Le texte qui suit reprend l'introduction réalisée par Michel Mousel, Président de l'association 4d, lors d'une journée de réflexion organisée par 4D le 3 juillet dernier à la Bergerie Nationale de Rambouillet sur ce thème (actes disponibles à l'association).
Développement durable et Aménagement du territoire, des préoccupations communes
En terme stratégie politique, le développement durable relève de la volonté d'apporter des réponses à trois types de crises dans lesquelles vit notre société aujourd'hui:
- la crise de la perte de sens de l'économie, notamment par sa "financiarisation,"
- la crise due à la destruction du lien social,
- la crise de survie à terme des ressources et du fonctionnement des écosystèmes.
Le Développement Durable n'est pas simplement l'addition des trois dimensions du triptyque constitué par la dimension économique, la dimension sociale et la dimension écologique, mais c'est la recherche des éléments qui, de manière transversale, apporte à ces trois crises des réponses qui se complètent les unes les autres sur chacun de ces trois champs. Le Développement Durable n'est donc pas un concept fermé, forgé définitivement: c'est une stratégie en formation, notamment en rapport avec l'action.
Cette vision du Développement Durable a forcément des dimensions territoriales variées. Les conférences internationales des Nations unies en abordent la dimension planétaire et non sans mal puisque les trois crises sont exacerbées dans les rapports Nord-Sud et Est-Ouest. Mais on peut redécliner le Développement Durable sous des formes diverses à des niveaux territoriaux divers.
Vu sous langle de l'aménagement du territoire, on peut redécliner les trois éléments clés du Développement Durable. C'est une des raisons pour lesquelles on trouve une forte possibilité d'adéquation de chacun des éléments.
- L'Aménagement du Territoire, au moins historiquement, a d'abord été une volonté de ne pas laisser les mécanismes économiques fonctionner dans leur plus grande spontanéité, notamment quant à la localisation des activités. Il y a l à, à travers toute la problématique de la régulation du développement des territoires, une volonté de répondre, par exemple dans la réflexion sur la localisation des activités, aux problèmes d'urbanisation et de désertification du territoire, donc aux problèmes sociaux à la fois du monde urbain et du monde rural.
- Dans l'introduction au débat sur l'Aménagement du Territoirede 1994, un éminent protagoniste expliquait : "la crise sans précédent que nous connaissons a laissé apparaître une réalité brutale. La concentration de la population dans les villes et dans les banlieues, la déchirure du tissu social qu'elle provoque, l'exclusion de pans entiers de notre territoire de tout avenir, l'inégalité croissante entre certaines catégories sociales menacent notre conception de la communauté nationale que consacre cependant notre constitution. Si rien ne venait corriger ces effets ce sont les valeurs même de notre république qui seraient mises à mal."
L'orateur était .... Edouard Balladur mais l'inspiration était à l'évidence pasquaienne. Il y a dans ces propos des lignes de force qui rejoignent l'esprit même de ce qu'est l'aménagement du territoire.
- Et puis enfin, il y a dans l'Aménagement du Territoire, toute une problématique de valorisation de l'activité en fonction des ressources existantes, ce qui rejoint l'une de nos problématiques de Développement Durable. Pour résumer le rapport Brundtland (ONU, 1986) c'est l'affirmation très forte et fondamentale que l'environnement est une ressource économique majeure, et que ne serait-ce qu'à ce titre là, l'environnement doit être considéré comme un patrimoine essentiel à gérer, à manager et à ménager.
S'attaquer aujourd'hui de manière conjointe à l'aménagement du territoire et au Développement Durable est politiquement justifié car les difficultés de ces deux domaines ont quelques rapports et on peut envisager des actions de réciprocité des impacts positifs (double-dividende).
La mise en pratique du Développement Durable ne va pas sans difficulté, faute de moyens et de volonté politique comme l'illustre l'échec de la conférence de New York de juin dernier, 5 ans aprés Rio. Celle de l'aménagement du territoire non plus.
A l'échelle nationale, ceci peut s'illustrer d'une part par le décalage qu'il y a eu entre les objectifs ambitieux affichés par la loi Pasqua, et ce qui a été fait ensuite, et d'autre part par le vide de l'intervention de clôture par Alain Juppé des Assises nationales du Développement Durable.
