Le statut juridique
Une régie de quartier est une association de la loi de 1901. Il n’y a guère de choix. Ce statut peut cependant s’agrémenter de variantes diverses. D’abord une régie de quartier peut aussi être entreprise d’insertion. C’est de sa part un choix stratégique. Dans ce cas, l’entreprise d’insertion est une des activités de la régie. Il arrive que, dans le cas d’une telle intégration de l’entreprise d’insertion dans la régie, les pouvoirs publics (en particulier les Directions Départementales du Travail de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, DDTEFP), pour y voir clair, incitent à séparer les activités. Le point de vue de la régie est bien sûr attaché à l’efficacité de son intervention sociale, qui demande au contraire que les activités relevant de l’entreprise d’insertion et celles, globales, qui dépendent de la régie soient liées. Elles tiennent donc à mutualiser les deux types d’activités et les deux modes d’intervention.
- La question de la gestion urbaine
Les régies sont d'abord, dans leur nature, des instruments de gestion urbaine. Leur métier, c'est l'entretien de la ville. Ce qu'elles savent faire et ce pourquoi elles vendent leur travail, ce sont des prestations de nettoyage, d'entretien, d'embellissement de la ville.
Ce métier de la régie doit rester au cœur de sa pratique. La régie pourra ensuite diversifier ses activités. Comme n’importe quelle entreprise, elle pourra développer d'autres prestations ou services. Mais à condition que la gestion urbaine reste son identité professionnelle et qu'elle soit assurée avec le professionnalisme qui lui permettra d'aborder la concurrence avec succès sur le plan purement technique.
- De l’insertion par l’activité économique au développement solidaire
L’insertion par l’activité économique est une pratique née de la crise et du chômage. On dirait plus heureusement insertion par le travail ou intégration par le travail. L’idée part du constat que plus longtemps une personne est restée au chômage, plus il lui est difficile de recommencer à travailler. Cette difficulté vient du fait que le manque de travail est une calamité qui en amène d’autres. La relégation par l’absence de travail écarte les chômeurs d’une vie sociale normale. Des difficultés familiales, de santé, d’habitat, de voisinage s’ensuivent, et bien d’autres. Une des façons d’aider les gens en proie à ces difficultés à s’en sortir est de les accompagner dans leur remise au travail. Pour cela il existe de nombreuses organisations. Certaines entreprises ordinaires procèdent à cet effort. D’autres entreprises sont même spécialisées dans la démarche, ce sont les entreprises d’insertion. Les associations intermédiaires, les entreprises d’intérim d’insertion contribuent aussi à cet effort. Des groupements d’entreprises, les GEIQ (Groupement d’entreprises pour l’insertion et la qualification), mutualisent leurs moyens afin d’accomplir cette tâche difficile. Des associations de toutes sortes participent à ce mouvement dont le besoin est aujourd’hui loin d’être satisfait.Les régies de quartier contribuent à cet effort général. Une de leurs vocations est d’accompagner dans le retour au travail des personnes qui en avaient perdu les habitudes. Elles emploient des gens du quartier qui sont au chômage. Parfois elles emploient des personnes qui sont au chômage depuis longtemps. Cette mission difficile les oblige à mettre en place des méthodes et des moyens pour suivre ces personnes, pour les aider à comprendre le sens de leur tâche, à collaborer avec d’autres travailleurs, à respecter les procédures de travail, à rendre compte de leur mission. Parfois il faut aller plus loin : aider quelqu’un qui est aux prises avec l’alcoolisme ou d’autres drogues à s’en débarrasser de façon à pouvoir rester au travail. Ou bien accroître l’efficacité de quelqu’un d’autre qui s’exécute trop lentement. Ou encore aider celui qui n’arrive pas à se lever le matin, à être à l’heure, à saluer ses collègues, à être responsable de la tâche qu’on lui a confiée. Cette mission générale s’accompagne souvent de formation, d’encadrement rapproché, d’attention à l’ensemble de la personne.
Certaines régies de quartier choisissent, afin d’assurer de façon plus efficace ou plus approfondie cette mission d’insertion, de devenir, pour partie, des entreprises d’insertion. Elles peuvent alors disposer, après négociation avec la Direction départementale du travail de l’emploi et de la formation professionnelle, de postes d’insertion. L’attribution de tels postes offre des avantages, en particulier, le financement au poste. Mais, mis à part ce financement au poste attaché à la qualité d’entreprise d’insertion, les régies de quartier ne profitent, a priori, d’aucun dispositif particulier d’allégement, hormis ceux du droit commun.
Ainsi les régies sont-elles, pour partie, des structures d’insertion par l’activité économique. Lorsque le groupe porteur d’un tel projet se constitue, il lui faut donc vérifier si la forme qui lui convient le mieux est bien celle de la régie de quartier. La forme de l’entreprise d’insertion, de l’association intermédiaire ou de l’entreprise d’intérim d’insertion peut en effet être davantage appropriée que celle de la régie, qui implique d’autres dimensions.On a longtemps illustré la façon de faire des structures qui pratiquent l’insertion par l’activité économique par la métaphore du sas. Selon cette métaphore, la structure d’insertion est un endroit intermédiaire, un endroit entre deux, dans lequel la personne en insertion passe le temps qu’il faut pour se reconstruire. Une fois la personne remise sur pied, elle entrerait dans une entreprise ordinaire, pour un emploi de droit commun.
