouvement communautaire de recourir à une certaine forme de pragmatisme afin précisément d'éviter le risque de la marginalisation. En conséquence, à notre avis, il n'y a pas lieu de se scandaliser de la concertation entre les CDEC et diverses instances gouvernementales et certaines grandes entreprises qui conçoivent leur responsabilité sociale autrement que par l'apport d'un soutien au monde des arts ou à des oeuvres caritatives.
Conclusion
Comment évaluer sur des bases solides l'action initiée par les premières CDEC depuis le milieu des années 80? Quel bilan, de façon rigoureuse, est-il possible de faire de leur action? Comment comprendre la crise qui touche, à notre avis, la plus dynamique des CDEC? La difficulté de répondre à cette interrogation s'explique d'une part par le fait que, même après sept annnées d'existence, l'on est toujours dans le cadre d'un projet pilote. En effet, l'évaluation des CDEC est rendue difficile par l'absence d'objectifs communs entre elles et les trois paliers de gouvernement sur lesquels l'évaluation pourrait rendre des comptes (IFDEC, 1993). D'autre part, sur quelles bases théoriques serait-il possible d'appuyer toute forme de jugement?
Il n'existe pas de véritable théorie sur le développement économique communautaire. Jean-Marc Fontan, dans sa thèse de doctorat sur les CDEC montraéalaises (1991b), tout au plus, ne fait que se rapporter à des cadres d'analyse théoriques du changement social. Alors, pour comprendre l'orientation privilégiée par le RESO et possiblement certaines des CDEC de création récente par rapport à celle favorisée jusqu'à récemment par la CDEC Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal, l'IFDEC offre au moins un cadre conceptuel à défaut d'un véritable cadre théorique (IFDEQ, 1992). On distingue deux approches de valorisation des ressources à l'échelle locale. L'une se rapporterait au développement local proprement dit alors que l'autre s'appliquerait au développement économique communautaire.
Ainsi pour l'IFDEC, l'approche associée au développement local se caractérise par l'importance accordée à la création d'emplois. Les initiatives mises de l'avant, entre autres choses, favorisent la promotion de l'entrepreneuriat privé local et des mesures de développement de l'employabilité de la population dans un cadre de concertation ou d'interventions partenariales. Ainsi, le développement local est donc défini comme: une stratégie d'intervention socio-économique par laquelle des représentants locaux des secteurs privé, public ou social travaillent à la valorisation des ressources humaines, techniques et financières d'une collectivité en s'associant au sein d'une structure sectorielle ou intersectorielle de travail, privée ou publique, dotée d'un objectif central de croissance de l'économie locale.
Par distinction ou par opposition , l'IFDEC propose une approche centrée sur l'idée de la prise en charge. Ici, les initiatives se caractérisent, entre autres, par des objectifs sociaux liés aux objectifs économiques (à notre avis, cette caractéristique se rapporte également à l'approche précédente), la délagation des responsabilités, l'entraide et la recherche de l'autonomie; un préjugé favorable envers des formes économiques alternatives, non traditionnelles (coopératives, entreprises alternatives, entreprises communautaires, autogestion * ). En conséquence, le développement économique communautaire est défini comme: une stratégie globale de revitalisation socio-économique d'une communauté marginalisée où, par la valorisation des ressources locales et le recours à des nouvelles solidarités, des organisations et des institutions contrôlées démocratiquement par des représentants de cette dernière sont créées et facilitent la représentation de la dite communauté à des institutions extérieurs qui exercent une influence sur la gestion des ressources locales.
Un tel préjugé favorable à des entreprises non traditionnelles s'explique difficilement quand on connaît les difficultés qu'elles connaissent (c.f. supra: l'exemble de l'Escarboucle) et les efforts que font bien souvent leurs promoteurs pour les transformer en entreprise traditionnelle. Aussi nobles que puissent être les mobiles à la base de cette approche, les faits vécus, au Québec et ailleurs, nous conduisent à favoriser l'approche aoosiée au développement économique local. Non moins sociale que celle axée sur le communautaire, en mettant l'accent sur l'emploi, elle permet à des acteurs locaux de contribuer à répondre au problème du sous-emploi dans un environnement fortement éprouvé par la restructuration de l'économie.
En occupant la place qui leur revient sur la scène montréalaise du développement économique, les CDEC doivent éviter les écueils signalés plus hauts sans pour autant trahir l'idéal véhiculé par le mouvement communautaire. L'approche privilégiée, plus particulièrement par la CDEC-Centre-Sud/Plateau Mont-Royal, (vraisemblablement vue d'un bon oeil de la part du Bureau fédéral du développement régional* ) empêchait l'émergence d'activités susceptibles de faire office de parent pauvre de l'économie. On ne peut qu'approuver une forme de concertation qui vise: à faire la promotion d'un quartier à la faveur d'une attention particulière envers les éléments conduisant à l'implantation d'entreprises; à faire la promotion de la main d'oeuvre locale et à développer une collaboration entre les entreprises en vue de favoriser l'embauche; à stimuler l'entrepreneuriat (fut-il traditionnel) en à orienter les porteurs de projets vers les ressources (celles des CDEC) susceptibles de les assister; à mettre en place au besoin des mécanismes additionnels de soutien aux sans-emploi; à développer et susciter le développement dans les quartiers d'initiatives visant à inciter les chômeurs et les bénéficiaires de l'aide sociale à utiliser les programmes et services gouvernementaux disponibles en matière de formation, recyclage, employabilité, et soutien à l'entrepreneuriat; à mettre en place des centres d'information et de référence pour les entreprises des quartiers les plus défavorisés (Ville de Montréal,1990).
Comme on a pu le constater, la ville de Montréal s'est engagée à soutenir financièrement les CDEC en les incitant à agir de concert avec les autres acteurs socio-économiques de leur milieu environnant. De cette façon l'action communautaire, dans sa recherche du mieux-être des couches de la population les moins favorisées, évite la marginalisation par rapport à l'économie dominante.
Vue ainsi, en présence des graves problèmes socio-économiques que connaissent certains quartiers de la ville de Montréal, la collaboration avec les diverses instances gouvernementales et avec le secteur privé pour la promotion de l'essor de petites entreprises à but lucratif n'a rien d'un pacte avec le diable. Aux partisans d'une économie communautaire «pure et dure» on ne peut que leur donner l'exemple du Fonds de solidarité des travailleurs de la FTQ* . Cette success story québécoise de la dernière décennie, l'une des plus importantes sociétés québécoises de capital de risque, n'a pourtant pas manqué de dénigreurs au moment du lancement de l'idée d'utiliser les épargnes des travailleurs pour venir en aide aux entreprises en difficulté. Aujourd'hui, l'utilité d'un tel outil d'intervention ne soulève aucune interrogation et personne n'ose affirmer que la Fédération des travailleurs du Québec ne respecte plus sa vocation de grande centrale syndicale. Les excès de dogmatisme susceptibles de conduire aux excommunications n'ont pas leur place face à l'urgence de la situation et surtout en présence de résultats heureux d'une démarche adaptée aux réalités actuelles qui exigent que le développement communautaire passe par l'économie (Conseil des coopératives de l'Outaouais,1991) .
Références
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