Par Anne-Marie Grozelier
Les services de proximité sont revenus à la mode. Le thème apparaît de plus en plus souvent dans le discours public ; mais limité à l'approche pour le moins étriquée et réductrice de la logique administrative qui a préludé à son retour sur le devant de la scène. Pourtant l'idée n'est pas nouvelle. Elle avait déjà pris tout son relief dès la fin des années 80 lorsque Pierre Héritier plaçait les services de proximité au coeur du nouveau type de développement dont il esquissait les contours pour donner toute sa substance à l'hypothèse d'une croissance plus qualitative, plus riche en services, répondant mieux aux aspirations du corps social .
Pour faire droit à la richesse de la notion de services de proximité et montrer son rôle de vecteur d'une nouvelle croissance soucieuse d'utilité sociale, il convient de ne pas replier cette idée sur une dimension purement économique ou dans une logique purement administrative. Il faut au contraire jeter la lumière sur la multiplicité des dimensions qu'elle recèle. La réflexion sur ces activités nouvelles doit s'appuyer sur une problématique qui croise l'économie, la démocratie, la politique de service public et l'égalité des sexes. Dans la perspective d'un nouveau type de développement ces services peuvent apparaître comme un nouveau secteur économique en voie de constitution. Le présent numéro de Devenirs voudrait recenser les différentes questions que son émergence devrait porter au jour.
A quel type de demande s'agit- il de répondre ?
Au seul vu des évolutions socio- démographiques il est manifeste que ces activités répondent à une responsabilité aussi bien publique que privée pour faire face aux problèmes liés au vieillissement de la population, à la déstructuration familiale, à la modification des rapports entre les sexes, à l'urbanisation croissante et la désertification des campagnes. Toutes ces tendances qui caractérisent l'évolution de la société modifient à tel point la nature des problèmes que, pour y répondre, ce nouveau secteur des services s'impose comme une évidence et une forme sociale originale. Sa singularité tient d'une part au fait qu'il se situe en permanence aux frontières du privé et de l'économique. Elle tient d'autre part au fait qu'il renvoie à un univers largement féminin, tout au moins au stade de son développement actuel. En effet, les salariés sont le plus souvent des femmes, les usagers sont le plus souvent des femmes, les services rendus sont le plus souvent une version commerciale d'activités considérées comme traditionnellement féminines, enfin ces services sont rendus le plus souvent au domicile de l'usager, c'est-à-dire dans l'espace privé considéré longtemps comme l'apanage des femmes.
Compte tenu de ces spécificités comment la production de ces activités peut-elle s'organiser ?
Pour stabiliser et asseoir l'assise de cette activité économique naissante, il importe de satisfaire à deux impératifs considérés par certains comme contradictoires : la garantie pour l'usager d'une prestation de qualité et la garantie pour les salariés d'un contrat de travail décent. Soutenir un tel paradoxe implique d'appréhender ces activités dans toute leur complexité en écartant d'emblée les approches qui consistent à les considérer comme dérivées des activités domestiques traditionnelles pour ne pas dire des petits boulots.
Des prestations de qualité
Il faut bien comprendre que ces activités dès lors qu'elles ne sont plus effectuées par la femme du foyer changent profondément de signification Elles font appel à d'autres compétences et surtout des formes d'organisation du travail très élaborées.
- Le service ou l'intervention qui consiste à vaquer au ménage d'une personne dépendante n'a pas du tout le même sens et ne s'insère pas dans la même organisation du travail selon qu'il est accompli par un membre de la famille ou par une intervenante accomplissant un acte rémunéré. En effet, l'acte professionnel est débarrassé d'un certain parti pris affectif, mais fait intervenir des compétences relationnelles ayant pour effet d'élargir l'univers de la personne aidée. Dans ce cas l'intervention doit se positionner à l'endroit qui convient : non pas dans une position de maternage mais dans une position de restauration de l'autonomie de la personne.