Nous ne reviendrons pas ici sur un débat qui met en question la pertinence de cette métaphore du sas. Le fait est qu’aujourd’hui les emplois standards dans les entreprises ordinaires sont de plus en plus rares et qu’il n'est pas simple de placer les personnes qui, ayant travaillé dans une régie, cherchent un autre emploi. Plutôt donc que de chasser des emplois devenus introuvables, certaines structures d’insertion ont tendance à construire et structurer une sphère économique modeste et originale fondée sur des valeurs de solidarité que suscite la crise de l’emploi. Cette démarche comprend les types d’entreprises et d’associations évoquées plus haut mais aussi d’autres outils de conseil, de constitution du capital, de gestion, de développement local. Secteur, mouvance, projet en cours, l’économie solidaire ou, mieux, l’économie de développement solidaire est en tout cas un réseau qui se place en contrepoids et en complément de l’économie de marché, qui aujourd’hui est destructrice d’emplois. Son sens est d’inverser le rapport de l’homme et de la machine économique. De définir l’économie comme une ressource pour les hommes et non pas les hommes comme une ressource pour l’économie.
Les régies de quartier dans des réseaux (2)
Deux facteurs conduisent les régies de quartier à lier leur action à l’intervention de réseaux. Le premier tient à leur modestie. Organisation de petites tailles et n’ayant pas vocation à croître, les régies ont besoin d’appartenir à des ensembles qui les dépassent de façon à peser sur les situations qu’elles rencontrent. La seconde raison a trait à la complexité du domaine des régies de quartier, complexité qui requiert la collaboration d’autres acteurs qui, de proche en proche, constituent des réseaux. Trois réseaux semblent organiser les relations des régies avec leur environnement.
- Le réseau local
Les réseaux locaux comprennent aussi bien des acteurs qui peuvent concourir, par sympathie ou intérêt ponctuel, à ce fonctionnement. Les réseaux sont, dans ce sens des tressages indéfinis de relations interpersonnelles et de confiance. On y trouve des personnes qui n’ont ou n’auraient aucune raison institutionnelle de soutenir les régies. Tel proviseur, tel chef d’entreprise, tel fonctionnaire de l’Etat font partie du réseau local par accident, par affinité ou par rencontre. Deux remarques s’imposent.
La première est qu’un réseau est par nature informel et qu’il convient de lui conserver ce caractère informel sous peine d’en faire autre chose (un système partenarial, une organisation). Le caractère informel du réseau permet à chacun de ses participants de conserver la liberté d’implication qui fait la valeur des implications. Le réseau est fondé sur une confiance, et la confiance se défie des engagements formels.
La seconde remarque est qu’un réseau n’existe que s’il est vivant. Il ne suffit pas de “connaître quelqu’un qui....”. Il faut que ce quelqu’un cultive avec la régie ou avec un de ses membres une relation vivante d’estime ou d’intérêt. Et donc la vie d’un réseau local constitué autour d’une régie de quartier, ou dans lequel elle prend place, dépend de la capacité de cette dernière à participer à son animation. Un réseau demande à être stimulé en permanence. Il faut organiser des rencontres, faire des visites, envoyer des courriers et des cartes de vœux, rédiger des notes et des journaux locaux, participer à des tables rondes.
- Le réseau professionnel
les régies de quartier ne sont pas seules à faire le travail difficile de l’insertion, du tissage du lien social, du développement solidaire. D’autres acteurs, en France, en Europe et ailleurs, réfléchissent de la même façon, ont des problèmes professionnels à résoudre. Il est indispensable que chaque régie se sente responsable du maintien de ce réseau professionnel.
Certains acteurs font partie naturellement du réseau professionnel. Ce sont par exemple les autres structures qui contribuent de façon désintéressée du profit, au tissage du lien social. Il faut citer les associations intermédiaires et les entreprises d’insertion, les organismes de développement local, les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, les associations caritatives.
Ce réseau est moins un réseau d’intervention qu’un réseau d’échanges de pratiques, d’apprentissage et d’approfondissement des pratiques. De la même façon, il demande à être activé en permanence. Activer un réseau de la sorte, c’est le nourrir d’échanges. Il faut écrire ses propres expériences et les transmettre, lire et entendre celles des autres, généraliser ce qui peut l’être, théoriser, publier. Les régies de quartiers appartiennent à une mouvance professionnelle qui se cherche. Elles ne peuvent pas chercher seules et ont besoin de repères comparatifs et de l’évaluation permanente des professionnels proches.
- Le réseau des régies de quartier
Le réseau des régies de quartier existe de façon formelle et même organisationnelle. C’est le Comité National de Liaison des Régies de Quartier, ou le CNLRQ. Le CNLRQ est à la fois une organisation et un réseau informel. Il convient de distinguer les deux. En tant qu’organisation, le CNLRQ fédère les régies par l’appartenance. Les régies adhèrent au CNLRQ parce qu’elles souscrivent à ses documents fondateurs, à ses orientations présentes, à ses façon de faire. Ces adhésions n’ont de sens qu’à condition d’une réflexion critique permanente qu’il est important de maintenir aussi vive que possible. Pourtant, par un jeu qui est celui du label, chaque régie se doit d’obéir à certaines règles de fonctionnement.
Par ailleurs, le CNLRQ est un réseau logistique. Il offre une grande variété de services aux régies qui le composent : la formation, la négociation collective vis-à-vis des pouvoirs publics et un forum de rencontres de toutes sortes et un mouvement de gens attachés à des pratiques communes.
(1) Extrait de “Topo-Guide, Des régies de quartier, tisser du lien social” de Marc HATZFELD, Ed. Desclée De Brouwer, 1998.
(retour)(2) L’état du réseau : plus de 130 régies sont adhérentes ou en cours d’adhésion (plus une trentaine de projets). 4 000 personnes par mois travaillent en moyenne dans une régie (2 500 équivalent temps plein) et 7 000 personnes sont employées au cours d’une année. Le réseau compte 2 500 administrateurs bénévoles et près d’un million d’habitants concerné. (retour)
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Horizon Local 1997 - 99
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