Par Jacques Defourny* et Patrick Develtere **
Les sources de l'économie solidaire
Une approche globale de l'économie solidaire
L'économie solidaire dans les PED
Les acteurs de l'économie solidaire
ConclusionIntroduction
Les pistes de l'économie sociale sont de plus en plus souvent évoquées pour relever les grands défis contemporains, en particulier la crise de l'emploi et de l'État-providence dans les pays industrialisés et les problèmes liés aux ajustements structurels de la plupart des économies en développement. On attend de l'économie sociale qu'elle apporte une contribution substantielle à la résolution de ces crises, même si la manière de la désigner diffère grandement selon les pays. Dans les pays hispanophones, on parle habituellement d'"économie populaire", d'"économie du travail" ou encore d'"économie solidaire". Le monde anglo-saxon dira plutôt "économie ou développement communautaire" ("community development"). Dans les régions francophones et néerlandophones, on a recours aux termes d'économie sociale ou coopérative. Ces différentes terminologies ne sont pas totalement interchangeables mais elles font toutes référence à un large spectre de formes d'organisations qui reposent sur la solidarité et la coopération. D'une manière générale, c'est l'idée d'un "troisième secteur", aux côtés des secteurs privé et public traditionnels, qui est de plus en plus largement acceptée.
Nous allons privilégier ici la notion d'économie sociale, même s'il faut reconnaître qu'elle est souvent utilisée à tort et à travers. Il y a d'ailleurs un réel danger de la transformer en slogan de circonstance et d'en faire une baudruche qui se dégonflera une fois passé l'effet de mode.
Pourtant, l'économie sociale mérite aujourd'hui une attention toute particulière car son rôle est de plus en plus crucial dans les sociétés en mutation. C'est pourquoi, avant même de rechercher les moyens de la promouvoir, il importe d'en saisir les réalités actuelles tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les pages qui suivent.
Dans un premier temps, on replacera brièvement l'économie sociale dans une perspective historique afin de souligner les enjeux séculaires dont elle est porteuse.
Dans un second temps, on présentera le concept d'économie sociale tel qu'il s'est précisé au cours des deux dernières décennies. On mettra aussi en évidence les caractéristiques propres des différents types d'organisation et entreprises qui composent ce troisième grand secteur.
Une troisième partie visera à identifier le secteur de l'économie sociale dans les pays de l'hémisphère Sud: au-delà d'appellations très variées et d'une grande diversité d'activités, on verra qu'il existe bien des dynamiques spécifiques qui témoignent de l'émergence d'une véritable économie sociale.
On passera enfin en revue les différents acteurs qui interviennent dans le développement de l'économie sociale, en soulignant les facteurs qui conditionnent le succès de telles initiatives.
1. LES SOURCES DE L'ECONOMIE SOCIALE
1. Les fondements historiques de l'économie sociale
Même si l'économie sociale moderne a trouvé ses principales expressions au cours du 19e siècle, son histoire remonte aux formes les plus anciennes des associations humaines. On peut même dire que la genèse de l'économie sociale se confond largement avec une quête séculaire de la liberté d'association. Des corporations et des fonds de secours collectifs existaient déjà dans l'Égypte des Pharaons. Les Grecs avaient leurs "hétairies" pour se garantir une sépulture et pour l'organisation rituelle des cérémonies funéraires tandis que les Romains se groupaient en collèges d'artisans et en "sodalitia", associations plus politiques. Avec l'effondrement de l'Empire romain, ce seront les associations monastiques qui deviendront partout en Europe les refuges de l'associationnisme primitif autant que des arts, des sciences et des traditions: couvents, monastères, abbayes, prieurés, commanderies, chartreuses, ermitages, etc.
Au IXe siècle, les premières guildes apparaissent dans les pays germaniques et anglo-saxons, puis à partir du XIe siècle émerge la confrérie, groupement organisé de laïcs qui s'affirme en dehors des couvents pour répondre à des besoins pratiques d'assistance, d'entraide et de charité. Quant aux associations compagnonniques, elles se développent dès le XIVe siècle et, progressivement, elles s'assurent dans les métiers les plus qualifiés une certaine maîtrise du marché du travail.
En fait, la réalité associative de l'époque médiévale est très riche. Elle s'exprime sous des formes et des appellations multiples: confrérie, guilde, charité, fraternité, hanse, métier, communauté, maîtrise, jurande,... Et il semble bien que ces pratiques et formes associatives soient universelles: on pourrait citer les corporations alimentaires de la Byzance médiévale, les guildes post-médiévales du monde musulman, les castes professionnelles d'Inde ou encore les confréries d'artisans de l'Afrique primitive et de l'Amérique précolombienne.
Pourtant, ce foisonnement associatif ne doit pas faire illusion. En fait, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, un groupement volontaire ne peut exister en dehors de l'Église et de l'État que sous des formes précises dont les règles d'admission et de fonctionnement sont strictement codifiées. Cette vigoureuse mise sous tutelle s'accompagne de privilèges pour l'association qui devient alors une corporation d'État, une institution de l'ordre féodal. Cependant, en marge du monopole corporatif aux structures rigides et hiérarchiques, subsistent ou apparaissent de nombreuses formes associatives qui inquiètent le pouvoir et que celui-ci tente continuellement de réprimer, d'interdire ou de soumettre.
