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La reconnaissance de l'intérêt général


En conclusion d'une étude(1) pertinente et fort documentée portant sur la question du cadre juridique à imaginer pour faciliter - et, bien souvent, pour clarifier - la gestion d'activités développées aujourd'hui - à défaut de structure juridique mieux adaptée - sous le couvert d'associations régies par la loi du 1er juillet 1901, Bruno Colin propose des éléments de synthèse qui, comme il le suggère lui-même, invitent à débattre... c'est-à-dire, en l'occurrence, à exprimer quelques désaccords et quelques inquiétudes.

On le sait, ce débat est ancien. Pour n'évoquer que la situation française, le socialisme utopique de la deuxième moitié du 19e siècle, le mouvement coopératif et/ou mutualiste du début du 20e ont, chacun à leur manière, cherché des voies alternatives à l'entreprise capitaliste au sein de laquelle le "producteur-vendeur de sa force de travail" ne tire pas profit des richesses qu'il contribue à produire, puisque, pour le décrire d'une façon quelque peu caricaturale, l'objectif principal est d'extraire la plus-value la plus importante possible, le plus rapidement possible et pour un temps aussi long que possible.

Dans une période plus récente (les années soixante et soixante-dix de ce siècle), nombre d'économistes et/ou de militants associatifs et politiques (dont les figures emblématiques se nomment Michel Rocard, et, surtout, Jacques Delors) ont cherché à formaliser une théorie de l'économie du secteur non marchand, parfois appelé tiers secteur. Dans l'actualité immédiate, le plan pour l'emploi élaboré par Martine Aubry(2) est largement fondé sur l'hypothèse selon laquelle des besoins sociaux non couverts par le marché pourraient générer des emplois au sein du secteur public ou d'un secteur de droit privé proche du secteur public. On pense immédiatement aux associations.

Par rapport au débat relancé par Bruno Colin sur la définition d'une forme juridique nouvelle, c'est en effet plus l'évolution récente de la vie associative, et surtout son insertion de plus en plus grande dans le champ économique qui pose question que le développement d'une économie sociale fondée sur d'autres finalités que la recherche du profit (au sens de la rémunération d'un capital, propriété des actionnaires de l'entreprise) pour lesquelles des formes juridiques adaptées existent(3).

Le problème se pose dès lors que les activités de l'entreprise(4) ne peuvent pas (provisoirement ou dans le long terme) trouver un équilibre d'exploitation sur les seuls usagers (bénéficiaires ou clients, peu importe) et qu'elles répondent à un besoin - social ou autre - nettement identifié.

Cette situation peut également être celle de l'entreprise du secteur marchand : on sait, par exemple, qu'une nouvelle publication(5) mettra un certain temps à trouver son lectorat, à atteindre son point d'équilibre, puis à rapporter de l'argent (produire des excédents transformables en dividendes).

Dans le cas du secteur marchand, les choses sont relativement simples : le capital versé est là pour constituer une garantie (voire une réserve de trésorerie) et le système bancaire sait apporter son concours (dès lors qu'il peut obtenir des garanties souvent exorbitantes, mais c'est une autre histoire).

Dans la partie associative du secteur non marchand, les choses sont plus complexes. Le système bancaire est plus que réticent : il assimile absence de capital et absence de responsabilité dans la gestion. Encore faut-il bien définir ce dont nous parlons : le secteur associatif s'est engagé dans des actions à caractère économique (voire en concurrence avec le secteur marchand) pour deux raisons essentielles.

Dans la tradition française, les associations ont inventé des besoins sociaux, des activités, des services, des modes d'action relevant de ce qu'il est convenu d'appeler l'intérêt général. Pour différentes raisons (au premier rang desquelles il faut placer la recherche de la plus grande justice sociale possible, donc la lutte contre les inégalités de toutes sortes, mais ces aspects déontologiques ne sont pas les seuls à devoir être pris en considération), elles se sont tournées vers les collectivités publiques (l'État, les communes, les départements et, depuis leur création récente, les régions) pour rechercher des financements complétant (voire remplaçant) ceux d'origine caritative (dans le cas de ce qu'on appelle aujourd'hui l'action sociale) ou provenant des bénéficiaires eux-mêmes.

