Par Carmelina Carracillo
Des obstacles et des contraintes deviennent des acquis. Les pratiques novatrices ont conduit à des diagnostics précis et à la constitution progressive de bases sûres et durables, même si des questions subsistent. Sans vouloir fournir des " trucs ", voici quelques recommandations
COMMENT INFORMER ? La plupart des projets s'interrogent sur la manière de transmettre des informations relatives aux réalités Nord-Sud. Celles-ci semblent, en effet, si lointaines du souci des publics qu'ils veulent atteindre. Sans vouloir fournir des " trucs ", voici quelques idées qui ont suscité un certain intérêt :
o Partir de la réalité quotidienne et des problèmes qui interpellent les gens directement ( éviter les thèmes abstraits ).
o Mettre en place des stratégies pédagogiques grâce à des outils de transmission de connaissance qui tiennent compte des pré-requis diversifiés des participants. A ce propos, le projet fait-il nécessairement l'inventaire des pré-requis des groupes cibles ? Quels pré-requis le projet privilégie-t-il et quels outils choisit-il : savoir être ( motivé et sensibilisé ), savoir ( être informé ), savoir faire ( comme par exemple le transmettre à son tour ) ?
o Faire des sous-groupes par filière et par thème. Est-il préférable que l'ensemble des champs de compétence soient maîtrisés par l'ONG plutôt que sous traités : réalités du Sud, agriculture, institution du groupe cible ?
o Lier l'analyse à un événement festif ou émotif agréable.
o Favoriser les échanges informels.
Et encore...
Qui informer ?
La prise de conscience du lien entre les situations locales telles qu'elles sont vécues par les groupes visés et les réalités nationales et internationales nécessite un long travail de préparation et de collaboration entre les partenaires. Appliquer des slogans comme " penser l'international dans les situations régionales ou locales " ou " penser globalement, agir localement ", maintes fois cités dans les projets, exigent un effort intellectuel et pédagogique considérable de la part de chacun.
Les intérêts des groupes visés coïncident rarement d'emblée avec les objectifs et les modèles d'action des projets. Ainsi, les agriculteurs ont tendance à penser les intérêts du Nord et du Sud comme un jeu à somme nulle ( ce que l'un perd, l'autre le gagne ), au lieu d'envisager des alternatives où les deux sont gagnants. Pour les syndicats industriels, élargir leur champ d'intérêts spécifiques ( la défense des droits syndicaux et des acquis sociaux dans les entreprises ) à des thèmes plus larges ( la division internationale du travail, l'orientation des investissements ) demande une certain recul. Enfin, le grand public est tiraillé entre l'adhésion à la solidarité internationale et la préoccupation que suscite la ré-émergence de la pauvreté en Europe, comme si ces intérêts s'opposaient...
Parfois, à l'occasion d'un partenariat entre diverses organisations ( ONG, groupes socioprofessionnels ), les divergences internes à propos des objectifs ou des plans d'action d'un projet, peuvent retarder, voire rendre impossible l'obtention du consensus.
Certaines ONG s'associent avec les organisations représentatives traditionnelles d'agriculteurs. Le produit issu de ce partenariat sera acceptable par chacun. D'autres s'associent seulement avec les agriculteurs de l'" opposition " et avec d'autres ONG quitte à perdre l'adhésion des agriculteurs traditionnels ( et dès lors manquer une cible apparemment prioritaire ), mais produire un message plus " alternatif ".
Il arrive aussi que les options les plus " contestataires "( par rapport aux logiques économiques dominantes ) de certaines organisations impliquées dans un projet se heurtent parfois à d'autres tendances majoritaires. Il s'agit là d'une étape indispensable pour une collaboration à long terme, même si les échéances du projet peuvent s'en trouver compromises à court terme.
Les structures internes des groupes visés et leurs logiques d'actions rendent parfois les contacts difficiles. Par exemple, le compartimentage des syndicats selon plusieurs clivages ( socioprofessionnels, sectoriels, régionaux ) ne facilite pas la réunion et la concertation des acteurs susceptibles d'être concernés par les aspects transversaux des restructurations industrielles.
Les principaux écueils rencontrés par les projets sont une identification insuffisamment rigoureuse du public et de ses attentes et la sélection de publics trop diversifiés ou trop éloignés des objectifs des projets. L'insertion des ONG dans le milieu socioculturel des groupes visés est sans doute un des moyens pour résoudre cette double difficulté.