Au XVIIIe siècle, de nombreuses associations clandestines vont contribuer à diffuser les idées nouvelles qui seront reprises par la Révolution de 1789. Mais l'esprit de celle-ci est avant tout individualiste et la souveraineté de la Nation entre rapidement en opposition avec la liberté d'association: s'associer, c'est soit recréer des corps intermédiaires synonymes de privilèges comme auparavant, soit créer des foyers de contestation et de subversion qu'il faut réprimer au nom de l'intérêt supérieur de la Nation.
La liberté d'association commence néanmoins à percer dans plusieurs pays européens (Angleterre, Allemagne, Pays-Bas), et surtout aux États-Unis. En Belgique, la Constitution de 1831 reconnaît aux citoyens le droit de s'associer librement mais il faudra attendre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle pour que des lois offrent un cadre juridique aux formes d'associations (coopératives, mutualité, ASBL) qui composeront l'économie sociale moderne.
1.2. Le pluralisme idéologique de l'économie sociale
Avant même d'être légalement reconnues, de multiples initiatives de type coopératif et mutualiste naissent dans les pays occidentaux. Cet associationnisme ouvrier et paysan du XIXe siècle est inspiré par plusieurs courants d'idées qui marqueront tout l'itinéraire de l'économie sociale et qui soulignent son pluralisme politico-culturel depuis ses sources jusqu'à ses manifestations contemporaines:
a) Le socialisme associationniste joue un rôle fondamental avec les utopies des Fourier, Owen, Saint-Simon et autres Proudhon. Jusqu'en 1870, les penseurs du socialisme associationniste, qui promeuvent surtout les coopératives de producteurs, domineront même le mouvement ouvrier international au point que l'on identifie souvent socialisme et économie sociale. Karl Marx lui-même se montrera dans un premier temps favorable à la coopération. Mais ses thèses collectivistes vont progressivement l'emporter et une partie croissante du mouvement ouvrier niera à l'économie sociale une fonction centrale dans le processus de transformation de la société. Au mieux elle restera, comme pour Jean Jaurès, un moyen d'améliorer la condition des plus pauvres et de les éduquer, ainsi qu'un puissant outil pour rassembler des ressources et organiser la propagande au service du combat politique.
b) Le Christianisme social participe lui aussi au développement de l'économie sociale. Beaucoup d'initiatives naissent à partir du bas clergé et de communautés chrétiennes, mais au niveau de l'Église-institution, c'est surtout l'encyclique "Rerum Novarum" en 1891 qui traduit un encouragement à l'économie sociale. D'une manière générale, les chrétiens sociaux du XIXe siècle appellent de leurs voeux des "corps intermédiaires" pour lutter contre l'isolement de l'individu, tare du libéralisme et contre l'absorption de l'individu dans l'État, piège du jacobinisme. La valorisation de ces micro-structures en même temps que l'affirmation de l'autonomie des individus débouchent sur le concept de subsidiarité, qui implique que l'instance supérieure n'accapare pas les fonctions que l'instance inférieure, plus proche de l'usager, peut assumer. C'est notamment dans cette perspective philosophique que Raiffeisen fonde en Allemagne les premières caisses rurales de crédit.
c) L'école libérale comporte elle aussi une ouverture à l'économie sociale. Plaçant la liberté économique au-dessus de tout et récusant les ingérences éventuelles de l'État, elle se fonde surtout sur le principe du self-help. En ce sens, elle favorise les associations d'entraide parmi les travailleurs.
On pourrait encore citer d'autres courants de pensée comme par exemple le "solidarisme" de Charles Gide. Mais la leçon importante de cette énumération est bien que l'économie sociale moderne s'est forgée au carrefour des grandes idéologies du XIXe siècle et qu'aucune d'entre elles ne peut revendiquer une paternité exclusive.
2. UNE APPROCHE GLOBALE DE L'ECONOMIE SOCIALE
1. Les composantes contemporaines d'un troisième grand secteur
Reconnaissons d'abord l'ambiguïté terminologique de la notion d'économie sociale. La combinaison de deux termes aussi larges permet pratiquement à tout un chacun d'élaborer sa propre conception de l'économie sociale, en insistant plus ou moins sur le volet économique ou sur le volet social. A la limite, tout ce qui, dans l'économie, a une dimension sociale, et tout ce qui est économique dans le social, pourrait ainsi être qualifié d'économie sociale.
Pourtant, depuis plus de dix ans, c'est une conception bien plus spécifique de l'économie sociale qui s'affirme à l'échelle internationale. Même si les dénominations et les définitions peuvent varier d'un pays à l'autre, c'est l'existence d'un "troisième secteur" aux côtés du secteur privé à but lucratif et du secteur public, que l'on découvre ou redécouvre un peu partout en Europe, en Amérique du Nord, dans les économies de l'Est en transition et dans les pays de l'hémisphère Sud. Certes, ce tiers-secteur de l'économie sociale n'est pas séparé des deux autres par des frontières parfaitement définies et étanches, mais sa dynamique propre est suffisamment originale pour ne pas être confondue avec celles des autres.
De manière synthétique, on peut dire qu'il y a deux grandes façons, d'ailleurs complémentaires, de dessiner les contours de l'économie sociale.
La première approche que l'on pourrait appeler "institutionnelle" consiste à voir trois composantes essentielles dans l'économie sociale :
- les entreprises coopératives se référant à un véritable projet coopératif (précision nécessaire pour des pays comme la Belgique où la plupart des sociétés coopératives n'ont de coopératif que le nom),
- les mutualités et l'ensemble de leurs activités médico-sociales,
- enfin et surtout les associations (en Belgique, les ASBL et associations de fait) ayant une pertinence économique, c'est-à-dire qui produisent des biens ou prestent des services dans le domaine culturel, social, sportif, dans celui de la formation, de la coopération au développement, etc.
