"Le développement local, il y en a toujours eu. Simplement, c'est notre regard qui a changé ".
D'entrée de jeu, François Clément n'hésite pas à manier le paradoxe. Si le mot développement local est relativement récent, les réalités auxquelles il renvoie ne datent pas d'hier. Il cite un exemple: "Lorsqu'au Moyen Âge, les moines s'installaient pour mettre en valeur un espace, ils produisaient du développement." Depuis les années 60-70, l'objectif de " maîtriser collectivement ce qui est produit par chacun des acteurs pavés " s'est affirmé dans la société. En quelque sorte, anticiper les effets des activités sociales et économiques qui modèlent un territoire.
De toute évidence, la crise durable de la société française a fait réfléchir sur les limites du modèle de développement. Non seulement l'expansion économique s'est ralentie considérablement, mais les " dégâts du progrès " se sont fait sentir dans certaines régions : campagnes vidées de leurs habitants et de leurs " cerveaux ", vieillissement, problèmes d'environnement...
Participation
Le monde paysan a été une des premières catégories sensibilisées à la nécessité de maîtriser le développement. Ce n'est pas un hasard! Toute une nouvelle génération d'agriculteurs (dont beaucoup avaient été formés par la jeunesse agricole catholique JAC) a accéléré la modernisation de l'agriculture. Les campagnes ont complètement changé de visage et il a fallu imaginer de nouvelles façons de s'organiser au niveau du crédit, de l'agriculture de groupe ou du syndicalisme.
Cette expérience a permis à des responsables agricoles de comprendre très vite les enjeux du développement local. Ils ont alors élargi leur regard en essayant de réfléchir à des scénarios possibles pour leur territoire : faut-il tout miser sur une grosse usine ou favoriser la création de petites entreprises? L'agriculture va-t-elle continuer à se spécialiser ou peut-on l'encourager à se diversifier? Le tourisme est-il une chance ou une contrainte pour le territoire? Tous ces débats étaient déjà posés avant les lois de décentralisation par les militants du développement local (des agriculteurs mais aussi des enseignants, des artisans, des employés, etc.). Nombre d'entre eux étaient déjà impliqués dans les conseils municipaux. L'État, de son côté, s'est intéressé à ces questions à partir du milieu des années 70 : par exemple, le ministère de l'Agriculture met sur pied des plans d'aménagements ruraux.
Arrivent les lois de décentralisation de 82-83 avec plus de pouvoirs accordés aux collectivités locales. "La décentralisation donne un cadre juridique intéressant à des dynamiques déjà présentes sur le terrain ", note François Clément. Une nouvelle génération d'élus ruraux s'est progressivement constituée. Mieux formés, ils sont souvent plus efficaces, savent mieux négocier avec les administrations de l'État. Même s'il y a ici ou là des expériences " exemplaires ", la participation des citoyens reste généralement faible. Les élus préfèrent souvent consulter les représentants des groupes socioprofessionnels (les chambres d'Agriculture) plutôt que les acteurs de terrain eux-mêmes. Et pourtant, insiste François Clément, " la démocratie participative permet à tous les acteurs de mettre sur la table des idées, des dossiers et ainsi de mieux maîtriser le développement ".
La participation du plus grand nombre d'habitants aux décisions est une garantie pour la pérennité des projets. Lors d'une crise interne (départ d'un leader, désaccords de fond) ou externe (fermeture d'une grosse usine, problème agricole), le territoire aura plus de ressources humaines pour trouver des solutions.
Une autre tendance lourde du développement local, c'est de multiplier les partenariats. Les communes se sont ainsi progressivement rapprochées pour mener des actions ensemble sur des dossiers techniques -le ramassage des ordures- mais aussi sur des projets plus ambitieux : des espaces sportifs et culturels, l'accueil d'entreprises, l'animation locale...
Chaque commune garde son conseil municipal, son maire, son identité mais elle s'associe à ses voisines pour être plus efficace. cela suppose de ne plus être concurrent les uns les autres pour rechercher de complémentarité.
Au lieu de se demander " quelle commune est la plus forte? ", on réfléchit à plusieurs autour de la question : "quels projets pour quels besoins? ". Les petites communes peuvent alors bénéficier d'équipements presque comparables à ceux des villes.