On ne peut que constater la difficulté qu'avaient ces domaines (Développement Durable et Aménagement du Territoire), pour des raisons politiques, à se prendre en charge l'un et l'autre en dépit des volontés.
Les Assises nationales du développement durable s'étaient fondées sur des Assises régionales du Développement Durable riches en matière de politique de l'environnement. Mais on y trouve finalement peu de choses, sauf ponctuelles et expérimentales, qui touchent vraiment à une conception parlante du Développement Durable, de la politique de l'aménagement du territoire. Et autant le terme Développement Durable est bien cité deux ou trois fois dans la loi Pasqua, autant on n'a pas pu trouver ensuite comment cette intention pouvait se traduire véritablement dans les faits. Le bilan, c'est donc pour beaucoup une panne de moteur qui paralyse l'un comme l'autre.
Six questions fondamentales pour aménager le territoire de façon durable
Afin d'approfondir le diagnostic que l'on peut en tirer de manière transverse, six questions paraissent aujourd'hui fondamentales :
Question 1 : Faut-il se contenter d'actions correctrices ou bien aller beaucoup plus loin en adoptant une politique volontariste ?
L'Aménagement du Territoire, politique fortement volontariste, a eu tendance à évoluer, le libéralisme aidant en tout cas jusqu'à la loi Pasqua, dans un sens de correction des défauts notamment de localisation des activités. C'est aussi un des grands problèmes de la politique de l'environnement. D'une certaine façon, ce qu'il y a entre autre de novateur dans le Développement Durable par rapport à l'environnement, c'est précisément de ne pas rester dans le champ des politiques correctrices des effets destructeurs sur l'environnement ; il s'agit au contraire de reprendre les problèmes beaucoup plus en amont et par conséquent de reconstruire des modes de production et de fonctionnement de la société dont l'une des caractéristiques est d'être plus respectueux de l'environnement. On a donc bien un rapprochement dans la nature des politiques.
Question 2 : Faut-il privilégier l'expérimentation ou l'action ?
L'expérimentation est une tentation extrêmement forte dans certains domaines d'application de l'environnement. C'est ainsi que le ministère de l'Environnement, confronté à l'ampleur des tâches, met en exergue quelques domaines o des réalisations plus ou moins exemplaires sont possibles, en espérant que cela fera tache d'huile. Cette préférence pour l'expérimentation n'est-elle pas un obstacle au rapprochement entre la politique de l'environnement et l'Aménagement du Territoire ?
Si d'un côté la politique d'Aménagement du Territoire vise à mettre en valeur quelques expériences de développement local limitées en nombre, et si de l'autre côté le développement durable s'attache à quelques parcs régionaux et réserves naturelles, on n'arrivera pas à marier Développement Durable et Aménagement du Territoire. Si ces politiques ne se limitent pas à cela, alors comment peut-on articuler ce qui est intéressant du point de vue de l'exemplarité des expérimentations avec la capacité à gérer l'ensemble des problèmes et à faire avancer la société dans ces deux domaines ? On voit à quel point il est à la fois intéressant et dangereux d'une part de toujours s'appuyer sur quelques expériences de développement local réussies, d'autre part de magnifier les expérimentations de parcs naturels ou de micro-politiques d'environnement urbain de ci ou de là. Il y a vraiment là un problème de dimension de l'action. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'expérimentation mais bien de poser le problème de la relation entre l'expérimentation et ses formes de généralisation.
Question 3 : Centralisation ou décentralisation ?
On peut mettre en parallèle les niveaux auxquels les problèmes se posent dans l'Aménagement du Territoire et dans le domaine de l'environnement : mondialisation, construction européenne, politique nationale, régionalisation, développement local. Ainsi les problèmes d'intercommunalité qui existent en matière d'environnement sont aussi des problèmes du développement économique des pays. Les uns et les autres dépassent le cadre des limites administratives ou politiques traditionnelles (canton, département). On peut trouver paradoxal que l'Aménagement du Territoire, qui vise à une vie locale plus riche, soit en même temps une politique impulsée de manière extrêmement centralisée par le pouvoir.