L'économie sociale inclut donc bien une large part de l'associatif avec des organisations de taille considérable, mais aussi de multiples petites associations, des ONG de coopération au développement, des entreprises d'apprentissage professionnel, des ateliers protégés, des écoles de devoirs, des restos du coeur, des mouvements de jeunesse, etc. Ces activités mobilisent d'ailleurs des moyens considérables (subsides, ressources financières propres, travail rémunéré ou bénévole, infrastructures, ...) pour la satisfaction de besoins souvent essentiels.
En fait, ces trois composantes de l'économie sociale sont loin d'être nouvelles. Au siècle passé déjà, les fondateurs des coopératives, des caisses de secours mutuel et de multiples autres associations faisaient référence à l'économie sociale comme à une alternative susceptible de corriger, voire de remplacer le modèle économique dominant dont le coût humain était très élevé. Inspirées et poussées par les mouvements ouvriers et paysans, ces réalisations d'économie sociale ont grandement contribué à forger le modèle de société de la plupart des pays industrialisés.
Les traits distinctifs de l'économie sociale
La seconde approche de l'économie sociale, plus normative ou éthique, consiste à souligner les traits qui sont communs à l'ensemble des organisations d'économie sociale, ou qui les rapprochent les unes des autres au-delà de leur grande hétérogénéité. Les tentatives faites pour dégager ces traits communs ont fait couler beaucoup d'encre. Néanmoins, depuis une dizaine d'années, on s'accorde à les situer dans la finalité des activités et dans les modes d'organisation interne des entreprises et organisations du troisième secteur.
En Belgique, on est allé assez loin dans cette deuxième approche tout en cherchant à la combiner avec l'approche institutionnelle. En effet, le Conseil Central de l'Économie a repris une définition formulée comme suit en 1990 par le Conseil Wallon de l'Économie Sociale (CWES):
"L'économie sociale regroupe les activités économiques exercées par des sociétés, principalement coopératives, des mutualités et des associations dont l'éthique se traduit par les principes suivants:
1) finalité de service aux membres ou à la collectivité plutôt que de profit,
2) autonomie de gestion,
3) processus de décision démocratique,
4) primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus".(Conseil Wallon de l'Économie Sociale, 1990 et Conseil Central de l'Économie, 1990).
Avec la finalité de service, on insiste sur le fait que l'activité d'économie sociale est un service rendu aux membres ou à d'autres personnes et non un outil de rapport financier. Le dégagement d'éventuels excédents est alors un moyen de réaliser ce service mais non le mobile principal de l'activité.
L'autonomie de gestion vise principalement à distinguer l'économie sociale de la production de biens et services par les pouvoirs publics. En effet, les activités économiques menées par ces derniers ne disposent pas généralement de la large autonomie qui constitue un ressort essentiel de toute dynamique associative.
La démocratie renvoie au principe "un homme-une voix" (et non "une action-une voix") ou du moins à une stricte limitation du nombre de voix par membre dans les organes souverains. Elle souligne le fait que l'adhésion et la participation aux décisions ne peut découler principalement de la propriété d'un capital.
Enfin, le quatrième principe, la primauté des personnes et du travail, découle assez largement des précédents et, en ce sens, paraît moins essentiel. Il traduit surtout diverses pratiques propres aux coopératives (rémunération limitée du capital, répartition d'excédents sous forme de ristournes aux membres-usagers, ...).
De ces précisions conceptuelles, il ressort que l'économie sociale comprend à la fois des activités non marchandes menées dans le cadre d'associations et de mutualités, mais également des activités marchandes organisées par des sociétés coopératives ou encore par des associations dont l'activité commerciale est au service de l'objet social (par exemple des ateliers protégés ou des Magasins du Monde-Oxfam).
Enfin, il serait intéressant de pouvoir situer l'économie sociale par rapport à l'expression "social-profit sector" utilisée dans différents textes récents du Gouvernement belge. Si l'on se réfère aux organisations qui se sont fédérées sous cette appellation, on peut sans doute considérer que le secteur "social profit" recouvre la partie non-marchande de l'économie sociale mais aussi du secteur public. Quant à la notion de "non-profit sector", très répandue dans le monde anglo-saxon, elle correspond pour l'essentiel à la composante associative de l'économie sociale (à laquelle il convient d'ajouter les fondations, très nombreuses dans les pays comme les États-Unis).
2. Les mécanismes opérationnels de l'économie sociale
Tout en ayant quelques grands traits communs, les composantes de l'économie sociale ont chacune des mécanismes opérationnels qui leur sont propres.
3. Des chiffres impressionnants
Il n'existe aucune publication statistique régulière sur l'économie sociale, mais des travaux réalisés ces dernières années indiquent que ce troisième secteur représente entre 250.000 et 300.000 emplois (en équivalents temps plein) en Belgique. Si l'on veut évaluer l'ensemble des ressources humaines mobilisées par l'économie sociale, il faut aussi prendre en considération l'énorme masse de travail bénévole fourni au sein des associations : sur base de diverses enquêtes, on peut estimer que, mises bout à bout, les heures de travail prestées par tous les bénévoles en Belgique représenteraient l'équivalent de 100 000 à 130 000 emplois à temps plein (J. Defourny, 1992).
