Par Gilles Strawczynski , auteur d'un mémoire de DESS Associer les jeunes d'ici et de là-bas
Le bilan de la coopération entre États étant plutôt mitigé, les collectivités locales et les associations ont commencé à pointer leur nez dans le domaine de la coopération décentralisée. Avec plus de proximité et de solidarité, mais sans éviter le saupoudrage. Nous le savons aujourd'hui, le XXe siècle a été marqué par la très grande diversité de l'évolution politique, sociale et économique de l'ensemble des pays de notre planète. Selon les régions, le niveau d'instruction, les conditions d'hygiène et la qualité de l'alimentation donnent lieu à des disparités énormes. Celles-ci, organisées géographiquement selon un axe Nord -Sud, ont nourri, à partir des années cinquante, de nombreux débats autour des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre ces inégalités. Les recherches et les propositions sur la manière de concevoir les aides se sont très vite focalisées sur le concept de développement.
L'apparition de cette notion et de ses corollaires - le sous-développement et l'aide publique au développement - au cœur des choix stratégiques sur les échanges internationaux est relativement récente. Ce n'est en effet qu'en 1955 qu'une aide massive va être apportée aux pays du tiers-monde, le terme d'aide publique au développement n'étant officiellement retenu qu'en 1969 par l'organisation de coopération et de développement économiques (lire l'encadré page 8 sur le dernier rapport de l'OCDE).
Il va de soi que, dans le climat de guerre froide de l'époque, ces enjeux furent l'objet de luttes idéologiques très fortes entre les modèles néo marxiste et libéral. L'approche quantitative développée par Rostow et son fameux big push, fidèle à la théorie évolutionniste formalisée par Smith, fut dominante jusqu'aux années 70. Il s'agissait, dans l'esprit de son concepteur, de rattraper un retard économique. Pour lui, toute société passe par cinq étapes : la tradition, la transition, le décollage, la maturité et la consommation de masse.
Développement endogène
Les pays du Sud doivent donc franchir le plus vite possible le fossé qui les sépare de l'occident, imposé ici comme modèle. Ces sociétés traditionnelles perçues comme immobiles doivent entrer dans l'histoire, Rostow proposant pour cela un apport massif de capitaux permettant le décollage souhaité. On assistera ainsi dans les années 50-60 à l'essor des projets et des banques de développement et à la construction d'infrastructures lourdes.
À l'autre bout du champ politique, les néo-marxistes vont dénoncer l'impérialisme et les multinationales et défendre les idées de développement endogène favorisées par des mesures de nationalisation, planification et réforme agraire. Comme toute politique définie à grande échelle, il a fallu de nombreuses années pour effectuer les bilans nécessaires à d'éventuels réajustements. Les analyses critiques se sont multipliées, remettant très sérieusement en cause les modèles utilisés. Ainsi, ces modalités de coopération ont créé dans de nombreux cas des comportements d'assistanat, dus en particulier à la passivité de la population qu'on a cru bon d'écarter des choix politiques fondamentaux.
Ensuite, cet apport massif de capitaux, effectué le plus souvent sans condition, a eu pour effet de retarder les réformes structurelles indispensables. Consentie sans véritable projet, l'aide a donné lieu à des détournements, alimentant la corruption et la mégalomanie de certains dictateurs.
Cette coopération fut dans la plupart des cas davantage inspirée par l'intérêt des pays donneurs que par celui des États concernés. On peut ainsi observer qu'aujourd'hui, les nations les plus puissantes abandonnent le continent africain au profit des pays de l'Est, de l'Asie et de l'Amérique du Sud, alors que cette région du monde demeure profondément sinistrée.
Les dettes contractées tout au long de ces années, ajoutées aux réformes structurelles exigées par le fonds monétaire international (FMI) et la banque mondiale notamment, orientent certains dirigeants vers des choix économiques prenant davantage en compte les contraintes du marché mondial que les besoins réels de leur population.
Le développement humain, par le biais de la santé, de la culture et de l'éducation ne représente environ que 10 % des sommes mises en jeu. Même si l'autosuffisance alimentaire de l'Inde, l'éradication de la mouche tueuse en Afrique du Nord ou encore la révolution verte en Asie sont des exemples non négligeables d'effets positifs des politiques de coopération, on constate tout de même que le bilan est loin d'être satisfaisant.
