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Dix ans d'interventions dans un quartier

Par Mireille Laforest


La ville de Bron, à l'est de Lyon, 40 000 habitants, comprend deux quartiers en Développement Social Urbain, Parilly et Terraillon. Ce dernier, excentré par rapport au centre , regroupe 1 500 logements (environ 5000 habitants) répartis dans des immeubles en copropriété, un ensemble HLM de 400 logements, un tissu pavillonnaire, quelques autres copropriétés, un foyer de travailleurs migrants ().

La caractéristique essentielle de ce quartier est la transformation au fil des années des ensembles en copropriété construits dans les années 1960 en habitat social de fait, alors qu'ils étaient au départ prévus pour des populations de revenus moyens. Une forte proportion des propriétaires concernés ne réside plus sur place ; elle est plus soucieuse de rentabilité immédiate que d'une gestion patrimoniale; et loue ces logements à des prix élevés, sans rien dépenser pour les parties communes des immeubles et les espaces extérieurs.

Il s'en est suivi une dégradation du bâti et des logements, des espaces extérieurs et des voiries, tous privés. Cette situation a entraîné le départ de nombreuses familles de propriétaires occupants, ainsi que la vente massive de logements par certains d'entre eux, sans que la collectivité publique n'arrive à réguler les mouvements de population : 50 régies privées () et 100 propriétaires bailleurs en gestion directe ont fait entrer massivement des familles nombreuses à très faible niveau de ressources, avec un fort taux de suroccupation dans les logements (). Bien des locataires ont acquis leur logement sans moyens financiers adaptés et sans connaissance de leurs droits et devoirs de copropriétaires.

Les problèmes d'intégration de certaines familles, joints à l'augmentation du chômage et notamment de celui des jeunes ont développé la délinquance et le mal-être des habitants. Les conflits sont multiples entre jeunes et adultes. Par ailleurs, les propriétaires occupants présents depuis l'origine ont vu leur patrimoine se dévaluer d'année en année. Ils sont de ce fait devenus aussi captifs que les nouveaux arrivants étrangers qui ne trouvent pas à se loger ailleurs. On ne peut que comprendre la frustration des uns et des autres qui fait monter la tension et fait le lit des votes extrémistes dans ce quartier.

une action publique globale

C'est ce processus de dégradation que la Ville de Bron et la Communauté Urbaine de Lyon, avec l'aide de l'Etat, ont voulu enrayer ensemble dès 1989, malgré la complexité de l'intervention publique sur un territoire privé.

Diverses procédures ont été mises en œuvre : convention de quartier, charte de Développement Social Urbain, signée en 1991 par un grand nombre de partenaires publics (Ville de Bron, Communauté Urbaine de Lyon, Etat, Région Rhône-Alpes, Conseil Général du Rhône, Fonds d'action sociale (FAS) pour les travailleurs immigrés), et définissant les objectifs globaux de l'action publique sur le quartier (), contrat de ville de l'agglomération lyonnaise en 1994 ().

La mise en œuvre de ce processus nécessitait un décloisonnement et une coordination des différents moyens et services des collectivités locales avec ceux de l'Etat, des intervenants sociaux etc. Dans ce but, les partenaires ont mis en place un dispositif spécifique : groupe de pilotage inter-partenarial, Equipe de Maîtrise d'Oeuvre Urbaine et Sociale -EMOUS- (), sessions annuelles de programmation, évaluation des actions... Un "chef de projet" en assure la cohérence opérationnelle, ce qui peut devenir complexe étant donné les logiques parfois contradictoires des divers bailleurs de fonds et intervenants.

l'implication des habitants, nécessaire mais complexe

Aucune action publique n'aurait pu être entreprise sur Terraillon sans l'accord préalable des copropriétaires. C'est pourquoi, dès 1989, des conventions d'information mutuelle ont été signées entre la Ville, la Communauté Urbaine et deux copropriétés (1 070 logements concernés sur 1 500), la troisième considérant comme une ingérence l'action publique sur son territoire. Par ces conventions, signées devant la presse, les deux parties s'engageaient sur des objectifs de requalification et de maîtrise du peuplement en se garantissant l'information mutuelle.

Par ailleurs, le contexte spécifique des copropriétés accentue le sentiment d'isolement vécu par les habitants confrontés à des difficultés économiques, à des problèmes de cohabitation, à des dégradations quotidiennes du cadre de vie liées à des actes de délinquance, et à un manque d'interlocuteur immédiat pour gérer ces problèmes. C'est pourquoi, dès 1990, un Conseil de quartier a été mis en place pour Terraillon ().