A l'échelle internationale, on ne dispose de données chiffrées que pour les organisations et entreprises de l'économie sociale qui sont d'une manière ou d'une autre reliées à des grandes structures fédératives. Ainsi, plus de 700.000 coopératives réparties dans une centaine de pays sont membres de l'Alliance Coopérative Internationale (ACI). Elles comptent ensemble environ 765 millions de membres coopérateurs (ACI, Rapport annuel, 1994).
En ce qui concerne les organisations de type mutualiste, l'Association Internationale de la Mutualité (AIM) rassemble plus de 110 millions de membres individuels, surtout en Europe, mais aussi en Amérique latine.
Enfin, pour les associations, les informations quantitatives sont encore beaucoup plus limitées: dans de nombreux pays, les réalités associatives ne disposent d'aucun statut juridique propre. Elles adoptent alors des statuts juridiques extrêmement variés ou gardent pour une large part un caractère informel. Quand elles bénéficient d'un cadre légal adapté à leurs spécificités, on peut évidemment les dénombrer plus aisément (en Belgique par exemple, on compte environ 90 000 ASBL et près de 4 000 ASBL naissent chaque année). Mais les données les concernant restent en général très fragmentaires. De grands travaux de recherche actuellement en cours à l'échelle internationale permettent toutefois d'avancer quelques chiffres à titre indicatif: dans sept grands pays industrialisés pris ensemble (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon et Hongrie), le secteur "non-profit" compte près de 12 millions d'emplois et le travail bénévole y représente l'équivalent de 4.7 millions d'emplois à temps plein (L. Salamon et H. Anheier, 1994).
4. Les nouveaux visages de l'économie sociale dans les pays industrialisés
Pour aider à visualiser le développement actuel du troisième secteur dans les pays industrialisés, on peut citer à titre d'exemples quelques expériences particulièrement significatives.
- En Italie, les coopératives sociales ont connu depuis les années 80 un essor remarquable. Associant de manière originale des travailleurs rémunérés, des bénévoles et des usagers, elles se sont constituées autour de deux axes principaux reconnus par une loi de 1991 qui leur a offert un statut juridique propre: d'une part la prestation de services sociaux, éducatifs et sanitaires, d'autre part la mise au travail de personnes en grande difficulté d'insertion socio-professionnelle (handicapés physiques ou mentaux, personnes cherchant à se libérer de l'alcoolisme ou de la drogue, anciens prisonniers, etc.). L'ensemble de ces coopératives sociales représentent aujourd'hui près de 30 000 emplois.
- En France, les initiatives d'économie sociale se sont également multipliées pour organiser la remise au travail de chômeurs peu qualifiés. Ainsi, les associations intermédiaires sont des lieux d'accueil de demandeurs d'emploi en difficulté. Au nombre d'un millier environ, elles offrent chaque année une expérience de travail chez des particuliers ou en entreprise à plus de 60 000 personnes. Les entreprises d'insertion quant à elles sont plutôt des structures de réentraînement au travail qui offrent un contrat de travail d'une durée maximale de 24 mois pour des activités productives encadrées par des professionnels. Le plus souvent constituées sous statut associatif, elles représentent aujourd'hui près de 10 000 emplois dont les deux tiers pour des personnes en insertion.
- En Espagne, les coopératives de travail associé et les sociétés anonymes "laborales" ont connu une croissance très rapide au cours des années 80. Les premières sont souvent de petites entreprises mises sur pied collectivement par quelques personnes tandis que les secondes sont souvent de taille plus importante et peuvent résulter de la reprise, par leurs travailleurs, de sociétés existantes en difficulté. Ensemble, ces deux types d'entreprises sont aujourd'hui plus de 4 000 et concernent près de 25 000 emplois. L'Espagne, et plus particulièrement le Pays Basque, est aussi le berceau du célèbre Groupe coopératif de Mondragon, fondé dans les années 50 et qui n'a cessé de se développer et d'imaginer des réponses originales à la crise. Avec ses 25 000 travailleurs, et sa centaine de coopératives, il est structuré autour de trois pôles: (la Caja Laboral Popular), un pôle commercial avec une grande coopérative de distribution associant travailleurs et usagers et un pôle industriel centré sur la production de biens d'équipement mais très diversifié. La spécificité de Mondragon est aussi marquée par la priorité accordée à la formation qui s'exprime à travers neuf institutions scolaires coopératives, véritable vivier de main d'oeuvre pour les entreprises du groupe et outil essentiel pour l'adaptation des travailleurs aux besoins de ces dernières.
- En Suède, l'extraordinaire développement du "Welfare State" s'était substitué aux organisations volontaires pour la prestation de nombreux services sociaux. Le tiers-secteur resté néanmoins très important, s'était alors cantonné dans un rôle d'expression des citoyens pour la formulation des politiques publiques. Aujourd'hui, les restrictions imposées au secteur public ouvrent de nouveaux champs d'activités aux organisations du troisième secteur. L'exemple le plus frappant concerne le secteur de l'accueil de la petite enfance. En quelques années, plus de 1000 "kindergarten" de type coopératif ont été créés par des collectifs de parents. Ces nouvelles entreprises sociales sont financées à la fois par les paiements mensuels des parents et par des subventions municipales. Elles combinent aussi le travail rémunéré du personnel engagé par la coopérative et l'implication volontaire des parents qui participent au fonctionnement quotidien de l'entreprise et en assurent la gestion.
