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DEUX GRILLES DE LECTURE DES BESOINS/DESIRS


LA SOCIOLOGIE DES DESIRS (P. VIVERET, FRANCE)

Patrick Viveret évoque brillamment le côté composite de l'homme qui ne peut être réduit à des besoins quantifiables et prévisibles. Citons son texte paru dans Démocratie, passions et frontières : réinviter le politique et changer d'échelle (Fondation pour le Progrès de l'Homme, Dossier pour un Débat, no. 45, juin 1995).

(...) Si l'homme n'était qu'un être de besoins doué de conscience, bref un animal intelligent, 95% des problèmes auxquels est confrontée l'humanité depuis l'origine des temps ne se poseraient pas. Le seul problème aurait été en effet celui de la protection contre la nature et les espèces animales d'une part, l'affectation de ressources rares pour satisfaire les besoins (de subsistance, NDLR) d'autre part. Mais il se trouve que le principal problème de l'être humain, ce qui fonde notamment la violence sous toutes ses formes, c'est, pour l'essentiel, la difficulté du rapport avec ses semblables, et de son propre rapport à lui-même à travers la question du sens de sa vie. Et c'est dans l'ordre du désir et de l'angoisse que ces questions-là sont posées.

Regardons d'un peu plus près cette dialectique besoins/désirs. Les besoins de conservation qui permettent à l'espèce humaine de survivre et de se reproduire sont relativement simples. On peut les rassembler autour de quatre grands pôles :

- le besoin de subsistance dont la nourriture est évidemment la première caractéristique;

- le besoin de protection parce que le petit animal humain a besoin d'une protection contre l'environnement et l'hostilité des autres espèces;

- le besoin de reproduction;

- le besoin d'information et de repérage de façon à reconnaître les dangers qui viennent de l'environnement.

(...) Il faut évidemment satisfaire ces besoins. Chaque fois qu'ils ne le sont pas, c'est la mort de l'individu ou de l'espèce qui est au rendez-vous. (...)

Il faut donc nous intéresser aux formes que va prendre le désir, à ce que traditionnellement la philosophie nomme le problème des passions ou des émotions et que nous retrouvons dans ce leitmotiv des discours sur la ressource humaine, l'importance des motivations. Dans motivation il y a "moteur"; une émotion, c'est ce qui met en mouvement. Qu'est ce qui met en mouvement des êtres humains, c'est précisément ce désir qui va être organisé autour des quatre grandes passions humaines : richesse, pouvoir, amour et sens.

Et c'est alors que nous quittons cet univers à deux dimensions symbolisé par ce carré des besoins pour introduire la troisième dimension du désir.

La passion de richesse trouve ainsi sa racine dans le besoin de subsistance. Mais elle n'est pas seulement la satisfaction du besoin de subsistance, elle est désir d'accaparement et une façon de reculer l'angoisse de la mort qui s'exprime à travers le désir de richesse.

Pour le besoin de protection qui va donner naissance au politique sous toutes ses formes, on s'aperçoit très rapidement que l'on ne se contente pas de répondre à un besoin mais que se crée une sphère autonome animée par une passion spécifique, la passion de puissance. Ceux qui ont mis, ne serait-ce que la moitié d'un petit doigt dans un lieu politique, savent parfaitement que l'exigence du bien public est bien loin d'être la principale motivation qui réunit ceux qu'on y rencontre, à commencer par soi-même ! Le pouvoir est le siège d'une passion, la volonté de puissance et c'est bien pour cette raison qu'il peut être dangereux.

Le besoin de reproduction est très largement dépassé à travers la passion amoureuse. Et l'amitié, la convivialité, mais aussi l'érotisme ou le mysticisme sont des modes particuliers de ce désir constant qu'éprouve tout être humain d'être aimé et d'aimer.

Le besoin d'information et de repérage produit la recherche du sens, qu'elle prenne la forme de la religion, de l'idéologie ou de la science. Fondamentalement, le religieux, l'idéologie et le scientifique ont en effet la même origine : dans ce système de lutte contre la mort, construire du sens peut se faire aussi bien par la croyance que par la connaissance.