Des commissions réunissant élus, habitants, quelques institutionnels et l'équipe de maîtrise d'œuvre préparent ces conseils et travaillent sur les thèmes liés à la vie collective, sur l'habitat et l'amélioration des espaces extérieurs des copropriétés, et sur l'ensemble des projets.

requalification de l'habitat et gestion du peuplement

Pour lutter contre la dégradation du bâti, stabiliser la population déjà intégrée dans le quartier, favoriser la diversité du peuplement et impliquer les habitants et les artisans dans le fonctionnement des copropriétés, un dispositif global d'action comprenant sept volets a été mis en place. Il évoque très précisément la complexité d'une action publique sur les ensembles en copropriété ().

Une société de logement social rachète les appartements préemptés (220 à ce jour) et, grâce à des aides de l'Etat, les réhabilite pour les louer. Les premières familles ainsi relogées furent celles qui, déjà intégrées dans le quartier, voyaient leur bail résilié par leur propriétaire pour vente des logements.

La question du financement public de ces acquisitions se pose ; le bailleur engagé dans l'opération a dû avoir recours à des fonds propres pour les effectuer. Mais sa présence a permis, outre les réhabilitations et les votes de travaux en parties communes des immeubles (en particulier dans la copropriété, qui l'a vu accéder à la responsabilité de syndic) (), une certaine stabilisation du peuplement. Pour autant, les objectifs de "mixité" que s'étaient fixés les collectivités s'avèrent peu réalistes ().

Il vise à expliquer aux candidats à l'accession leurs droits et devoirs, et le fonctionnement d'une copropriété, à les encourager ou au contraire les dissuader d'acheter un logement. L'association chargée de ce suivi organise des réunions avec les habitants de certains bâtiments pour les inciter à faire voter les travaux nécessaires et collabore à une médiation entre propriétaires et locataires. La participation des copropriétaires aux instances de gérance reste pourtant très faible ().

On peut noter ici l'importance du rôle du syndic de copropriété dans les négociations entre propriétaires et partenaires publics. Le syndic doit savoir parfois prendre des risques pour faire aboutir des projets. Le grand nombre de propriétaires bailleurs absentéistes joint à celui des propriétaires occupants qui comprennent mal la langue ne facilite pas l'obtention de votes favorables.

Sur Terraillon, une Opération Programmée d'Amélioration de l'Habitat a commencé en janvier 1996, pour une durée de trois ans : son bilan après deux années de fonctionnement est très décevant : si 8 MF de travaux en parties communes dans un ensemble de 400 logements ont été réalisés, dans un autre, le syndic a bloqué l'information des copropriétaires et refusé de les inciter à faire des travaux, arguant de retards importants dans le paiement des charges.

Cette opération avait pourtant été préparée par des diagnostics gratuits sur les logements, destinés à connaître le parc et à aider les locataires à exiger de leurs propriétaires des travaux pour des logements en très mauvais état. Mais, à Terraillon, aucune association de défense des locataires n'a pu jusqu'ici voir le jour, tant les locataires ont peur de perdre leur logement et sont captifs du quartier.

Pour des copropriétaires à très faible niveau de revenu, l'incitation par les aides publiques est insuffisante pour être efficace.

L'Etat a classé le quartier de Terraillon en Zone de Redynamisation Urbaine depuis 1996. Ceci assure aux commerçants et entreprises une réduction importante de la taxe professionnelle et des charges sociales. Des travaux sur une place centrale vont permettre d'améliorer le fonctionnement du marché qui se tient deux fois par semaine, de favoriser la circulation piétonne entre les deux espaces commerciaux qui la bordent, et d'offrir aux habitants un espace accueillant fait d'arbustes de fleurs. L'implantation d'un pôle de services publics est en projet.

La question de la sécurité se pose avec de plus en plus d'acuité pour ces commerces de quartier fragilisés par des agressions multiples. L'aide financière de l'Etat, de la Communauté Urbaine, du Programme européen Urban et de la Ville de Bron, permettra la sécurisation des locaux.

la vie sociale, culturelle et scolaire

La population des copropriétés se caractérise par une grande proportion de familles nombreuses à très faible niveau de revenu ; souvent d'origine étrangère. La jeunesse de la population entraîne un besoin soutenu d'animation, en même temps qu'elle donne une image négative du quartier aux yeux des populations voisines, souvent vieillissantes, qui ont peu d'enfants et tolèrent mal ceux des autres. Le développement de la délinquance et de l'insécurité liées au chômage contribue à faire monter les tensions.

Pour ces familles qui utilisent peu l'offre sociale d'équipements traditionnels, la Ville de Bron s'est orientée vers l'animation de proximité.