- Aux États-Unis et au Canada, le mouvement associatif a opéré un renouveau important de sa place dans l'économie et dans la société, notamment à travers ce qu'on appelle outre-Atlantique le "community development". Ainsi, des initiatives dans les quartiers pauvres de villes ont engendré la mise sur pied d'organismes de concertation, de coordination et de solidarité pour soutenir la relance d'activités structurantes sur le plan économique et social. Les figures de proue de ce courant sont les "Community Development Corporations" aux États-Unis et les corporations de développement économique communautaire au Québec. Disposant souvent de fonds d'investissement, ces organismes s'engagent dans la rénovation et la gestion de l'habitat social, le maintien et le développement de petites entreprises locales, l'organisation de services de proximité, etc. Il est aussi intéressant de noter qu'au Québec, les Caisses populaires Desjardins, de loin le plus grand groupe de services financiers, représente un exemple de mouvement coopératif très ancien qui a su rester attentif aux nouveaux défis socio-économiques et s'impliquer de diverses façons dans le développement communautaire au niveau local.
- En Belgique, plus de 4 000 associations sans but lucratif sont créées chaque année et, même si certaines d'entre elles peuvent être qualifiées de "para-lucratives" ou de "para-publiques", ces créations témoignent avant tout de la vitalité du tissu associatif. Sans compter les établissements hospitaliers et scolaires constitués sous statut d'ASBL, on peut affirmer que les associations représentent aujourd'hui plus de 225 000 emplois. Parmi les nombreux types d'initiatives, on peut par exemple citer celles visant l'insertion professionnelle de personnes défavorisées. Ainsi, les ateliers protégés permettent la mise au travail de plus de 20 000 personnes handicapées, tandis que les "entreprises de formation par le travail" et les "entreprises d'insertion" en Wallonie, les "sociale werkplaatsen" , les "leerwerkplaatsen" et les "invoegdbedrijven" en Flandre sont des entreprises sociales accueillant des personnes victimes d'autres formes de marginalisation socio-économique. D'autre part, l'économie sociale occupe une place de mieux en mieux reconnue dans les programmes des pouvoirs publics régionaux et fédéraux, notamment dans la lutte contre le chômage mais aussi dans la politique de coopération au développement.
L'ECONOMIE SOCIALE DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT
Contrairement à ce qui se passe en Europe et Amérique du Nord, on ne peut pas parler pour l'Afrique, l'Asie et l'Amérique Latine d'un renouveau de l'économie sociale, mais plutôt d'une émergence de ce secteur. Il en va de même pour les pays de l'ancien bloc de l'Est. En effet, les très nombreux efforts faits dans ces pays pour promouvoir ce type d'initiatives n'ont pas donné lieu jusqu'à présent au développement d'un véritable secteur d'économie sociale. Les raisons suivantes peuvent être avancées en guise d'explication:
- Les autorités coloniales et post-coloniales (comme les gouvernements communistes de l'Est) ont focalisé leurs efforts sur le développement d'un secteur coopératif "para-étatique". Les capitaux publics et la participation de fonctionnaires dans les coopératives remplaçaient les apports privés des membres et la participation volontaire des ceux-ci.
- Une stratégie promotionnelle verticale du haut vers le bas a généralement pris le pas sur un développement horizontal et spontané des coopératives, mutuelles et associations.
- Il y a eu très peu d'interactions entre les diverses composantes de l'économie sociale.
- Le champ d'action des coopératives a généralement été limité aux secteurs de la production et de la distribution. Le secteur financier a été négligé. Une approche des secteurs sociaux et médicaux par l'économie sociale n'a pratiquement jamais été envisagée car ils étaient considérés comme relevant de la seule responsabilité des pouvoirs publics.
- Enfin, l'articulation d'initiatives économiques sur des mouvements sociaux n'a pratiquement jamais été encouragée.
Par contre, différents facteurs permettent de penser que nous assistons depuis cinq à dix ans - et aujourd'hui plus que jamais - à l'émergence d'une économie sociale. On constate en effet l'apparition d'une panoplie d'initiatives coopératives, mutualistes et associatives dans le sillage de mouvements paysans et ouvriers, de mouvements du secteur informel, de mouvements de développement communautaire ou de quartier. Ces initiatives ne concernent pas seulement des activités marchandes, mais également des activités non-marchandes. En outre, elles se développent pratiquement en dehors de toute intervention des pouvoirs publics.
Une terminologie variée mais des traits communs
Comme pour les pays de l'hémisphère Nord, le concept de l'économie sociale n'est pas univoque. Selon les traditions socio-culturelles, des appellations variées sont utilisées:
- économie populaire, secteur d'économie du travail ou économie solidaire dans les pays hispanophones;
- économie sociale ou économie coopérative dans les pays francophones;
- développement économique communautaire ("community development") dans les pays anglophones.
On peut dire que ces terminologies couvrent des réalités similaires et qu'elles sont dans un large mesure quasiment interchangeables. Elle se référent toutes à un large spectre de formes nouvelles d'organisation basées sur la solidarité et la coopération.
Ces initiatives sont variées et multiformes. Elles se situent aussi bien dans le secteur dit formel que dans le secteur dit informel. Au-delà de cette diversité, elles présentent néanmoins des caractéristiques largement communes:
- Elles sont à quelques exceptions près de petite ou moyenne dimension puisqu'elles regroupent en général entre 10 à 500 personnes.
- Même dans les cas où ils sont déjà bien intégrés et fédérés, ces groupements de type coopératif, mutualiste ou associatif fonctionnent de façon décentralisée.
