Par Dorothée PIERRET, Consultante
Alors que le microcrédit est utilisé dans de nombreux pays européens comme un instrument performant de lutte contre le chômage et l’exclusion, le secteur de la microfinance reste marginal en Allemagne. Le plus souvent ignorée par les banques classiques, la microfinance est mal comprise par les instances publiques marquées par une tradition d’aide par subventions. Enfin les programmes de microcrédit menés par le milieu associatif restent jusqu’à présent à un stade expérimental confrontés à un cadre législatif très restrictif.L’Allemagne est caractérisée par un secteur bancaire très fort, jouant un rôle clé en matière de financement des entreprises contrairement aux pays anglo saxons beaucoup plus orientés vers le marché des capitaux. Les banques entretiennent des liens très étroits avec le monde industriel (1) et restent difficilement contournables dans le montage d’une entreprise. Longtemps ignorées, ce n'est que récemment que les petites et moyennes entreprises (PME) avec le soutien des pouvoirs publics ont réussi à s’imposer. Elles bénéficient à l’heure actuelle de nombreuses mesures d’appui. Toutefois cette situation masque mal le fait que les très petites entreprises (TPE) restent exclues du système bancaire. Il est aujourd’hui très difficile pour un créateur d’entreprise individuelle d’obtenir un crédit inférieur à 50.000 DM.
Face à l’attitude frileuse des banques, un certain nombre de programmes d’appui à la très petite entreprise ont été mis en place. Dans un premier temps dans une logique plus proche de l’aide sociale puis en tenant de plus en plus compte de la rigueur économique et financière inhérente à tout projet de création d’entreprise. Depuis ces deux dernières années une réflexion a été engagée sur le microcrédit et son utilisation. Il semble que l’Allemagne après une phase d’expérimentation et de conception s’apprête à mettre en place des programmes similaires à ce qui se fait en France dans ce domaine là.I. Le caractère inaccessible des financements pour les Très Petites Entreprises (TPE)
L’absence d’accès à une banque compétente et coopérante est une des causes principales de la faillite des petites entreprises (2) en Allemagne. En effet le caractère inaccessible des financements pour les TPE se traduit dans la plupart des cas par la non création ou par des montages financiers inadaptés. Les entrepreneurs ont tendance à utiliser le découvert bancaire comme une alternative au crédit. Au delà du prix de ce type de financement, cela les met dans une situation très précaire et dans une grande insécurité (3) .
Cette difficulté d’accès à un financement est liée à la fois au montant et à l’objet du crédit mais aussi au profil du client et enfin pour ce qui concerne les programmes d’aides publiques aux procédures d’octroi des crédits.
- Le montant du crédit : “Les petits crédits ne sont pas rentables”
Non seulement les gains issus d’un crédit sont proportionnels au montant de ce dernier, mais en plus les coûts engendrés s’avèrent quasi indépendants de la somme accordée. En conséquence, le prêt aux très petites entreprises n’intéressent pas les banques. Le caractère non rentable du petit crédit pour les banques paraît encore plus évident lorsque l’on s’intéresse aux programmes de financement public gérés par les banques et pour lesquels elles perçoivent une commission se situant entre 0,75 et 1,25% du montant du crédit pour l’instruction d’un dossier. Là encore les banques n’ont guère intérêt à monter un dossier de demande d’accès au financement public pour des montants faibles.
Au coût de l’étude du dossier s’ajoute le coût du suivi du crédit. Les petits crédits demandent un suivi plus intensif que les gros crédits faits par des grandes entreprises aux services financiers très compétents.
- L’objet du crédit : L’investissement matériel plutôt que du fonds de roulement
Il est plus facile pour une banque d’accorder un crédit pour l’acquisition de machines, bâtiment ou terrain que pour le financement d’un fonds de roulement. Le financement d’un investissement matériel constitue une garantie en cas de non remboursement pour l’organisme financeur. Les très petites entreprises nouvellement créées ont tendance à s’orienter vers le secteur tertiaire (services, commerces...) aux besoins en capital matériel faibles, par contre aux besoins importants en trésorerie (4) . Si de nombreux programmes s’orientent notamment pour aider les artisans dans l’acquisition de machines ou matériels, les aides pour la constitution d’un fonds de roulement n’existent quasiment pas.
