Il est temps d’arrêter les prolongations sécuritaires
L’Observatoire des Libertés et du Numérique et d’autres associations [1] interpellent les parlementaires afin qu’ils rejettent le projet de loi prorogeant la loi SILT et les « boites noires » de renseignement (« relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure »).
Ce projet de loi vise à prolonger, pour ensuite les pérenniser et les renforcer – comme l’affiche sans complexe le gouvernement – un ensemble de mesures sécuritaires adoptées avec des limites temporelles en raison de leur caractère liberticide. Elles sont prolongées alors que leur nécessité, leur efficacité et leur proportionnalité n’ont pas été démontrées.
Il s’agit des mesures prévues par la loi n° 2017‑1510 du 30 octobre 2017 « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » dite « SILT » : les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), les périmètres de protection (zone de contrôle), les visites et saisies domiciliaires (perquisitions administratives), les fermetures de lieux de culte, ainsi que les algorithmes – ou boites noires – de renseignement adoptés avec la loi n° 2015‑912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
Ces dispositifs avaient, pour répondre aux nombreuses contestations soulevées lors de l’examen de ces textes, fait l’objet d’un délai maximal d’expérimentation en raison des atteintes aux libertés fondamentales qu’ils recèlent. Cette période devait par ailleurs donner lieu de la part du gouvernement et du Parlement, à des évaluations, lesquelles sont pour partie manquantes. En effet, la mission de contrôle de la loi SILT de l’Assemblée nationale n’a pas rendu de rapport d’évaluation. L’exigence d’une évaluation a pourtant été maintes fois rappelée que ce soit par la CNCDH ou encore récemment par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte anti-terroriste [2]. S’agissant des boites noires, prolongées une première fois alors qu’elles auraient dû initialement s’achever le 31 décembre 2017, elles devaient faire l’objet d’un rapport d’évaluation du gouvernement au 30 juin 2020, date limite dépassée. Pire encore, le gouvernement a fait fi de ce que la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement qui avait demandé que ce rapport soit réalisé peu après la première année de leurs mise en service (soit vers la fin de l’année 2018). Si l’on a récemment appris que le gouvernement aurait finalement réalisé une évaluation – toujours confidentielle jusqu’ici – de cette surveillance algorithmique, l’intérêt de ces mesures semble très discutable alors que leurs conséquences sur les libertés sont particulièrement conséquentes [3].
Prétextant la crise sanitaire, le gouvernement entend repousser encore d’un an ces « expérimentations » et par la même occasion les évaluations s’y attachant. Alors que ce projet de loi vise à être adopté dans le cadre d’une procédure accélérée sans aucun débat (notre demande d’audition auprès du rapporteur du texte et de la Commission des lois étant notamment restée lettre morte), l’objectif poursuivi par le gouvernement est limpide : « Dans le délai ouvert par cette prorogation, un projet de loi viendra pérenniser ces dispositions, mais également compléter ou modifier ces deux lois, afin de tenir compte des nécessaires évolutions induites par les besoins opérationnels ».
Les intentions de l’Exécutif sont affichées : proroger uniquement pour lui laisser le temps de pérenniser et aggraver ces dispositifs liberticides.
Si lors des débats du mercredi 8 juillet, la commission des lois de l’Assemblée nationale a proposé de réduire le report des mesures en question à 6 mois, il n’en demeure pas moins que la représentation nationale devrait s’opposer purement et simplement à cette prorogation.
Un tel projet de prorogation est un nouveau témoin de la dérive sécuritaire des autorités françaises. L’absence de toute remise en question de ces dispositifs de surveillance et de contrôle n’est qu’une preuve une fois de plus de l’effet « cliquet » de ces dispositifs sécuritaires qui, une fois votés avec la promesse de leur caractère provisoire, sont en réalité constamment prorogés et aggravés.
Afin, dans les mots du nouveau ministre de la Justice de « quitter un peu les rives du sécuritaire en permanence », nous appelons donc les parlementaires à rejeter ce projet de loi pour, à minima, forcer la tenue d’une évaluation et d’un débat sérieux sur ces dispositifs ou les laisser enfin disparaître.