- Ils se caractérisent aussi par leur homogénéité sociale: les membres sont dans des situations socio-économiques assez semblables, ce qui renforce leur cohésion.
- Émanant de la base, ces organisations font une grande place à la créativité et aux initiatives spontanées des membres. En plus, les solutions adoptées, en termes de modes d'organisation, de fonctionnement interne et de contrôle sont conçues librement par les membres et tiennent compte des réalités locales. En tout cas, il n'y a pas de référence à des modèles prédéterminés et imposés.
- Un leadership de qualité assuré par de véritables "entrepreneurs sociaux" est souvent la meilleure garantie de succès pour ces initiatives.
- Enfin, le développement des activités ne suit pas un calendrier précis et rigoureusement planifié à l'avance.
Des secteurs d'activité très diversifiés
Les organisations de l'économie sociale se développent dans des domaines très divers qui correspondent à autant de défis majeurs dans ces pays: l'emploi, la santé, le crédit, l'agriculture, la pêche, l'habitat, etc.. Dans chacun de ces domaines, les initiatives prennent des formes organisationnelles variées dont voici quelques exemples:
Pour la création d'emplois:
- les Clubs de Madres en Amérique latine,
- des coopératives artisanales (par exemple la Self-Employed Women Association en Inde),
- des syndicats d'artisans ( Haïti, Togo, Bénin, ...);
Dans la santé:
- l'organisation d'une participation financière communautaire (p.e. l'assurance maladie de Bwamanda, Zaïre),
- des mutuelles de santé (p.e. l'Asociacion Mutual Sancor en Argentine,
- une assurance maladie initiée par des mouvements non mutuellistes (p.e. le National Engineering Workers' Union Medical Fund of Zimbabwe; les fonds médicaux des caisses d'épargne et de crédit en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Asie),
- une assurance maladie faisant partie de l'assurance obligatoire mais cogérée par les partenaires sociaux (p.e. les Institutions de Prévoyance Maladie du Sénégal),
- des coopératives de santé (p.e. la Cooperativa Nacional de Salud Solidaria en Colombie),
- des "empresas solidarias de salud" en Colombie,
- des coopératives de prestataires de soins (p.e. Le Cabinet Médical Mutualiste de Saint-Sébastien au Bénin; le UNIMED du Brésil, etc.);
Dans le domaine du crédit:
- des tontines (p.e. la Tontine mutuelle et la Tontine commerciale du Bénin),
- des coopératives d'épargne et de crédit (les COOPEC en Afrique francophone);
- des "credit unions" (p.e. le réseau du World Council of Credit Unions),
- du crédit solidaire (la Grameen Bank du Bangladesh; Sahel Action au Burkina Faso; le Crédit Rural de Guinée),
- des caisses villageoises ou de solidarité (p.e. les caisses créées dans le cadre de projets ONG),
- des fonds de crédit des syndicats (p.e. le Fonds de Crédit de Dignité en Côte d'Ivoire);
Dans l'agriculture:
- des coopératives de producteurs de café, coton, cacao, ...
- des groupements villageois (p.e. les groupements NAAM au Burkina Faso),
- des comités de gestion des petits périmètres irrigués,
- des groupements maraîchers, notamment de femmes,
- des banques céréalières dans le Sahel,
- des syndicats de paysans (p.e. la Fédération des Travailleurs agricoles et des Paysans africains);
Dans le secteur de la pêche:
- des groupements de gens de la mer (p.e. au Sénégal),
- des coopératives de pêcheurs (p.e. en Haïti),
- des groupements piscicoles;
Dans le domaine de l'habitat:
- des associations et coopératives d'auto-construction (p.e. en Uruguay),
- des associations de quartier.
Une explosion de l'économie sociale difficile à chiffrer
A partir des rares recherches en la matière, des listes d'enregistrements tenues par certaines Administrations et de l'évolution des affiliations à des fédérations nationales et internationales de l'économie sociale, on peut sans aucun doute parler d'un développement remarquable de ce tiers-secteur. Ce phénomène est d'autant plus frappant qu'il coïncide avec le retrait de l'État ou des agences publiques dans le secteur social, médical, coopératif...
Il est évidemment très difficile de chiffrer ce foisonnement de l'économie sociale. Tout au plus peut-on se référer à quelques études et statistiques très éparses. Ainsi, une étude dans plusieurs grandes villes africaines signale que 85% à 95% de la population urbaine fait partie d'une association d'entraide. En Afrique toujours, le nombre de coopérateurs appartenant à une fédération nationale affiliée à l'Alliance Coopérative Internationale est passé de 11 553 000 en 1990 à 19 521 000 en 1994 (ACI, Rapports annuels 1990 et 1994). Au Zimbabwe, l'ORAP (Organization of Rural Associations for Progress) a été créée en 1980 dans le
Sud du pays et fédère actuellement plus que 50 000 familles réparties en associations paysannes et fédérations d'associations (B. Vincent, 1994). Créée en 1987, la Mutuelle des Travailleurs de l'Éducation et de la Culture du Mali (MUTEC) couvre aujourd'hui la totalité des travailleurs de ce secteur (8 500 personnes) en assurance de retraite, de décès et de soins de santé (BIT-ACOPAM, 1996).
En Jamaïque, le nombre de membres des caisses d'épargne et de crédit est passé de 197.000 en 1980 à 356.000 dix ans plus tard (P. Develtere, 1994). Dans la région de Santiago de Chile, le nombre d'ateliers coopératifs de production est passé de 151 en 1982 à 1625 en 1991 (M. Nyssens, 1994); celui des coopératives d'achat de 5 à 101 et celui des comités d'habitat de 44 à 120. En Argentine, les 3737 mutualités regroupent pas moins de 6 millions de membres (L. Verano Paez, 1994).