- Le profil du demandeur du crédit
La difficulté d’accès au crédit n'est pas uniquement liée au montant du crédit mais également au profil du demandeur de ce crédit. Il s’agit dans le cas qui nous intéresse de très petites entreprises déjà existantes ou en phase de création. Ces entrepreneurs sont souvent des individus au parcours non classique, ayant été au chômage pendant un certain temps ou se trouvant dans une situation sociale et économique relativement précaire. Les critères (garanties, apport personnel..) exigés classiquement par les banques se révèlent souvent pénalisant pour ces entrepreneurs au parcours professionnel mouvementé et considérés comme non fiables au regard des banquiers.II. Initiatives publiques et associatives dans le domaine de la microfinance
- La procédure de demande de crédit : Le rôle primordial de la “Hausbank”
Une des caractéristiques de l’Allemagne, est le rôle joué par la “Hausbank” pour l’accès aux financement dans le cadre des programmes d’aide publique. Comme on parle de médecin de famille (Hausartz), en Allemagne on parle également de banque de famille (Hausbank). La relation entretenue entre le client et sa banque est très importante car c’est la banque qui détient, en vertu du principe de subsidiarité, le monopole de la distribution des programmes d’aides publiques en matière de financement. C’est donc la banque qui décidera de l’opportunité de recours aux programmes d’aides publiques. L’histoire bancaire individuelle joue donc un rôle très important et qui n’a pas de bonnes relations avec sa “Hausbank” n’aura accès ni au crédit bancaire, ni aux programmes d’aide publique en matière de financement de l’entreprise.Face au caractère inaccessible des financements proposés par les banques ou les instituts publics de crédit on assiste depuis une quinzaine d’année à l’apparition d’initiatives publiques ou privées visant à combler le déficit. Il est très difficile actuellement d’avoir une liste exhaustive des programmes existants. En dehors des programmes nationaux et fédéraux répertoriés (5) , il existe de nombreuses initiatives communales ou privées non identifiées. Toutefois il semble que ces programmes peuvent être classés en trois groupes:
- Les programmes mis en oeuvre sans relation avec les banques;
- Les programmes mis en oeuvre par une structure bancaire, en général une structure
bancaire publique;
- Les programmes mis en oeuvre par un intermédiaire faisant le lien entre la banque et
l’entrepreneur.
- Les programmes de crédit en dehors de toute logique bancaire
A ce titre on peut citer le programme mis en oeuvre par la commune de Bremen depuis 1984 et qui accorde des crédits d’un montant de 20.000 DM à des conditions très avantageuses en terme de taux d’intérêt (2,5%) et de durée de remboursement (10 ans).
Le programme mis en oeuvre par la Lawaetz Stiftung à Hambourg est également un programme à l’initiative des pouvoirs publics visant à soutenir financièrement la création d’entreprise. Il s’agit d’un programme s’adressant en priorité à des entreprises de type coopératives et embauchant des chômeurs de longue durée.
Enfin le programme Goldrausch est également un exemple de programme de crédit en dehors de toute structure bancaire puisqu’il s’agit d’une association collectant des dons pour les redistribuer sous forme de crédits (max: 8.000 DM) à des femmes créant une entreprise.Ces programmes ont tous été mis en place dans le courant des années 80 avec une approche assez sociale. Certes la nouveauté était d’utiliser le crédit et non plus la subvention mais les conditions, critères et modes de gestion du crédit restent très proches d’une démarche plus caritative qu’économique. Il ne s’agit pas véritablement de crédit mais plutôt d’une aide remboursable. Les critères d’attribution reposent avant tout sur des critères de statut social (sans revenu, chômeurs, femmes...) plutôt que sur la viabilité du projet. Ces aides sont pour la plupart sans intérêts et la durée de remboursement est très longue.
- Les programmes mis en oeuvre par une structure bancaire publique régionale
La deuxième génération de programmes apparue dans les années 90 concerne les programmes de soutien par le crédit à travers les banques régionales (banques publiques au service des régions). Il s’agissait alors de réintégrer une logique bancaire et financière et de s’éloigner des programmes calqués sur l’aide sociale.
Un tel programme a été mis en place fin 1996 à Berlin dans le cadre de la Investitionsbank. Cette banque dispose de fonds issus de la région pour accorder des crédits d’un montant maximum de 30.000 DM à des chômeurs créateurs d’entreprises.