De ce point de vue, j'estime qu'il est à la fois erroné et dangereux d'affirmer que " la notion de but non lucratif doit être mise en valeur comme contrepoint de la volonté de porteurs de projets à développer des activités par essence déficitaires ". Pris dans son sens premier, le mot "déficit" évoque un fait : l'absence de couverture de la totalité des charges par les recettes. Mais dans le discours quotidien, il est connoté négativement : un déficit est considéré comme provenant d'erreurs de gestion, voire d'actes délictueux. En termes d'histoire, les activités dites d'intérêt général prises en charges(6) à l'initiative des associations ont souvent été érigées en services publics, certaines d'entre elles étant ensuite directement gérées par une collectivité, mais dans nombre de domaines, le secteur associatif est l'unique (ou presque) gestionnaire du service public.

Dès lors, la question n'est plus de savoir si ces activités sont ou ne sont pas déficitaires par essence. Elle devient celle des conditions de financement des services et des activités d'intérêt général et/ou de service public et des politiques redistributives que la puissance publique assume dans une perspective de maintien de l'équilibre social. Dans ce raisonnement, la subvention (qui est une libéralité qui ne revêt aucun caractère d'obligation) devient une modalité caduque - et génératrice d'effets pervers - d'intervention de la puissance publique.

Le conventionnement sur la base d'objectifs lorsqu'il s'agit d'accompagner l'initiative citoyenne, la délégation de service public(7) lorsqu'ils s'agit d'enjeux et d'activités considérés comme tels par la (les) collectivité(s) publique(s) concernée(s) m'apparaissent être des instruments d'équilibre économique (et politique) à privilégier.

Notons au passage que les activités de services de solidarité ou de proximité ne sont pas les seules à pouvoir être analysées comme proposé ici.

Contrairement à ce qu'écrit Bruno Colin, le spectacle vivant (au même titre que nombres d'autres domaines de la création artistique) ne peut pas s'assimiler aux services de proximité. La production artistique répond à d'autres logiques(8) et son économie d'ensemble ne peut donc être que différente, même si l'équilibre général de l'économie de ce secteur ne peut être obtenu que grâce à des financements publics importants. Ils se justifient non pas parce que ces activités sont déficitaires par nature, mais parce que les formes les plus exigeantes de la production artistique ne peuvent/doivent pas être subordonnées aux logiques de marché et que la tradition française (que d'autres pays ignorent et, souvent, nous envient) considère qu'il est d'intérêt général de protéger des logiques de marché par l'affectation de ressources publiques (c'est-à-dire par un effort de la collectivité tout entière)(9).

Dans ces conditions, ce n'est pas le fait qu'une société (au sens "forme juridique de l'entreprise") soit à but non lucratif (qui) devrait induire avec un certain automatisme des allégement de charges, c'est la nature et les finalités artistiques, culturelles, sociales, etc. et leur importance pour l'intérêt général et le service public (définis, à partir de critères précis, par des assemblées élues(10) et politiquement responsables, chacune pour leur territoire) qui devraient ouvrir droit à l'inscription dans un droit (fiscal avant tout, mais aussi social, pourquoi pas ?) spécifique (c'est-à-dire différent de celui qui s'applique à l'entreprise à but lucratif) et protecteur.

Il faut toutefois être très prudent sur les spécificités de ce droit. En matière de T V A, par exemple, le fait que certaines activités soient assujetties à des taux réduits constitue déjà un avantage important qu'il ne faudrait pas perdre au nom de la recherche d'exonérations trop systématiques. Par ailleurs, une application stricte de la législation actuelle éviterait d'ores et déjà certaines dérives. Par exemple, il n'y a pas automaticité entre assujettissement à la T.V.A. et à l'impôt sur les sociétés(11).

C'est du point de vue de la gestion désintéressée et du point de vue de celle qui fait appel aux citoyens souhaitant accompagner bénévolement le développement de (ces) activités qu'il y a à inventer des formes juridiques mieux adaptées(12).

Enfin, il faut insister sur le fait que la création d'une forme juridique nouvelle de société non profit, véritable entreprise n'ayant pas pour vocation de rémunérer un capital apporté par des actionnaires ne doit pas porter atteinte à la loi du 1er juillet 1901.

La forme associative doit demeurer un instrument privilégié pour que deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une façon permanente leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que le partage des bénéfices(13), car toutes les associations n'ont pas vocation à intervenir dans le champ économique ou à gérer des activités d'intérêt général ou de service public.


OPALE - Culture et Proximité - numéro 4

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