En 1992, la Grameen Bank au Bangladesh offrait ses services à 1 385 000 clients, soit à peu près 1 % de la population du pays. Elle fédérait 50 000 petites banques villageoises. En Thaïlande, la Credit Union League Limited (CULT) rassemblait 470 caisses locales et 100 000 membres après 20 ans d'existence. Enfin, la People's Rural Development Association du Sri Lanka a généré plus de 600 emplois depuis sa création en 1989 (B. Vincent, 1994).
L'articulation de l'économie sociale avec les autres secteurs
Il est évident que l'économie sociale dans les pays en développement ne fonctionne pas comme une île séparée du reste de l'économie. Dans une vision souple et dynamique du secteur, on peut imaginer plusieurs interfaces entre l'économie sociale et les autres sphères marchandes ou non marchandes de l'économie privée traditionnelle et de l'économie publique.
Ainsi, l'économie sociale a des interfaces avec différents secteurs:
- Avec le secteur des Petites et Moyennes Entreprises (PME) privées traditionnelles. Les coopératives regroupant des PME pour des achats en commun et les PME qui ont un système de participation des travailleurs à la propriété et/ou à la gestion se trouvent à l'intersection entre l'économie sociale et l'ensemble des PME classiques .
- Avec le secteur de l'économie informelle. Les coopératives non-enregistrées et les organisations pré-coopératives, qui par exemple facilitent l'accès des artisans ou des commerçants au crédit, se trouvent sur la frontière entre l'économie sociale et le secteur informel.
- Avec le secteur public marchand (entreprises étatiques). Les coopératives ou groupements de paysans qui sont greffés sur les Comptoirs et Offices publics de commercialisation et d'exportation (de bananes, de café, de coton...) forment une partie de l'interface du secteur public et de l'économie sociale.
- Avec le secteur médico-social privé. Ce secteur regroupe les médecins, infirmiers, pharmaciens et professeurs qui vendent leurs services sur le marché privé formel. Les cabinets médicaux coopératifs se trouvent à l'intersection de l'économie sociale et de ce secteur médico-social privé. Dans certains cas, ils travaillent de concert avec des groupements ou des mutuelles d'usagers. On peut aussi citer les écoles privées avec participation des parents au financement et à la gestion de celles-ci.
- Avec le secteur public non marchand. Les mutuelles de santé subsidiées par des fonds publics et garantissant l'accès aux centres publics de soins ou de services sociaux montrent que l'économie sociale s'articule aussi sur le secteur public non marchand. Il en va de même pour les fonds de pension qui cogèrent la sécurité sociale d'initiative publique.
LES ACTEURS DE L'ECONOMIE SOCIALE
Avant d'esquisser le rôle des divers acteurs impliqués dans le développement et la promotion de l'économie sociale, il importe d'insister sur une leçon fondamentale que l'on peut tirer de l'histoire de l'économie sociale: deux conditions ont presque toujours déterminé le succès des initiatives d'économie sociale.
Il y a d'abord une "condition de nécessité". C'est poussés dans le dos par une pression économique ou socio-économique que les gens se sont serré les coudes et ont mis sur pied des organisations de type coopératif, mutualiste ou associatif. En d'autres termes, l'économie sociale est avant tout une réponse à des besoins fortement ressentis par un groupe de personnes.
Il y a ensuite une "condition de cohésion sociale". L'économie sociale s'appuie toujours sur l'identité collective d'un mouvement social ou à tout le moins sur une communauté de destin. D'ailleurs, les coopératives et mutuelles les plus durables sont issues et ont été portées par des mouvements dont l'identité sociale ou culturelle est ou était très forte (cf. les Kibboutz, les caisses Raiffeisen, les coopératives basques de Mondragon, les mutuelles belges, ...).
Ces conditions sont également présentes dans de nombreuses initiatives d'économie sociale dans les pays en développement. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, la Grameen Bank répond à des nécessités impérieuses ressenties par les femmes participantes. D'autre part, celles-ci forment des groupes de caution solidaire et adhèrent à une série de principes concernant l'hygiène, l'éducation des enfants, les relations hommes-femmes, etc. Ces principes fonctionnent comme des repères communs d'un véritable mouvement social.
Si l'on veut promouvoir l'économie sociale et si l'on veut identifier le rôle propre de chacun des acteurs, il importe à tout moment de tenir compte de ces deux conditions. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous proposons de distinguer deux types d'acteurs: d'une part les acteurs de base, d'autre part les acteurs en appui.
Les acteurs de base
- Il s'agit évidemment d'abord de la population elle-même. C'est elle qui doit formuler ses besoins et apporter les ressources de base pour s'organiser (ressources humaines, ressources financières, ...). C'est elle aussi qui doit déterminer le rythme du développement de ses initiatives.
- Il y a ensuite les organisations d'économie sociale existantes. Toute stratégie qui ne tiendrait pas compte de l'action, du fonctionnement et de la culture de ces organisations risque d'être vouée à l'échec. Au contraire, il importe de s'appuyer sur les réseaux existants et en particulier sur les fédérations d'économie sociale qui sont déjà en place dans la plupart des pays en développement. Ces réseaux offrent des services à leurs membres (appui technique, formation, ...), ils les représentent auprès des instances publiques, et stimulent la création de nouvelles entités. On distingue deux types de réseaux: d'une part, les fédérations unifonctionnelles (regroupant par exemple uniquement des coopératives) et d'autre part, les fédérations multifonctionnelles (souvent axées autour d'un mouvement de travailleurs ou de paysans) qui regroupent en même temps des coopératives, des mutuelles, des syndicats ou d'autres associations.