Le budget global français attribué aux actions de coopération représente une part non négligeable du PNB, puisqu'en 1993, d'après les chiffres de Jean-Paul Fuchs (1), il en représentait 0,63 %, ce qui place la France au 5ème rang mondial derrière le Danemark, la Norvège, la Suède et les Pays-Bas.
Réforme de la coopération française
La politique française en matière d'aide aux pays en développement reste très marquée par son passé colonial. Ceci explique la place privilégiée de la France dans certaines régions du monde, en Afrique notamment, même si, pour certains, son rayonnement est aujourd'hui plus culturel et linguistique qu'économique. Selon le député Fuchs, ce qui caractérise le mieux notre politique est le manque d'harmonisation : " La présence de nombreux intervenants dont les champs de compétence ne sont pas clairement définis entraîne incontestablement l'existence de doublons dans les interventions de la coopération française " (2).
Le 4 février 1998, le conseil des ministres décide d'une réforme de l'aide au développement. Dans son édition du 5 février, Le Monde décrit ainsi les contours de la réforme : le secrétariat d'État à la Coopération et à la Francophonie est supprimé et intégré au ministère des Affaires étrangères. Le principal opérateur des actions de coopération devient l'agence française de développement qui succède à la caisse française de développement.
Un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), composé de neuf ministères, est créé afin d'assurer le suivi et l'évaluation des actions menées.
Le secteur de la coopération connaît donc actuellement une réforme profonde dont le but est de rationaliser son fonctionnement et d'augmenter son efficacité en évitant notamment une concurrence interne à l'appareil d'État entre les différentes administrations. Le gouvernement espère également, par ces mesures, rendre plus lisible sa politique extérieure aux yeux d'une opinion publique qui lui reproche depuis longtemps son manque de transparence.
On peut également signaler que l'interface qui existe depuis quelques années entre le ministère et la société civile sous le nom de bureau de la vie associative, semble renforcé sous la nouvelle appellation de mission pour la coopération non gouvernementale intégrée au ministère des Affaires étrangères.
Ajoutons que le ministère des Affaires étrangères a publié le 11 février 1999 la liste des pays constituant la zone de solidarité prioritaire (ZSP). On remarquera que sur les cinquante-quatre pays retenus, quarante-trois sont africains, parmi lesquels les non francophones font une entrée remarquée (Afrique du Sud, Ghana, Kenya, Erythrée…). Le Liban, la Palestine, Cuba, le Surinam et la République dominicaine font également partie de la ZSP, ce qui constitue un élargissement notable de la zone d'influence classique de la France.
Les critères employés pour la définition de cette zone ont laissé, d'après le gouvernement, une grande place aux valeurs démocratiques. Cependant, d'après Sylviane Robinet (3) : " Un constat s'impose : certains (pays) sont loin d'être des modèles de démocratie. C'est donc en toute logique que l'on est conduit à s'interroger sur les critères d'éligibilité qui ont prévalu pour chacun. " Ce qui laisse penser à la journaliste que " l'aide apportée à la construction économique de ces pays répond à des choix politiques et, notamment, à la volonté de la France d'intervenir dans certaines parties du monde. "
En amont de ces réformes institutionnelles, l'analyse critique des formes traditionnelles de coopération a déclenché dans les années 80 des réactions de rejet très fortes devant les effets pervers. En France comme ailleurs, les initiatives non gouvernementales se sont alors multipliées.
La forme la plus répandue durant les premières années a concerné l'aide humanitaire d'urgence. De la famine éthiopienne de 1985 au drame somalien en passant par la cause des Kurdes d'Irak, l'occident mobilisa des efforts conséquents pour apaiser la souffrance des populations à chaque fois victimes innocentes de luttes armées entre pouvoirs et mouvements de rébellion. Effectuées le plus souvent sous le feu de caméras indécentes devant lesquelles de nombreuses stars venaient exhiber leur bonne conscience, ces démarches furent à leur tour le centre de débats sur la fonction et la place de l'humanitaire.