- Ainsi définies ces activités ne peuvent être produites que dans le cadre d'entreprises (associatives ou autres) dont la gestion et l'organisation du travail permettent l'analyse de la demande, c'est-à-dire de la situation de la personne à aider, afin de définir des modalités d'intervention bien positionnées, de donner la formation adéquate à l'intervenante, d'assurer la médiation avec la personne aidée et la famille, enfin d'exercer le contrôle et le suivi de toutes les interventions.
Le fait que certaines de ces activités font appel à des compétences précises montre combien il est dommageable pour le développement à grande échelle de ce secteur de vouloir insérer ces activités dans le cadre des politiques administratives de réinsertion des personnes en difficulté. C'est malheureusement ce qui se passe actuellement dans certaines associations de services à domicile pour personnes âgées qui ne recrutent comme intervenantes que des personnes en grande difficulté sociale. La qualité de la prestation est faible, quand bien même elle n'a pas pour effet d'aggraver la dépendance de la personne.
Des contrats de travail décents
Reconnaître la complexité de ces métiers, et la nécessité d'en développer le professionnalisme implique de rémunérer ces prestations à leur juste prix c'est-à-dire avec un salaire décent.
Vouloir se positionner dans la log i- que d'un autre type de développement qui favorise l'autonomie sociale du travailleur et du citoyen c'est faire en sorte de lui assurer une rémunération de base correcte et un nombre d'heures de travail suffisant, ce qui nécessite une organisation du travail et une gestion de la demande d'intervention assurant un niveau de revenu optimal aux salariés de l'entreprise.
Réfléchir sur la manière dont se constitue le secteur des services de proximité ne peut se faire sans mettre au centre de la problématique la définition d'un statut professionnel des salariés (exerçant leur activité dans un milieu privé) assorti de toutes les garanties inhérentes au maintien de la dignité du travailleur / citoyen, respect du code du travail, protection des conventions collectives, garantie d'un salaire décent.
Soutenir et solvabiliser la demande
Nous abordons ici le dernier volet de la problématique des services de proximité, le volet économique. Si nous voulons que ce secteur naissant se développe selon une logique qui épouse la complexité et la professionnalité de ces emplois, qui encourage l'égalité entre les sexes et une certaine démocratie par le maintien de l'autonomie sociale des salariés, nous devons en assumer les conséquences : ces activités ont un coût élevé. Les consommateurs seront-ils alors tentés de s'en détourner ? Nous voici au noeud du débat et face à une alternative :
- Soit réduire le coût de ces activités en diminuant les salaires et les coûts de gestion dont on a vu la complexité, mais en réduisant du même coup la qualité de la prestation et en sacrifiant les principes de démocratie et d'égalité entre les sexes ; il faudra alors encourager la relation de gré à gré, le face à face employeur/salarié recréant ainsi un système clos, une r elation de dépendance contraire aux principes démocratiques de l'autonomie du travailleur citoyen. Dans cette hypothèse les femmes seront les grandes perdantes.
- Soit pratiquer les prix réels et encourager la consommation de ces activités à leur juste prix en solvabilisant la demande et en éduquant le consommateur. C'est là qu'interviennent tous les mécanismes de solvabilisation par des sources diverses.
Or si l'on considère, ainsi que la Suède en offre l'exemple, que certaines de ces activités, notamment en direction des enfants et des personnes dépendantes, correspondent à de véritables missions de service public, le principal bailleur de fonds pourrait bien être les pouvoirs publics, les collectivités locales, enfin les comités d'entreprises.
Avec les textes présentés ci-après, nous avons voulu sortir les services de proximité du champ exigu o les confinent des politiques d'emploi sans audace. Que l'avenir appartiennne largement au développement des services, l'idée est désormais courante. Il convient de la déployer, d'en montrer la richesse, les développements possibles et lui donner la lumière qu'elle mérite. Ce numéro s'efforce d'y contribuer.
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Horizon Local 1997
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