De même dans la région du Meklenburg-Vorpommern existe depuis 1996 un programme orienté vers les femmes géré par la banque régionale.Ces programmes se différencient des précédents dans le sens où il y a eu une prise de conscience de la nécessité d’avoir recours au savoir faire bancaire dans la gestion de microcrédits. L’appui aux chômeurs créateurs d’entreprise se fait sous un angle plus économique et financier. Toutefois le caractère régional et public des banques gérant ces programmes reste un problème. Il ne s’agit pas de banques pour des particuliers, il n'est donc pas possible d’avoir auprès de ces établissements l’ensemble des services attendus d'une banque classique. De plus ces banques sont très bureaucratiques et ont un mode de fonctionnement conçu pour la gestion de grands investissements à visée régionale et non des microcrédits s’adressant à des individus. Il y a donc une inadéquation entre la structure et son mode de fonctionnement et l’objectif visé. Enfin la fonction d’accompagnement des porteurs de projet a été dans ce cas complètement délaissée, limitant l’intervention à une aide financière.
Un nouveau programme a vu récemment le jour à Munich et qui semble être une expérience intéressante. Initié par la ville de Munich, mis en place à travers la Caisse d’Epargne (Sparkasse), ce programme a réussi à utiliser une structure bancaire de proximité et compétente pour la gestion de compte de particuliers. Lancée en Juillet 1998, cette initiative vise la distribution de crédit pour un montant maximum de 30.000 DM pour des chômeurs créateurs d’entreprise.
- Les programmes mis en oeuvre par une structure privée
Il s’agit de structures pour la plupart associatives mais indépendantes des pouvoirs publics. Cette nouvelle orientation actuellement à l’étude n’a pas encore été concrétisée. Des projets sont à l’étude dans le Brandenbourg, à Berlin et à Hambourg. L’objectif de ces projets est de concilier à la fois des exigences bancaires (taux d’intérêt du marché, exigence de rentabilité) et la mise en place de services de proximité pour les entrepreneurs en terme de suivi et conseils. Ces projets s’inspirent largement d’expériences telles que celles de l’ADIE (Association pour le Droit à l’Initiative Economique) en France ou de ART (Arston Investment Trust) en Grande Bretagne.
A travers l’échantillon de programmes ici présentés on observe une nette évolution au cours des années 90. Les programmes mis en place ces dernières années se sont très fortement rapprochés des établissements financiers. Certes cela est du à la législation bancaire selon laquelle seules les banques peuvent accorder des crédits mais aussi à la volonté de quitter la sphère du social pour adopter une approche plus économique et financière. On peut donc parler d’une certaine professionnalisation de la fonction de microcrédit confiée à des spécialistes de la finance. Toutefois cette nouvelle orientation s’est faite au détriment de la fonction d’accompagnement très importante dans le cadre de microprojets. Les structures d’appui non bancaires jouent un rôle très important dans ce domaine. Elles accompagnent souvent leur programme de crédit, de formations en comptabilité, management ou marketing et n’hésitent pas à se rendre régulièrement dans l’entreprise. Les établissements financiers raisonnent plus en terme de coûts/bénéfices et entretiennent de ce fait une relation beaucoup plus distante avec les bénéficiaires. La question est, comment concilier professionnalisme et suivi personnalisé, notamment en terme de coût et de pérennité des programmes mis en place ?
Aujourd’hui l’Allemagne confrontée à un taux de chômage croissant et aux limites du modèle de “l’économie sociale de marché” perçoit l’intérêt de la promotion de programmes de microcrédit. Inspirée des expériences françaises et anglo-saxonnes, une réflexion est aujourd’hui engagée sur les modalités de mises en oeuvre.
(1) Quack S., Hildebrant S., Hausbank or Fournisseur ? Bank Services for Small and Medium Sized Enterprises in Germany and France, WZB, 1995, p.3 (retour)
(2) Bankwatch 8/1995, p.125(retour)
(3) Kück M., Was tun bei drohender Insolvenz? Ursachen und Intervention, in Chancen und Risiken der Existenzgründung, BMW, Dokumentation Nr.392, p.3(retour)
(4) Kück M., Ibid, p.31.(retour)
(5) Zeitschrift für Gesamte Kreditwesen, Die Finanzierungshilfen des Bundes, der Länder und der internationalen Institutionen, Gewerbliche Wirtschaft, Ausgabe 1997/98 -
KPMG, IHK, DIHT, Handbuch der Fördermassnahmen für Mittelständische Unternehmen, Steueranreize und Förderprogramme, Juni 1997(retour)
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Horizon Local 1997 - 99
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