L'expérience montre que l'impact sur le public est plus fort si l'ONG et la cible négocient les objectifs et la mise en œuvre du projet. Dans ce cas, le travail d'approche institutionnelle des grandes organisations gagne à être planifié et défini en termes stratégiques. Cette étape préalable constitue déjà en soi un projet d'éducation au développement. Associer étroitement les organisations ciblées à la conception des projets, cela signifie aussi une clarification des objectifs, des groupes à atteindre, des relais principaux, des stratégies et des contenus. Les ONG pourraient aussi, en concertation avec les partenaires impliqués, définir des priorités concernant l'éducation au développement en général. Celles-ci se traduiraient en politiques, en actions et en budgets.
Dans certains projets, les petites ONG ont eu le sentiment d'avoir été " récupérées ". Il est dès lors intéressant de comprendre comment se construit le consensus dans le cas d'un partenariat entre petites ONG et organisations représentatives ou entre petites ONG et mouvements ou instances pédagogiques reconnues. Des ONG affirment avoir eu des difficultés à garder leur identité au sein d'un partenariat : aborder de nouveaux points de vue, déléguer des pouvoirs. Ces actions engendrent des remises en question qui peuvent faire évoluer l'ONG, mais également l'ébranler.
Un partenariat devrait pouvoir s'effectuer selon des modalités convenant à chacune des parties en présence. Si les syndicats sont réticents aux formateurs extérieurs pour assurer l'éducation au développement de leurs cadres, ils accepteront sans doute des dossiers de qualité sur les thèmes internationaux qui les intéressent.
Un des nœuds rencontrés par les ONG concerne la conception et la mise en œuvre de stratégies visant à introduire un thème à long terme au sein d'une organisation occupée de résoudre ses problèmes immédiats. La plupart des projets se sont trouvés confrontés à un moment donné à l'une des questions suivantes : Quelle est la meilleure façon de construire un consensus dans une organisation syndicale ? Faut-il former d'abord des délégués et des travailleurs ? Faut-il sensibiliser d'abord des hauts fonctionnaires du syndicat et du pouvoir politique régional ? Faut-il sensibiliser d'abord les formateurs et ensuite les fonctionnaires nationaux ou bien rien que les fonctionnaires régionaux ? Faut-il approcher ces différents niveaux simultanément ?
L'action doit-elle être orientée vers les enseignants seulement ou plutôt vers les organismes décideurs des programmes scolaires ? Faut-il créer des programmes spéciaux d'éducation au développement ou insérer des modules au sein d'une formation générale déjà organisée pour le public visé ?
Sur quoi informer ?
Des liens entre les problèmes du Sud et les préoccupations de certaines organisations de mouvements sociaux ( environnement, femmes, racisme ) peuvent être développés en collaboration avec ces organisations. Par ailleurs, les organisations représentatives elles-mêmes ne devraient-elles pas participer à la réflexion sur les orientations thématiques des programmes d'éducation au développement ?
Et avec quel argent ? Les projets ont intérêt à rester viables à long terme. Dans cette perspective, les ONG -notamment les grandes- essayent de diversifier leurs sources de financement, afin de rompre leur dépendance par rapport à la Commission européenne qui jusqu'ici constitue un bailleur de fonds important. La survie des projets d'éducation au développement pose la question d'un co-financement à plus long terme ( par décennie par exemple ) même si une diversification des sources de financement pour ces périodes est prévue et si des évaluations sont régulièrement établies pour le compte des co-financeurs du projet. Les ONG continuent à s'adresser aux programmes nationaux d'éducation au développement, tout en articulant ceux-ci aux programmes de la Commission, en vue d'atteindre un maximum de complémentarité et de cohérence globales. Les petites ONG, quant à elles, dispensent aussi une série d'activités pour se faire reconnaître, subsister, être visibles et remplir leurs engagements.
La situation précaire de certaines ONG ( liée notamment au sous-statut et à la rotation de son personnel, à la capacité restreinte d'une large diffusion des messages ) a parfois entravé le cours du projet. Le renforcement des liens entre les ONG, notamment via les réseaux, suppose un accroissement de moyens pour organiser les échanges au niveau européen et pour former les ONG en matière de communication. Le financement de la conception des projets est également capital.