Le problème est donc celui des rapports entre des niveaux de volonté et d'impulsion de politiques nationales voire régionales qui s'expriment fortement et les niveaux de réalisation des initiatives locales qui font appel à des réseaux locaux, à de la spontanéité, à de la solidarité. Le problème se pose donc en termes identiques pour l'environnement.
Question 4 : Despotisme ou démocratie ?
Il y a du côté de l'environnement une extrême prudence des associations par rapport à la décentralisation. Depuis 1981, des associations dont la vie même est une vie d'actions à un niveau décentralisé expriment leur crainte que les institutions décentralisées aient trop de pouvoir. Elles voient en l'ƒtat le garant suprême de la protection de l'environnement et attendent qu'il impose ces décisions comme un Etat "despote éclairé". On peut faire le même constat pour les questions d'Aménagement du Territoire. La libre initiative, les préférences d'institutions plus discrètement soumises au suffrage universel paraissent s'opposer par nature à une vision de l'espace plus large, du temps plus vers le long terme. La solution à la paradoxe n'est sans doute pas très éloignée dans les deux cas.
Question 5 : Comment articuler financements publics et financements privés ?
On ne peut continuer à raisonner comme si aucun butoir n'existait dans le domaine des finances publiques. Il faut inventer des mécanismes financiers permettant de mieux combiner financement public et financement privé dans les deux domaines que sont l'Aménagement du Territoire et l'Environnement.
Question 6 : Quelle prise en compte des facteur emploi et facteur ressources dans les choix économiques ?
Cela concerne la manière d'aborder les choix économiques dans une conjoncture dominée par les problèmes de sous-emploi.
L'Aménagement du Territoire se doit d'apporter des réponses au chômage. L'environnement pose aussi des problèmes relatifs à l'emploi. La façon dont le nouveau ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire a annoncé ses premières décisions sur ce qui n'allait pas être fait ou continuer (TGV, autoroutes, Creys-Malville, Rhin-Rhône ...) est très maladroite et contre-productive, en poussant à des réflexes de défense et protectionnistes, au lieu d'insister sur les alternatives qu'il se propose de mettre en oeuvre.
Si l'on veut agir dans un souci de Développement Durable, la problématique concernant les grandes infrastructures et l'emploi est biaisée par une mauvaise prise en compte de l'économie des ressources dans le système décisionnel. Une rencontre entre spécialistes de l'Aménagement du Territoire et spécialistes des ressources environnementales est de ce point de vue urgente pour que l'on commence enfin à savoir valoriser la variable environnementale dans les choix d'aménagement.
Et puis il faut réintroduire dans le calcul économique non seulement la valeur des ressources mais aussi le coût évité de l'indemnisation du chômage. Ce dernier est rarement inclus dans le calcul économique et presque toujours oublié dans l'internalisation des coûts environnementaux. Ceci contribuerait à modifier grandement les choix et les politiques d'infrastructures.
Comment peut-on comparer le kWh du nucléaire au kWh de l'éolien, ou encore au kWh économisé en énergie si on ne prend pas en compte le facteur économie des ressources naturelles et le facteur du travail ? Si le système alternatif consomme beaucoup de travail et que l'on n'inclut pas cette dimension, c'est un manque important pour la rationalité des décisions en matière d'Aménagement du Territoire et d'Environnement.
Les réactions relatives aux conséquences sur l'emploi de l'arrêt de grands projets douteux tant pour l'environnement que du point de vue de leur viabilité économique soulignent l'importance de cette dernière question.
Aussi, afin de poursuivre les réflexions engagées ici, 4d organisera le 10 septembre prochain avant la conférence emploi-salaires une journée de travail consacrée à "l'emploi et le développement durable" ou l'on verra, sans doute, que si le nouveau gouvernement s'est doté d'un outil potentiellement performant en réunissant l'aménagement du territoire et l'environnement, il reste aussi à inclure la problématique du développement durable dans le dialogue social lui-même.
Pour plus d'informations, contacter:
Fondation Ailes
7 impasse Charles Petit - 75011 PAris
Tél.: 01 43 56 86 40 - Fax: 01 44 64 72 76
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Horizon Local 1997
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