Apparition et limites de l'aide humanitaire
Parmi les reproches les plus fréquents, on retiendra le bouleversement total des structures socio-économiques créé par une assistance extérieure massive, le renforcement de pratiques mafieuses, la manipulation par les belligérants dont ont été l'objet bon nombre de programmes, l'incompétence et le manque de préparation de nombreux intervenants pourtant souvent bien intentionnés. L'élément le plus important est, peut-être, l'absence d'actions inscrites dans une perspective de développement durable. Des voix de plus en plus fortes se sont exprimées pour dénoncer la nature éphémère de ces interventions et leur inanité à résoudre en profondeur les problèmes posés.
C'est le désir de créer les conditions d'un développement durable des pays du tiers-monde qui ont amené, à partir des années 70, certaines communes françaises à s'investir dans le domaine de la coopération. Comme le rappelle le livre blanc Vers une coopération de sociétés à sociétés - rédigé à l'occasion des assises de la coopération et de la solidarité internationale qui ont eu lieu à Paris les 17 et 18 octobre 1997 -, ce phénomène est l'héritier direct des jumelages, conçus à leur origine dans un esprit de réconciliation entre pays européens après la guerre 39-45. Ces activités étaient le plus souvent à caractère sportif et culturel et consistaient essentiellement en des rencontres et des échanges. Les relations entre communes françaises et allemandes, notamment, se multiplièrent et contribuèrent au travail de réconciliation indispensable à la paix, dont la construction européenne actuelle est une conséquence directe.
C'est ainsi que, progressivement, les communes, les conseils généraux et régionaux, auxquels on ajoutera les syndicats, les associations, les entreprises, le monde agricole et plus récemment les universités, ont mobilisé leur énergie autour de la problématique du développement durable des pays pauvres et de l'appropriation, par leurs populations, de leur avenir.
Si le sport et la culture restent des vecteurs utilisés pour leurs valeurs symboliques touchant à la fraternité et au partage, les actions vont également concerner d'autres thèmes. Comme l'action humanitaire, dont nous avons déjà abordé les spécificités et les limites. Comme la démocratie et le développement local.
Une coopération plus proche, plus humaine, est ainsi née parallèlement aux politiques menées entre États. Même s'il est difficile d'en faire un compte précis, on peut estimer à plus de mille le nombre de collectivités territoriales inscrites dans cette démarche de solidarité internationale. Si l'on y ajoute les partenaires syndicaux, associatifs, économiques et éducatifs, ce mouvement n'est plus à considérer comme marginal mais bien au contraire significatif de la volonté des peuples de se rapprocher en dehors du cadre national.
Un monde qui se structure
Ces nombreux acteurs se sont très vite aperçus que ce mouvement ne pourrait se développer sans une certaine harmonisation des pratiques ni une bonne connaissance mutuelle.
C'est cet esprit qui anima le gouvernement et la société civile au moment de la création de la commission coopération-développement en 1983. Cette commission paritaire réunit des représentants des pouvoirs publics et des coordinations d'associations nationales de solidarité internationale. C'est une instance de réflexion et de concertation qui traite des problèmes liés à l'information, à l'éducation, à la solidarité au-delà de nos frontières et aux différentes formes de financement et de coopération. Elle édite, entre autres, le très précieux répertoire des associations de solidarité internationale qui permet d'avoir une vue d'ensemble de ce qui existe actuellement dans ce domaine.
Pour les mêmes raisons, on créa un réseau d'informations nommé Réseau d'informations tiers monde (Ritimo), composé de quarante-cinq centres documentaires, à l'intérieur desquels on peut trouver des informations sur les relations Nord-Sud.
Ensuite, co-produit par dix-sept organismes de coopération, le système d'information pour la coopération Ibiscus permet de se renseigner sur les organismes de coopération. Il offre aussi le résumé de près de 80 000 articles et ouvrages parus et un répertoire complet des acteurs de la coopération accessibles sur minitel et Internet. On ajoutera à cet inventaire les centres de ressources de certains organismes comme le ministère des Affaires étrangères, l'Unesco et l'Unicef.
G. S.
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