L'opération "Je t'écris de Bron" (un écrivain installé dans les cafés, à l'Agence pour l'Emploi, à la Mission locale pour l'Emploi des jeunes, à l'espace Petite Enfance de Terraillon, au collège, pour faire écrire les habitants, jeunes et adultes) s'est révélée très positive. Des habitants, divers, ont écrit ensemble, et se sont révélées pour certains des capacités poétiques. Une pièce de théâtre et une exposition sur les murs de la mairie ont conclu ces expériences .

Malgré ces actions, on sent une dégradation nette dans le quartier. Des jeunes cassent, menacent, agressent les adultes, et à l'heure actuelle les animateurs essaient avec beaucoup de peine de retisser des liens avec des jeunes plus "positifs" que les casseurs font fuir.

Une action forte de la police s'avère d'autre part indispensable pour enrayer les pratiques de trafics illicites et restaurer la loi sur Terraillon.

Cet accompagnement des habitants demande à la fois un soutien et une souplesse d'adaptation aux initiatives à laquelle répond le Fonds d'aide à la participation (). Mais la vie associative reste en sommeil .

La Ville et l'Etat ont soutenu une initiative d'un groupe de vingt-cinq familles nombreuses dont les logements étaient trop petits. Ce groupe "surpeuplement" a pu, par des démarches multiples, faire reloger par les Collectivités la totalité de ces familles en six ans, tous les membres restant solidaires et mobilisés jusqu'au bout.

D'autre part, en appui à la concertation avec les habitants, un journal de quartier explique les projets locaux, et les habitants y sont interviewés sur l'évolution du quartier et sur ces projets.

Ainsi, un "Plan Local d'Insertion par l'Economique" coordonne les actions d'insertion, de formation et d'accès à l'emploi pour les jeunes en difficulté, chômeurs de longue durée, ou bénéficiaires du Revenu Minimum d'Insertion…

La Maison de la Justice et du Droit privilégie une gestion négociée des conflits, l'aide aux victimes et la réparation des délits mineurs. Un Conseil Communal de Prévention de la Délinquance travaille sur la prise en charge éducative des mineurs et jeunes majeurs en difficulté (prévention de la délinquance, des toxicomanies et de l'insécurité, prévention de la récidive). A ce titre, un chargé de mission "prévention" organise tous les étés avec la municipalité et tous les partenaires (notamment l'Etat) des chantiers rémunérés pour les jeunes d'une durée d'une semaine. Cette activité (nettoyage, peinture, requalification d'espaces extérieurs, etc.) leur permet de financer un projet, notamment de vacances.

Un Plan Local de Sécurité signé avec l'Etat prévoit l'augmentation des effectifs d'une police de proximité. Une Commission Locale de Sécurité comprenant tous les partenaires se réunit lorsque des incidents violents se produisent pour envisager des solutions concertées.

perspectives

Les objectifs que l'action publique sur le quartier du Terraillon s'était fixée en terme d'amélioration du cadre de vie, après dix années d'interventions, sont atteints. La remise en état des espaces extérieurs et voiries rétrocédés à la collectivité publique, le désenclavement du quartier, de l'avis même des habitants, ont changé leur quotidien. Les opérations de réhabilitation se poursuivent au centre du quartier.

L'implication des habitants dans les projets a été effective, même si les populations d'origine étrangère dont l'arrivée est récente ne sont pas suffisamment représentées dans les instances de participation. Cette approche participative dans la gestion des projets doit être travaillée et développée dans l'avenir. Des actions de formation des copropriétaires vont être amplifiées. Les espaces de discussion ont contribué à rapprocher les politiques des habitants et contribuent donc à développer la citoyenneté dans le quartier.

La réhabilitation de certains bâtiments et logements à l'aide de financements publics contribue aussi à améliorer le quotidien des habitants. Le soutien apporté aux commerçants en terme d'animation et de requalification des commerces contribue à maintenir l'activité commerciale, les échanges et la circulation dans le quartier.

Pour autant, l'action publique bute sur l'implication des logeurs privés, peu soucieux d'un équilibre du peuplement. A l'heure actuelle, il n'existe aucun moyen réellement incitatif pour convaincre les régisseurs privés de collaborer à l'action publique. D'autre part, seule une politique d'équilibre du peuplement au niveau de l'agglomération, serait susceptible d'apporter des améliorations sur les quartiers dits "sensibles" comme Terraillon.

La situation du quartier, loin du centre ville et la proportion de son peuplement en situation de précarisation font qu'il est nécessaire d'envisager aujourd'hui une restructuration du quartier, avec une probable dédensification. En effet, malgré les actions de prévention, la délinquance et l'insécurité augmentent avec le chômage, entraînant le mal-être des populations et le renforcement du dyptique prévention/répression est indispensable.

Mireille Laforest


Economie et Humanisme - 1999

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