- Les syndicats jouent aussi un rôle considérable. Ils promeuvent les coopératives, les mutuelles ou d'autres formes d'associations auprès de leurs membres et du grand public. Ils défendent les intérêts de l'économie sociale auprès de l'État et des employeurs. Ils peuvent notamment négocier des soutiens pour l'économie sociale dans le cadre des négociations collectives.
Les acteurs en appui
- Les réseaux internationaux de l'économie sociale: il existe plusieurs réseaux mondiaux de l'économie sociale (l'Association Internationale de la Mutualité, l'International Federation of SickFunds, l'Alliance Coopérative Internationale, le World Council of Credit Unions, ...), ainsi que des réseaux régionaux (la Confederacion latinoamericana de Cooperativas y Mutuales de Trabajadores de America latina; l'Asian and Pacific Regional Agricultural Credit Association, l'Institut Panafricain de l'Économie Coopérative, le Carrefour d'Échange des Mouvements paysans de Gambie - Guinée Bissau - Mali - Sénégal, les Six S au Sahel, ...). Ces réseaux fonctionnent comme des lieux d'échange et de représentation de leurs affiliés vis-à-vis des institutions gouvernementales et intergouvernementales.
- L'État: depuis une dizaine d'années dans de nombreux pays en développement, l'État n'est plus considéré comme le moteur, le promoteur ou le tuteur des organisations de l'économie sociale. Son rôle devrait plutôt consister à
(a) fournir un cadre légal et fiscal facilitant le développement de l'économie sociale;
(b) garantir un environnement institutionnel favorable pour l'obtention de crédits, l'accès à certains marchés, la formation,
(c) organiser la concertation avec la société civile impliquée dans l'économie sociale.
- Les employeurs privés classiques: ceux-ci peuvent être associés au développement de l'économie sociale en
(a) soutenant les caisses d'épargne, les coopératives d'achat ou les mutuelles organisées au sein de leurs entreprises;
(b) en soutenant des mesures favorables au développement de l'économie sociale dans le cadre des négociations collectives.
- Les ONG de développement: des milliers d'ONG de développement soutiennent de petits projets d'économie sociale (coopératives, mutuelles, associations et autres groupements) avec un apport financier, une assistance technique, des programmes de formation, etc. En outre, elles mettent parfois en place des mécanismes de soutien novateurs:
- des formules alternatives de commerce international: en 1994, les importateurs européens et américains promouvant un commerce "fair trade" ont traité des volumes d'une valeur globale de 50 millions d'ECU (f.o.b.),
- des échanges commerciaux intercoopératifs: les ONG stimulent parfois le commerce entre coopératives du Nord et du Sud (p.e. des coopératives du Nord font du commerce avec les coopératives maraîchères d'Afrique),
- des réseaux internationaux de promotion de l'économie sociale (p.e. l'IRED: Innovations et Réseaux pour le Développement),
- des systèmes alternatifs de financement de l'économie sociale à travers des organismes bancaires (p.e. Rafad, le Fonds français Éthique et Solidarité, Alterfin et Stimulus en Belgique).
- Les Organismes internationaux: plusieurs organisations internationales s'occupent de la promotion de certains aspects de l'économie sociale, en particulier le BIT (Division des Coopératives), la FAO (Division des Organisations Rurales), l'Association Internationale de la Sécurité Sociale, l'OMS (Service Financement des Soins de Santé), le PNUD, la Banque Mondiale, le United Nations Center for Human Settlements (UNCHS).
CONCLUSION
On a vu que tant au Sud qu'au Nord se manifeste un véritable foisonnement d'organisations qui ne peuvent être classées ni dans le secteur privé traditionnel, ni dans le secteur public. Par delà la diversité des statuts juridiques qu'elles peuvent adopter, elles sont généralement fondées sur une dynamique associative et traduisent à bien des égards des réactions de la société civile aux problèmes économiques et sociaux d'aujourd'hui.
Ce troisième secteur, souvent qualifié d'économie sociale au Nord, et aux appellations plus variées au Sud, représente par son dynamisme et son enracinement dans les communautés locales, un point d'appui essentiel pour la coopération au développement. Toutefois, il est difficile de cerner précisément ce troisième secteur, tant les réalités qu'il recouvre sont hétérogènes et parfois en interaction étroite avec d'autres sphères de l'économie, privées ou publiques, formelles ou informelles.
Sans prétendre avoir tracé des frontières nettes et étanches, nous avons cherché à débroussailler le terrain en clarifiant les concepts et en identifiant les principaux acteurs. Nous avons également souligné que, lors des grandes mutations des systèmes économiques en Occident ou ailleurs, le développement de l'économie sociale a toujours été lié à certaines conditions assez précises et qu'il importe de retenir ces leçons pour l'avenir.
En mettant en évidence ces différents éléments, nous espérons avoir fourni les bases nécessaires pour une appréciation aussi rigoureuse que possible des potentialités et des limites de l'économie sociale dans des contextes plus précis de la politique de coopération au développement.
Pour plus d'informations, contacter: ADA -Appui au Développement Autonome-
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Horizon Local 1997
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