Reste que l'ensemble du monde rural n'est pas concerné par cette démarche. Sous le poids des rivalités de clochers, des notables et des blocages culturels, le développement de bien des territoires n'est pas maîtrisé. c'est souvent dans ces zones que le " désert vert " progresse sans que cela soit nécessairement lié aux conditions géographiques : bien des espaces montagneux (en Savoie par exemple) font preuve d'un grand dynamisme...
Culture associative
En quoi l'histoire française du développement local peut-elle être utile à l'Afrique? François Clément met en relief quatre points de repère. "La mise en place d'une décentralisation purement juridique et administrative ne produira jamais du développement local. D'autre part, il est nécessaire aussi de constituer aussi une organisation ascendante de la société civile qui parte de la base. Les élus doivent bénéficier de formations allant dans le sens de l'ouverture aux autres acteurs. Troisièmement, le développement local suppose une identité forte avec un territoire. Ce point peut être problématique en Afrique en raison de l'importance historique des déplacements de population. Enfin, l'engagement nécessaire des acteurs suppose de ne pas évoluer dans des systèmes coercitifs ou mafieux. Sinon, il est très difficile de construire une culture partenariale associative qui est un des piliers du développement local. "
Repères pour l'action
Le développement local est souvent mis à toutes les sauces.
Essai de clarification avec Jacques Mercoiret, formateur au Ciepac.
Grain de sel : s'il fallait n'en retenir qu'un, quel serait l'élément déterminant dans le lancement d'une démarche de développement local?
Jacques Mercoiret : Des personnes ou des groupes dans une société locale doivent avoir la volonté de modifier la situation, de changer les choses. cela suppose d'avoir conscience d'un problème, d'un manque, d'un déficit. Le point de départ de cette réflexion est bien souvent provoqué par une rupture dans l'ordre habituel, cela peut être une usine qui ferme, une filière agricole sinistrée, des changements politiques ou des initiatives qui ont de la peine à s'affirmer...
Pourtant, sur le terrain, la situation que vous décrivez ne débouche pas toujours sur le démarrage d'actions nouvelles. Pourquoi?
Ce préalable - la prise de conscience - ne suffit pas. Il faut que des porteurs d'initiatives, des innovateurs émergent. Ensemble, ils vont devoir définir des enjeux, des ambitions pour le territoire sur lequel ils vivent. Là encore, cela ne suffit pas sinon il s'agit de démarches individuelles. Ces personnes doivent rassembler d'autres habitants. Le développement local suppose qu'un maximum de personnes, de groupes sociaux se mettent autour de la table. Certains veulent aller vite, d'autres plus lentement. Certains ont beaucoup de projets, d'autres peu. Il faut trouver un ciment commun. En France, cela a souvent été la défense d'un patrimoine commun, d'une identité, d'une culture, d'une économie locale.
Et en Afrique, quelles difficultés majeures freinent le développement local?
La première est liée, selon moi, au poids des références et des modèles anciens de développement, disposant d'enveloppes financières importantes avant même que des partenaires solides n'aient émergé. Même si ces enveloppes sont souvent nécessaires par la suite, elles ne facilitent pas au début la prise de conscience locale. Deuxième handicap important : les hommes politiques cherchent souvent (en France également) à canaliser et à récupérer la mobilisation qui émerge sur le terrain.
Et pourtant, ici ou là, en Afrique, des projets intègrent mieux la dimension du développement local. Un exemple?
Au Sénégal, à Mbour, il existait des projets distincts qui ne communiquaient pas entre eux. Il a suffi qu'un des animateurs de ces projets, un professeur, et un président de communauté rurale se rencontrent pour que l'idée de fédérer tous ces projets prenne forme. Ils ont donc créé un collectif départemental qui regroupe maintenant neuf communautés rurales et deux communautés urbaines. Cette structure assume un rôle de formation interne mais aussi externe.
En résumé, quels sont les facteurs déterminants pour la réussite de telles démarches?
On peut en énumérer un certain nombre : une information libre, la possibilité de se réunir, l'accès à des moyens de financement. Là encore, cela ne suffit pas à expliquer ce qui marche : on voit parfois des projets merveilleux se développer sans bénéficier de ressources financières importantes. De toute façon, une chose est sûre : il n'existe pas de recette miracle. La réussite dépend essentiellement des hommes et des femmes qui se réunissent, se concertent et mènent des projets ensemble.
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