Pour nous, lorsque nous parlons de recherche action formation, les personnes ou les groupes de base occupent toujours une place centrale. Nous partons du point de vue que chaque personne possède la capacité d'activer sa conscience, que chacun est à la fois objet et sujet de sa propre recherche : apprendre sur soi-même - individu ou "grappe" - aide à apprendre sur les autres, de même que changer ou évoluer soi-même peut aider les autres à changer ou évoluer.
La R.A.F., telle que nous la pratiquons, part du principe qu'il n'y a pas de sens absolu. Tout est potentiellement signifiant, toute pratique a une signification, pour autant qu'elle soit interprétée dans son espace symbolique, là où elle a été vécue. Tout est potentiellement hypothèse, c'est-à-dire que tout exige d'être vérifié sur le plan de sa validité ou de sa pertinence. Les critères de vérification se découvrent ici et maintenant et relèvent du travail, de l'expérience et des représentations de tous les acteurs impliqués. En ce sens, l'approche est inductive : on part des gens et des situations réelles et actuelles. Les hypothèses portent autant sur la définition de la problématique que sur la validité des concepts pour la définir, ou des outils et méthodes pour agir. C'est pourquoi, nous préférons pour l'instant nous situer par rapport à une démarche, et non par rapport à des résultats. La démarche de recherche constitue l'essentiel, elle est étroitement reliée à une démarche d'expérimentation. Ainsi, le sens de ce qui se fait se construit dans la réflexion et dans la confrontation de ce qu'on croit avec ce qu'on observe comme effet de la mise en oeuvre d'hypothèses. La reconstruction de sens s'opère donc dans l'action, la recherche étant au départ et à l'arrivée du processus. Une pratique africaine, sans qu'on l'ait voulu d'aucune manière, rejoint ici une démarche d'ailleurs : "Le fait suggère l'idée, l'idée dirige l'expérience, l'expérience juge l'idée" (Claude Bernard).
L'action, prioritairement, est envisagée comme la poursuite ou le développement de situations préexistantes, de préférence à la création de situations nouvelles qui risquent toujours de n'être que la projection d'un univers mental propre à des intervenants extérieurs. L'action, selon nous, possède toujours plusieurs dimensions :
- elle répond à des objectifs immédiats, ce qui peut signifier, par exemple, s'attaquer à des problèmes concrets et pour cela mener des activités spécifiques,
- elle produit des effets attendus et inattendus, et génère des déviations par rapport à la "normale", ce qui était attendu et qui ne se passe pas,
- elle permet de vérifier les perceptions et les hypothèses sur lesquelles repose ce qui est entrepris; de ce fait, elle active l'imaginaire et les références symboliques de tous les acteurs,
- elle est formative, elle permet des apprentissages, de nouveaux modes de penser ou de raisonner, de nouvelles façons d'agir ou de s'organiser, de nouvelles manières de communiquer, mais aussi de nouveaux sens aux situations vécues et aux choses, de nouvelles perceptions, de nouveaux concepts.
Cet enracinement endogène de l'action, toutefois, n'est pas un dogme. Il n'exclut pas les mouvements, les bouleversements et les ruptures. D'abord parce que la vie sociale en grappe est faite de complémentarité et d'alliance d'une part, de tensions et de conflits d'autre part. Ensuite, parce que les techniques employées, acceptées ou imposées, bouleversent les rapports familiaux et sociaux. Enfin, parce que l'inévitable métissage des modes de penser, des modèles et des idéologies est lourd d'explosions possibles et brutales. La R.A.F. a alors à s'adapter et à s'impliquer dans des problèmes de changements des acteurs, celui de leur rôle et des règles de jeu.
Quoiqu'il en soit, le changement de regard qu'on porte sur les choses, sur les situations et sur ceux qui y sont impliqués est un résultat prévisible dans toute R.A.F. Il aboutit régulièrement à une révision du système de référence et de ses valeurs. Ce changement de regard naît chez tous les acteurs impliqués, aussi bien à la base que du côté des intervenants. Le changement n'est donc jamais pour les autres seulement : il s'apprend dans la réciprocité et dans l'interaction.
Dans l'optique d'une recherche action formation, un "projet" est aussi une sorte de laboratoire social. Tout ce qui se passe dans le cadre du projet est matière à recherche, tous ceux qui gravitent autour de son champ d'action, tous ceux qui y sont actifs sont en position de chercheurs. L'action elle-même devient espace de recherche, qu'il s'agisse du terroir, du champ, du puits, de la banque de céréales, de l'atelier, des rues... Les limites sont celles que se donnent les acteurs villageois ou bidonvillois : leurs préoccupations, leurs aspirations, leurs initiatives, mais aussi leurs conflits et leurs contradictions. Elles sont autant de points de départ ou de thèmes de recherche, pour les acteurs à la base d'abord, car c'est par rapport à eux que la situation de recherche se justifie, pour l'organisme d'appui ensuite qui y trouve aussi une occasion de s'interroger sur lui-même, de se remettre en question, de s'évaluer, bref, de se proposer lui-même comme thème de recherche.
(S : Ndione, ENDA)
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