Ainsi le carré simple des besoins - protection, subsistance, information, reproduction - va se transformer en une sorte de cube du désir, où chacun des besoins est toujours présent mais se trouve prolongé et bouleversé par la logique du désir. (voir schéma no. 3)

Or, le propre du désir c'est d'être illimité. Le besoin se régule par la satisfaction. Le désir, lui, exprime le manque radical d'un être qui est voué à la mort et qui, par conséquent, ne peut jamais être satisfait en tant que mortel. Le désir, par nature, est explosif et c'est la raison majeure pour laquelle aucune passion n'a sa propre limitation en elle-même. Saint Augustin, Montesquieu et Freud, pour ne citer qu'eux, l'ont montré chacun dans un genre différent.

En somme, note Patrick Viveret, l'homme n'est pas un animal de besoins, il est un être de désir. Il connaît des passions qui viennent infléchir ses besoins. Ainsi le besoin de subsistance peut se traduire en boulimie ou en anorexie (manger trop ou trop peu). L'homme est conscient de la mort et en vit l'angoisse. L'homme, pourrait-on ajouter, a en lui la nostalgie de la transcendance et de l'immortalité, et en vit le désir. Les croyants sont appelés à expérimenter que seul Dieu peut satisfaire ce désir, immense béance au coeur de l'homme. Les néo-athées, vivant à leur manière la quête de spiritualité, entendent eux aussi respecter cette béance au creux de l'homme. Par contre, tout ce qui tente de combler cette béance (gadgets, argent, vitesse, consommation, pouvoir, savoir, grande bouffe, etc.) n'est que ballast et fuite devant l'appel du large (liberté, responsabilité) que renferme cette béance. Il faut oser reconnaître en soi cet appel à l'au-delà du besoin, l'appel du désir infini, ainsi que le décrit le psychanalyste Yves Pringent ("L'expérience dépressive", Seuil). Patrick Viveret note qu'il n'y a que depuis quarante ans que la question religieuse n'est plus, en Occident surtout, la question centrale du rapport social. Il cite à ce propos Marcel Gauchet "Le désenchantement du monde" (Gallimard, Paris 1986). Pour éviter toute interprétation qui excluerait de cette quête ceux qui ne se reconnaissent pas dans une "religion", on pourrait écrire plutôt que la quête du sens est la question centrale : elle est centrale au rapport social et au rapport de l'homme à lui-même. C'est la conviction de base qui sous-tend le travail du Réseau Cultures.

(Source : P. Viveret, FPH)

UNE APPROCHE MULTIPLE DES BESOINS (DESLOOVERE/FOURON, HAITI)

En Haïti, des amis du Réseau Cultures (Gerrit Desloovere; Maurice Fouron de l'ONG COHAN BRD) présentent de la manière suivante la nécessité d'une approche multiple de la "pauvreté" :

Tout projet traite soit de l'accroissement matériel ou pécunier (avoir ou "A") soit de l'acquisition de savoirs et techniques (savoir ou "S") soit d'affirmation de ses droits et d'acquisition ou de récupération de pouvoir (pouvoir ou "P").

Un projet peut traiter surtout du "A" (l'avoir, les besoins matériels) ou surtout du "S" (le savoir, les connaissances techniques, l'analyse de société, la mémoire collective, l'identité culturelle) ou surtout du "P" (le pouvoir au plan politique ou syndical; la participation aux débats sociaux internes ou externes). Il n'y a rien à redire quant à cette relative spécialisation de chaque projet pourvu qu'elle ne mène pas à ignorer des autres dimensions. Le projet idéal doit donc toujours inclure le centre grisé qui est à cheval sur les deux autres types de "pauvreté". Au Réseau Cultures on ajoute à ces trois sphères (dont le "S" a été élargi pour y inclure l'identité, ce que nos amis haïtiens ne récuseraient sûrement pas) un cercle qui les englobe tous les trois et qui représente la culture (C). C'est notre façon de résumer tout ce débat sur les besoins : il faut qu'ils soient définis à partir de la culture locale (voir la définition de celle-ci : ensemble complexe de ressources héritées, adoptées ou créées par un groupe humain pour relever les défis de son environnement).


Réseau Culture

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