Une part faite au lobbying
Il ne faut pas négliger l'influence des ONG sur les politiques du Parlement européen et du Conseil des ministres ( et particulièrement celles comportant une dimension européenne ). Un lobbying en faveur du Sud plus efficace, en particulier autour des politiques européennes qui affectent le développement dans le Sud, accroîtrait l'impact de l'éducation au développement. Dans ce cadre, une plus grande concertation européenne inter-ONG et une amélioration des compétences en matière de communication sont des atouts précieux.
Mais le lobbying européen peut-il être efficace si un débat sur la même thématique n'est pas mené simultanément au sein des Etats membres ? Comment articuler l'approche des élus avec d'autres stratégies ?
De ce point de vue, le Comité de liaison des ONG, le CLONG, joue un rôle important. Les expériences et besoins des petites ONG et des réseaux pourraient être mieux pris en compte par le CLONG notamment dans sa fonction de représentation auprès de la Commission européenne. Par ailleurs, le CLONG et son groupe de travail spécialisé sur l'éducation au développement peuvent-ils faire connaître, auprès des citoyens des Etats membres de l'Union européenne, les expériences réalisées dans le cadre de la dernière convention de Lomé ?
Le CLONG pourrait aussi, en dialogue avec les autres acteurs de l'éducation au développement, favoriser une réflexion d'ensemble sur les méthodologies et sur l'approche des groupes visés ainsi que renforcer la conscience de l'identité européenne des acteurs.
Informer : où cela s'arrête-t-il ?
Des responsables des projets se posent la question de savoir quelle est la fonction de l'éducation au développement ? Est-elle une fin en soi ou est-elle une étape transitoire vers une action politique de changement ? Poser cette question revient également à se demander quelle est la limite de l'éducation au développement ? Pour le dire autrement : A partir de quel moment doit-on passer le relais ? Juste après l'analyse ? Faut-il par exemple inscrire le " passage à l'action " des participants ( et quelles actions ) ? Comment y arriver à partir d'une formation qui fait principalement appel au domaine cognitif ?
D'autres interrogations s'ajoutent encore si les groupes visés souhaitent prolonger la formation par un engagement qui interagit dans le secteur économique. Le champ de l'éducation au développement inclut-il des possibilités matérielles de démarrer un projet de type économique par exemple ? Dans ce cas, l'ONG doit-elle être titulaire du projet comme " garant " de l'objectif social ( autrement dit : la gestion financière doit-elle ou peut-elle se déléguer ? ). Si cette éducation au développement est liée à des projets de développement, comment cela se passe-t-il ? Dans le champ de la coopération, les logiques de marché et de solidarité se combinent-elles au sein d'échanges économiques ? Comment faire en sorte que la multiplication de ces micro-projets ne reste pas marginale ?
Informer, est-ce agir ?
Les responsables des projets sont conscients que les opérations de large sensibilisation sollicitent différemment le grand public ? Que lui demande-t-on en fin de compte ? Est-ce une participation financière à l'éducation au développement ou à des projets localisés dans le Sud ? Est-ce un changement dans les secteurs de la vie quotidienne : nouveaux comportements de consommateur, nouvelles façons d'interpréter l'actualité ?
Dans ces campagnes, des actions ponctuelles à haut contenu symbolique sont parfois réalisées. Comment évaluer de cet impact médiatique puissant, mais éphémère ? Le passage à l'action est souvent demandé par la base. Or, on constate parfois chez elle une démobilisation. Les participants issus d'une formation souhaitent mettre leurs acquis en pratique. Malheureusement, il arrive que cette phase ne soit plus de la compétence du projet d'éducation au développement. Il arrive aussi que les préoccupations concrètes des gens de la base ne soient pas prises en compte dans l'élaboration d'un projet.
Si des pistes ou types d'actions ne sont ni discutés ni élaborés avec la base, les " apprenants " ne risquent-ils pas de s'engager dans des actions déviantes par rapport à l'esprit du projet ?
Le Sud, informant et informé ?
Le partenariat avec le Sud est une condition indispensable à une éducation au développement dans le Nord si elle veut être cohérente avec les questions qu'elle entend aborder. Des exemples ont montré des possibilités concrètes de collaboration. Cependant, la coopération avec le Sud interroge encore l'éducation au développement en profondeur.
Qui est le Sud ? Quels partenaires faut-il privilégier : les ONG, les associations paysannes, les coopératives, les instances gouvernementales, les syndicats ? Quelles collaborations sont-elles à encourager : la conception, la mise en œuvre du projet, le lobbying ? Les questions ne manquent pas. Les réponses sont sans doute à chercher avec tous les intéressés .
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